Du palais historique de cet amenokal, qui fut à la tête de la confédération des Kel N'Ahaggar de 1905 à 1920, il ne reste que quelques vestiges et des bouts de murs accrochés péniblement aux souvenirs d'un passé glorieux. A quelques mètres du site, des décharges agressent l'odorat des passants. Le comble c'est que ksar, le symbole de fierté des Touareg, est, laxisme des autorités aidant, devenu le repaire des délinquants et toxicomanes. «Nous avons tiré la sonnette d'alarme à maintes reprises, en vain», se lamente Abdeslam Mellal. Habitant à quelques toises du monument, notre interlocuteur, qui s'autoproclame représentant de l'ascendance Ag Amasten et qui est également membre de l'Assemblée populaire nationale de la wilaya de Tamanrasset, s'indigne de l'indifférence et de l'attitude autiste des responsables concernés. «Le legs de l'un des symboles de souveraineté dans la région est dans un état déplorable à cause d'un vulgaire conflit qui opposerait la direction de la culture à l'Office du parc national culturel de l'Ahaggar (Opnca)», regrette-t-il en pointant du doigt ceux qui enfoncent le clou en exploitant ce «différend» à des fins politiques. Rétorquant à ces allégations, le sous-directeur de l'Opnca, Mahmoud Amerzagh, affirme que les deux institutions travaillent en synergie avec pour objectif de sauvegarder le patrimoine de l'Ahaggar : «Le conflit dont on argue pour nous dresser des embûches n'a jamais eu lieu.» Pour ce qui est du palais Moussa ag Amasten, M. Amerzagh a tenu à rappeler que le monument a bénéficié d'une opération en 2002 portant sur la clôture du site et la construction d'un poste de contrôle. «Aussitôt posé, le grillage a été pillé et le poste incendié. Le site a été vandalisé pour des raisons non encore révélées», ajoute-t-il. Cependant, la gravité de la donne interpelle les consciences et les cœurs les plus endurcis. 92 opérations de restauration dans 37 wilayas Les descendants du stratège de guerre que fut Moussa ne veulent plus assister au dépérissement de ce patrimoine architectural et s'en remettent aux plus hautes autorités du pays pour en finir avec «ces spéculateurs qui se sucrent sous couvert du ministère de la Culture». Pour mémoire, une opération de restauration des biens immobiliers culturels a été lancée au titre des années 2006 et 2007, relève-t-on du schéma directeur des zones archéologiques et historiques mis en place par le ministère de la Culture. Une enveloppe de 2,5 millions de dinars a été ainsi dégagée pour la réhabilitation du ksar en question. D'autres opérations ont parallèlement été prévues, dans le cadre de ce programme, pour la restauration des monuments protégés de Tazrouk (3 millions de dinars) et de la Casbah Badjouda à In Salah (4 millions de dinars), ainsi que pour la réhabilitation de Soro Moussa Ag Amasten (5 millions de dinars) et la mise en valeur du site archéologique de Tit (5 millions de dinars). Le même schéma, faisant état de travaux prévisionnels s'étalant jusqu'à l'horizon 2025, indique que 92 opérations de restauration ont été retenues dans 37 wilayas du pays. Quinze opérations similaires ont été lancées dans le cadre du programme spécial Sud. Toutefois, la réalité est toute autre. «Les marchés ont été octroyés à des bandes de corrompus qui se sont taillés avec l'argent du contribuable sans prendre la peine d'accomplir la mission qui leur était dévolue», dénonce une source très au fait du dossier. A titre d'exemple, elle cite le bureau d'étude chargé du projet de restauration du ksar, lancé en 2006 par la direction de la culture de Tamanrasset sous la houlette du ministère de tutelle. «Le chef de projet s'est tiré avec 200 millions de centimes sans mener l'étude à terme et présenter le cahier des charges des travaux à établir. Le bureau en question aurait perçu la totalité de ses honoraires sans pour autant faire aboutir l'étude pour laquelle il a été initialement engagé. Un micmac à n'y rien comprendre ! L'affaire, dans laquelle seraient impliqués des cadres du ministère, a été