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Entre politique et clanisme
Publié dans El Watan le 31 - 08 - 2015

L'oppositionite» qui agite de manière chronique une Kabylie devenue tout entière une décharge sauvage, vient de gagner à son tour la commune des Aghribs. Chez nous, la querelle porte sur l'implantation d'un Centre d'enfouissement technique (CET).
Tout se passe comme si le bord des routes jonchées de décharges, de détritus de toutes sortes qui prennent feu et enfument l'atmosphère était le seul spectacle à même de recueillir notre consensus, tant cette situation désolante ne semble susciter ni colère ni indignation chez les Kabyles.
Aux Aghribs, le débat revêt cependant une spécificité : il est lui-même pollué
Alors que dans un premier temps la nouvelle localisation du CET située sur terrain cédé par les forestiers, éloigné des habitations, n'avait pratiquement pas suscité d'opposition et qu'elle semblait même acceptée par l'ensemble des riverains, soudain la polémique éclate en écho à une querelle politique d'ordre clanique.
La polémique s'est accompagnée d'un chamboulement de la ligne de démarcation qui avait jusque-là séparé les camps qui s'étaient opposés sur la question du CET.
Brusquement, des anciens partisans du CET qui comptaient parmi ses plus fervents défenseurs au point de mener campagne pour son implantation initiale, pourtant plus proche des habitations que l'actuelle, se sont transformés en adversaires les plus farouches du nouveau projet. Aux motivations politiciennes sont venus s'ajouter des intérêts personnels marginaux et, chez certains, le désir de régler toutes sortes de comptes.
Ainsi s'est constitué et organisé le groupe qui entend bloquer par la force l'implantation du CET de Bouhlalou. Cette conjoncture a fait une première victime : l'intérêt collectif absent du débat où l'on enregistre surtout des attaques personnelles nourries de rumeurs.
En intervenant à notre tour sur ce sujet, notre souci est de dépolluer ce débat, de recadrer la discussion en essayant modestement d'informer la population des enjeux liés à ce CET et en ignorant délibérément toute autre considération.
État des lieux
Pour apprécier le projet d'implantation du CET, il faut examiner le cadre dans lequel il s'inscrit, c'est-à-dire faire un état des lieux.
Dépourvue de tout équipement, l'actuelle décharge d'Agouni Cherkiqui ne cesse de s'étendre au fil des ans et qui reçoit tous les déchets ménagers sans aucun tri constitue une source croissante de pollution multiforme.
A la pollution du sol par infiltration s'ajoute celle, plus conséquente, provoquée par l'émanation de gaz divers. Il y a les biogaz, produits par la fermentation des déchets, notamment le méthane, mais surtout et, plus nocifs, les gaz que dégage la combustion permanente des déchets de plastiques et d'autres substances.
La fumée produite par ces foyers contient des métaux lourds, des dioxines (très toxiques), des oxydes d'azote, des oxydes de soufre, etc. S'ajoute à ces diverses pollutions, celle des micro particules contenues dans le nuage de fumée visible par moment depuis Oued Aïssi.
Les touristes qui se sont rendus à Azeffoun cet été ont pu mesurer l'intensité de la nuisance qu'occasionne la décharge sur les riverains. Cette nuisance a atteint un niveau tel que certains villageois ont été contraints d'abandonner leur demeure trop proche de la décharge. Egalement à proximité de la décharge, bien que moins immédiate, se trouvent la polyclinique, le lycée, toute une cité nouvelle ainsi que le village de Tawrirt Ibbwan.
Ce que doivent savoir les citoyens de la commune est que ces fumées toxiques qui se répandent bien au-delà de ce voisinage immédiat ont, à terme, des effets néfastes importants sur la santé des riverains : maladie du foie, cancer, malformations à la naissance, etc. A cette décharge gérée par l'APC, s'ajoutent de nombreuses autres, sauvages celles-là, qui sont souvent à l'origine d'incendies de forêt.
