La vie ! c'était le mot qui hantait Rachid Mimouni (1945-1995), le mot qu'il prononçait à la fois avec ardeur et avec respect. Certes, il ne méprisait pas les rêves, il en usait au besoin, mais il les soumettait toujours à la réalité des choses, à la vraisemblance, à la vie. On peut dire que ce fut l'obsession de toute son existence d'écrivain et qu'il ne faillit jamais à mettre d'accord dans ses livres cet amour de la vérité qui était l'amour de l'humanité réelle, de la vie, avec son cerveau d'imaginatif, de rêveur et de poète. Il ne rêvait, il n'imaginait que dans la vie et avec la vie. Ce qui domine en effet, chez Rachid Mimouni, chez l'homme aussi bien que chez l'écrivain, c'est l'ardente passion de la vie. Elle éclate dans chacune de ses œuvres, elle envahit ses livres, elle déborde incessamment, parfois malgré lui, elle rayonne de lui comme d'un foyer inextinguible, et lui attirera ces inimitiés, incompréhensible vis-à-vis de l'homme de tendresse, de dévouement, de bonté, d'affection profonde qu'il se montra toujours, cet homme bienfaisant et d'humanité si grande, que tous ceux qui l'ont approché, que tous ceux qui eurent l'honneur et la joie de pouvoir devenir ses intimes, purent apprécier à sa juste valeur. C'est à cet amour de la vie, peut-être, qu'il dut d'être notre écrivain le plus vraiment évocateur de réalités. Réaliste, nul ne le fut plus sincèrement, plus entièrement que lui, qu'un unique démon possédait, l'éternel et renaissant souci de faire vrai, de peindre d'après nature, ainsi qu'en témoignent ses innombrables écrits. Comme il comprenait la portée si grande de toute œuvre qui la traduisait, cette vie ! Aucune merveille d'imagination ne valait pour lui la peinture exacte d'une chose vraie, d'un fait réel, d'une sensation sincère. Et cette foi en la vérité, il finissait par l'inculquer aux amis, aux jeunes gens, aux débutants qui l'entouraient et qui tous, ou presque tous, un jour ou l'autre, ayant suivi son conseil, créaient l'œuvre qui persuade, qui charme, qui émeut, l'œuvre qui a le cri de vérité et qui éclate vibrante, vivante elle-même au milieu des autres œuvres, la belle œuvre. Ce besoin de la vie n'excluait cependant pour lui ni l'imagination, ni l'invention, ni la composition, ni l'art. Mais pour qu'une œuvre eut quelque chance de solidité, de durée, il demandait pour elle cette base solide, sans laquelle elle ne pouvait être que précaire et imparfaite. On pourrait presque dire que dans son âpre et persévérante analyse, il a vidé cette large coupe de l'Humanité, où bouillonnait la liqueur dangereuse, mortelle, la liqueur de la vie, qui devait, foudroyant poison, le tuer si brusquement. Il n'est plus, mais son âme merveilleuse nous reste. Cette âme vivante, alerte, ailée, cette âme profonde et charmeuse, cette âme compréhensive nous la retrouvons éparse et variée dans chacun de ses livres, qui sont une parcelle lumineuse de lui-même, de ce qui survit de son être.