La faim a façonné son caractère et fait d'elle une enfant morose et insociable, puis une femme avisée, dure et calculatrice. Assistée par un agent de police, D. Naïma s'avance péniblement à la barre en boitillant. Elle comparaissait devant la cour d'appel d'Oran le 20 décembre dernier, sous le chef d'accusation de tentative de vol. Agée de 23 ans, la prévenue a, probablement pour la circonstance, gauchement recouvert sa tête d'un foulard laissant apparaître une chevelure, dont la couleur rappelle celle que prennent les châtaignes mûres. Sa frimousse contraste violemment avec les formes de son corps svelte qu'accuse sa djellaba. Ses petits yeux gris, fermés et durs, semblent être mûris dans la souffrance et la méfiance, dans l'adversité et l'amertume. Selon les témoignages de sa sœur aînée, abordée dans le hall du tribunal, leurs parents vivaient dans la misère et habitaient un taudis malpropre aux abords de la localité d'Es Sénia. D. Naïma n'a connu que la pauvreté la plus cruelle, les économies sordides et les expédients. La faim a façonné son caractère et a fait d'elle une enfant morose et insociable, puis une femme avisée, dure et calculatrice. Elle était toute heureuse, deux années auparavant, en trouvant un emploi en qualité de baby-sitter chez une femme demeurant dans sa localité de résidence. Selon l'arrêt de renvoi, le 23 novembre dernier, D. Naïma n'a pu résister à la tentation en mettant la main sur une somme de 21 millions de centimes que la maîtresse des lieux, Z. Kheïra, avait dissimulée dans une commode. L'accusée a mis l'argent dans son sac à main et a continué à s'occuper du bébé en attendant le retour de la mère. Lorsque celle-ci a découvert le vol, D. Naïma a sauté du premier étage, en abandonnant son butin. Elle s'est fracturée le tibia dans sa périlleuse tentative de fuite. « Je reconnais ma faute, mais je n'ai finalement pas pris l'argent Monsieur le juge », balbutie-t-elle d'une voix à peine audible en refoulant ses larmes. Son employeuse donne l'impression d'être embarrassée à ses côtés et se trémousse dans son pantalon jeans délavé pour se donner de l'allure. « J'ai retrouvé mon bien dans son sac », glapit-elle avec une inflexion de nervosité dans la voix. Ses yeux heurtèrent ceux de son ex-baby-sitter et c'est elle qui baissa en premier les siens. Le représentant du ministère public a requis l'application de la loi. L'avocat de la défense a axé sa plaidoirie sur la déplorable situation sociale de sa mandante et sur son jeune âge avant de demander la clémence, en faisant remarquer qu'elle n'avait pas d'antécédents judiciaires. Au terme des délibérations, la cour d'appel a fait bénéficier l'accusée d'une remise de peine en la condamnant à six mois de prison ferme. Notons qu'elle a écopé d'une année d'emprisonnement en première instance devant le tribunal correctionnel d'Es Sénia. A l'annonce du verdict, une bonne humeur grivoise a pétillé dans les yeux gris de D. Naïma.