On en compte six… au cœur même de Bouhlalou ! C'est aussi à Bouhlalou que sont abandonnés les cadavres d'animaux domestiques en putréfaction (deux cadavres d'ovins viennent d'y être jetés) et c'est encore la forêt de Bouhlalou qui vient d'être la cible d'un incendie criminel qui, fort heureusement, s'est rapidement éteint. Pourtant, aucun de ces faits n'a suscité indignation empressée ou «mobilisation» chez ceux qui se sont ligués contre le CET de Bouhlalou.
Ce survol de l'état des lieux, chaque citoyen de la commune le vit, hélas, au quotidien.
Qu'est-ce qu'un CET ?
Si l'on exclut la décharge simple, rappelons qu'il y a deux principes de traitement des déchets ménagers : l'incinération et l'enfouissement. Lorsqu'il est correctement mené, le processus débute dans les deux cas par un tri préalable. L'incinération simple est extrêmement polluante et de ce fait n'est plus pratiquée depuis longtemps.
Quant aux usines d'incinération, elles doivent être dotées d'une technologie sophistiquée et coûteuse pour être conforme aux critères sévères auxquels elles sont soumises. Il n'en existe aucune en Algérie. Précisons enfin que les déchets solides de la combustion finissent toujours dans un… CET adapté. S'agissant du deuxième procédé qu'est l'enfouissement, nous ne donnerons pas ici de description complète et détaillée d'un CET, nous nous limiterons à en exposer les grandes lignes pour aider à la clarté du débat.
Comme leur nom l'indique, les déchets sont donc enfouis dans le cas d'un CET.
A l'inverse d'une décharge où les déchets déposés à l'air libre s'enflamment, ces derniers versés dans des casiers sont régulièrement recouverts d'une couche de terre, ce qui réduit l'émanation d'odeurs et empêche la combustion dont la nuisance a été évoquée plus haut.
En outre, afin d'éviter la pollution du sol par infiltration, le fond du CET doit être aménagé et recouvert d'une membrane imperméable qui permet la récupération des eaux de pluie qui tombent sur le site.
Ce «jus», appelé lixiviat, est traité et n'est restitué dans le milieu naturel qu'après filtrage. Idéalement, seuls les déchets organiques triés sont enfouis, les autres sont retraités.
A notre connaissance, en Algérie, à part le cas non significatif des aéroports et quelques entreprises d'avant-garde qui disposent de poubelles adaptées au tri sélectif et quelques petits opérateurs privés qui font de la récupération dans les poubelles, aucune opération de tri n'est lancée en Algérie dans la collecte des déchets ménagers.
Il faut admettre qu'un tri efficace nécessite en amont la participation des ménages comme cela se fait dans tous les pays avancés et en aval toute une chaîne permettant le recyclage des déchets triés. Les sacs de bouteilles vides que ramassent bénévolement des associations et qui croupissent sur le bord des routes parce qu'ils ne trouvent pas preneurs informe assez des capacités de l'Algérie en matière de recyclage des déchets.
L'opération de tri requiert en amont une éducation et une prise de conscience qui font défaut chez nous et, en aval, tout un circuit de recyclage qui n'existe pas davantage dans le pays. Le tri effectué au niveau des CET en Algérie consiste en la récupération par des entreprises privées de certains déchets en vue de les recycler. Cette situation est particulièrement préoccupante dans les grandes agglomérations urbaines.
Enfin, l'emplacement du site fait l'objet d'une étude conduite par les services appropriés.
D'une durée de vie limitée dans le temps, le site une fois rempli est restitué à la nature qui reprend alors ses droits. Que faire ?
Malgré l'état des lieux affligeant par lequel nous avons entamé notre exposé, nous voulons rester optimiste et saisir l'occasion de cette polémique pour sensibiliser la population à la question de l'environnement.
Car là réside le problème de fond. Si la pollution a atteint un tel niveau en si peu de temps, c'est parce que les gens polluent et massivement. Si massivement que chacun se donne bonne conscience en se disant que lorsqu'il jette une bouteille ou un sachet en plastique, il ne change rien à la situation globale car il ne fait qu'ajouter une quantité négligeable à la masse de déchets qui souillent plages, routes, parcs naturels, villes et villages. C'est oublier que l'énorme pollution constatée n'est que l'accumulation des petites pollutions individuelles.