vite étouffée», peste notre source. Le même scénario a failli se produire avec le bureau d'étude chargé du projet de Tit, qui consistait en l'érection en zone sauvegardée de ce secteur archéologique renfermant le célèbre site de Tighremt. «L'étude à laquelle ont été alloués 400 millions de centimes a été détournée de ses objectifs. Le site a frôlé le saccage. Le pire c'est qu'on a fait usage de faux pour s'attribuer le marché, en falsifiant l'autorisation d'un architecte expert en patrimoine et monuments historiques. Il a fallu désengager l'opération en catimini pour éviter le scandale.» Commission d'enquête ministérielle Selon notre source, une commission d'enquête a été diligentée par la ministre de la Culture d'alors, Khalida Toumi, suite à un rapport accablant que l'actuel directeur de la culture à Tamanrasset lui avait adressé un mois seulement après son installation, en février 2011. «Cependant, les conclusions de l'enquête ne sont toujours pas mises au jour», renchérit notre source, non sans signaler que l'enquête a été relancée en 2013 sur ordre du wali, Abdelhakim Chater, pour également faire la lumière sur le détournement du matériel — acquis à coups de milliards de dinars — destiné à l'équipement des bibliothèques communales. Autre site, autre esclandre. Le projet relatif à la réhabilitation de la Casbah Badjouda, à In Salah, a été confié à un bureau d'étude dans des conditions qui sentent le roussi, sans qu'on daigne bouger le petit doigt, ajoute encore notre source sous couvert de l'anonymat. L'absence d'une commission locale d'experts, enchaîne-t-elle, sonne comme un assentiment au saccage et aux atteintes portées aux valeurs historiques et patrimoniales de cette région millénaire. A la direction de la culture, on a affirmé qu'une action en justice a été intentée à l'encontre des personnes incriminées. Probablement par respect pour son prédécesseur, le directeur de cette institution, Arib Karim, n'a voulu ni confirmer ni infirmer cette information. Faisant part de la gestion catastrophique dont il a héritée, il s'est contenté de dire : «Le problème me dépasse et ne peut aucunement être réglé à mon niveau.» Evoquant la dégradation du palais Moussa Ag Amasten, il explique néanmoins que les trois appels d'offres lancés pour l'étude de sa restauration en 2011, 2012 et 2014 ont été infructueux. «Ce genre de projet requiert l'autorisation que le ministère n'accorde qu'aux architectes experts en patrimoine et monuments historiques. Malheureusement, peu d'architectes le sont au niveau national. Pour ne pas bloquer le projet, on a suggéré aux bureaux d'architecture locaux de conclure des pactes avec des chefs de projet conventionnés par le ministère de la Culture afin qu'ils puissent soumissionner. Toutefois, peu d'entre eux ont suivi cette logique», précise M. Arib, en mettant en exergue l'importance de cette démarche qui s'inscrit dans la perspective de préserver le patrimoine culturel et matériel de Tamanrasset. «Il ne faut donc pas badiner avec la restauration des monuments et sites historiques», a-t-il soutenu. Dans le même sillage, M. Arib a fait savoir qu'outre l'enveloppe dégagée pour la restauration de la Casbah Badjouda, deux autres opérations, d'un coût de 35 millions de dinars, ont été réalisées dans le secteur archéologique de Tit. Le tombeau funéraire de Tin Hinan est l'autre site pris en charge, en y intégrant un centre d'interprétation sous forme de musée contenant le mobilier de cette reine légendaire. L'opération a fait l'objet d'une réévaluation financière pour achever l'ensemble des travaux d'aménagement entrepris. Les travaux portent, selon le représentant du département de Mihoubi à Tamanrasset, sur la continuation du chemin de visite et l'enlèvement des déblais qui contiendraient des présences patrimoniales et des éléments d'information sur le monument. M. Arib assure que le site, confié au Centre national de recherches archéologiques, est pris en charge d'une manière juste et réfléchie compte tenu de sa valeur historique.