Entre les tarifs appliqués par les écoles privées et la qualité de l'enseignement dispensé, quel rapport y a-t-il à faire ? Je pense que le problème ne se pose pas en ces termes. Il y a d'abord l'hétérogénéité de ces écoles dites privées sur la plan de leur position spatiale, les origines sociales des élèves qui les fréquentent et de leur «réputation», ce qui augmente davantage leur prestige symbolique auprès des différentes catégories sociales qui sont déjà favorisées pour accéder à ces espaces scolaires socialement différenciés. Donc, l'enjeu ne se pose pas en termes de la qualité de l'enseignement dispensé puisque les programmes sont généralement du «copier-coller» des programmes de l'école publique, mais il se pose en termes de la problématique des pratiques pédagogiques et didactiques – parce que l'on paye – qui sont relativement différentes de celles qui dominent l'école publique. Mais dans les deux cas, soit dans le privé et le public, l'école et le système éducatif algérien restent anachroniques, loin des réalités nationales et de l'Algérie algérienne. L'enjeu est de taille puisqu'il concerne le contenu des programmes qui ne peuvent être réellement réussis que par un consensus autour de cette algérianité oubliée dans les programmes. Combien d'écrivains, dramaturges, hommes politiques et savants algériens… sont-ils valorisés dans ces programmes scolaires depuis l'indépendance pour assurer cette qualité d'enseignement qui, elle-même, assure la qualité de vie des Algériens avec eux-mêmes et avec leur environnement ? Les dernières polémiques idéologiques médiatisées par la presse écrite et audiovisuelle autour de l'école et de ses représentants officiels montrent à quel point le débat est piégé par des refoulés linguistiques et idéologiques transgénérationnels mettant l'Algérie dans un imaginaire d'échec empêchant toute forme de dynamique historique plus réflexive et citoyenne. Il faut rappeler que cette dynamique historique est otage de deux types : «arkounien» (Mohammed Arkoun) de l'ignorance, en l'occurrence l'ignorance sacralisée reproduite par une «pensée religieuse» anachronique et l'ignorance institutionnalisée assurée justement par la qualité des programmes de l'Ecole algérienne. Les écoles privées assurent en dehors de l'enseignement d'autres activités. Comment expliquez-vous ces dépassements ? Vu la problématique posée en haut, je vous confirme que la nature a horreur du vide. Il ne s'agit ni des dysfonctionnements de l'école publique ni de ceux de l'école privée, mais de l'absence d'un projet de société visible et consensuel qui donne sens à l'algérianité des Algériens. Face à ce vide, des stratégies individuelles et collectives se développent pour assurer l'investissement scolaire des familles algériennes culturellement et économiquement différenciées. L'existence des écoles privées, des lycées internationaux, l'émergence des cours supplémentaires à domicile, la scolarisation des enfants à l'étranger… ne peuvent être que l'expression des sentiments d'insécurité (sécurité psychologique, matérielle, existentielle…) et de méfiance qui hantent inconsciemment les Algériens dans leurs pratiques quotidiennes. C'est «l'âge» des débrouillards individuels en réactualisant des réseaux familiaux et d'amis pour faire face à un avenir incertain. Peut-on parler de business dans ce cas, ou bien l'école privée joue-t-elle le rôle de suppléant de l'école publique ? Répondre à votre question, c'est reproduire du sens commun. Or, les problèmes de fond qui se posent à l'Ecole algérienne qu'elle soit publique ou privée se résument en deux axes complémentaires et dialectiques : son évaluation rigoureuse et sa dépolitisation idéologique. Le reste n'est que spéculations stériles qui alimentent l'aliénation historique.