Il n'y a pas d'autre solution que celle qui passe par un comportement civique et responsable de chacun, c'est-à-dire de tous. Tenir un discours écologique et faire dans la surenchère environnementale ne sert à rien si dans notre comportement quotidien on adopte une attitude contraire.
Rappelons cette évidence, ce constat de bon sens : ce qui menace le bois de Bouhlalou, comme les autres forêts, ce n'est pas le CET. C'est l'incivisme qui fait que chacun considère qu'en dehors de sa maison et de sa voiture, le reste de l'espace, plages, routes, forêts… n'est qu'une vaste poubelle, un espace destiné à accueillir les ordures dont on veut débarrasser sa propriété privée. C'est cet état d'esprit débridé qui pousse à la multiplication à n'en plus finir des décharges sauvages.
Autre grief fait au projet du CET, d'une autre nature celui-là : l'insuffisance de la concertation. On peut en effet toujours souhaiter davantage de concertation s'agissant d'un projet d'utilité collective.
Notons tout de même que ce projet est porté par le maire qui est un élu de la population et qu'il recueille l'assentiment des comités de villages de notre commune. Mais surtout, cette critique devient surprenante lorsqu'on sait qu'elle émane de ceux qui ont perturbé l'assemblée du village des Aghribs où ce thème a été débattu, et que c'est ce groupe qui a refusé que l'assemblée vote sur ce point. Relevons enfin que ce même groupe n'a demandé l'avis de personne pour entraver par la force la réalisation d'un CET au service de l'ensemble des citoyens de deux communes.
La seule «légitimité» de son action réside dans sa détermination à imposer son diktat.
Convenons cependant que parmi les inquiétudes exprimées au sujet du CET, toutes ne relèvent pas de la démagogie. Nous en retenons deux qui nous paraissent partagées par d'autres citoyens de la commune.
La première et la principale est que la construction d'un CET ne saurait concerner deux communes seules et qu'en réalité une dizaine d'autres viendraient déverser leurs ordures dans le CET de Bouhlalou. Vu l'état d'esprit qui prévaut aujourd'hui en Kabylie, il est évident qu'accepter d'ouvrir ce CET à ceux qui en ont refusé l'implantation chez eux revient à accorder une prime à l'incivisme en encourageant les comportements irresponsables. La seconde réticence exprimée tient dans ce que le projet ne prévoirait pas d'aménagement particulier du sol ni de tri et que, en fait de CET, il s'agirait plutôt d'une simple décharge.
A ces allégations, le maire, relayé par les responsables de l'environnement, maîtres d'œuvre du CET, oppose un démenti formel. Il produit les documents officiels du CET qui ne mentionnent que les communes de Fréha et des Aghribs et ces mêmes documents font bien état d'aménagements dont le coût s'élève à dix-sept milliards, somme conséquente pour un CET réservé à deux communes.
Les récalcitrants dont les motivations ne sont pas toujours liées à l'environnement ne se laissent pas convaincre par ces arguments et exigent davantage.
Mais refuser aujourd'hui le CET en agitant le mirage d'une «usine» chimérique sur un terrain consensuel imaginaire, de préférence chez le voisin, projet qui, à l'évidence, ne verra jamais le jour, c'est œuvrer activement à ce que toute la commune devienne une amas de décharges sauvages, à commencer par la forêt de Bouhlalou qui est bien partie pour puisqu'elle en compte déjà six.
Pour l'instant, force est de constater qu'il n'y a pas d'alternative au CET autre que celle qui consiste à accepter le statu quo, c'est-à-dire un pourrissement de l'environnement qui va s'amplifiant et qui met en péril la santé de la population.
Au terme de cet exposé, est-il utopique d'en appeler à la sagesse et à la solidarité de tous, ceux qui se sont positionnés contre ce projet d'utilité publique par manque d'information ou à la suite d'un jugement hâtif, comme ceux qui l'ont fait délibérément pour des raisons qui leur sont propres.
La noblesse d'esprit ne consiste pas à s'arc-bouter par orgueil sur une position erronée, il y a de la grandeur d'âme à savoir reconnaître son erreur et à mettre l'intérêt collectif au-dessus des considérations personnelles. Car, par delà le CET, nos villages n'ont nul besoin d'une autre ligne de fracture.


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