Des cérémonies qui, à chaque fois, provoquent l'irritation des autorités algériennes (pour qui les harkis ne sont que des « collabos»), avec lesquelles le gouvernement français voudrait pourtant enfin «tourner la page du passé», afin d'élargir une coopération économique et policière dont tout le monde a besoin –notamment dans la lutte contre le terrorisme. Mais ces cérémonies provoquent aussi la colère de nombreuses associations harkies, ulcérées par les promesses jamais tenues des candidats à la présidence de la République (promesses formulées par Nicolas Sarkozy le 31 mars 2007, puis par François Hollande le 5 avril 2012) d'une reconnaissance officielle de «la responsabilité de la France dans l'abandon et le massacre des harkis» en 1962. La question des harkis, ces civils algériens utilisés comme supplétifs par l'armée française pendant la guerre de Libération algérienne, constitue un des derniers blocages à une relation apaisée entre les deux pays. Trop de tabous, des deux côtés de la Méditerranée, empêchent de tourner la page de cette guerre et des souffrances qu'elle provoqua, et dont des milliers de personnes (enfants de moudjahidine, enfants de harkis, enfants d'appelés, enfants de tués, enfants de disparus, etc.) continuent aujourd'hui de souffrir. En Algérie, l'histoire officielle s'est construite sur le mythe d'un peuple uni qui se serait soulevé héroïquement en 1954 contre l'oppresseur colonial. Dans cette vision idéalisée, les harkis, «infâmes traîtres», ne représentent forcément qu'une minuscule minorité. Celle-ci se serait enfuie en France en 1962, et une juste vengeance populaire aurait tué les quelques restants. Depuis, la société algérienne ne serait composée que d'enfants de héros. La réalité est toute autre. Le nombre d'Algériens engagés dans les formations supplétives s'élève à au moins 250 000, soit 15% des hommes disponibles à l'époque. En face, les combattants de l'ALN (les moudjahidine) n'étaient guère plus nombreux. En 1962, seuls 25 000 harkis partirent en France. Pour ceux qui restèrent en Algérie, si plusieurs milliers furent effectivement assassinés, la majorité retourna dans son village sans être tuée. Ils se marièrent, eurent des enfants, puis des petits-enfants. Aujourd'hui, une partie de la société algérienne est héritière de leur histoire. En France, le discours martelé depuis cinquante ans par les héritiers des défenseurs de l'Algérie française cherche à imposer comme une évidence que pour les harkis, il n'aurait existé en 1962 qu'une alternative : s'enfuir en France ou être « massacrés » jusqu'au dernier – certains parlent même du « génocide des harkis ». Cette fausse évidence, combinée à l'image de harkis engagés par «amour du drapeau français », est utilisée pour tenter de légitimer le combat des anciens ultras (militaires putschistes et terroristes de l'OAS), qui disent en substance : «Nous avions raison de nous battre contre les ‘‘fellaghas''», car nous défendions les «bons musulmans» (les harkis) contre des «barbares » (du FLN). Ces derniers ont d'ailleurs démontré leur «barbarie» en exterminant les harkis lorsque de Gaulle a honteusement abandonné l'Algérie. Ce discours repose sur deux erreurs historiques : d'une part, la motivation principale des harkis à s'engager «chez les Français » était la misère dans laquelle le système colonial maintenait les masses paysannes depuis 130 ans. Et d'autre part, la majorité des harkis est restée en Algérie sans être «massacrée». Si on veut enfin tourner la page de ce passé colonial qui continue de miner les sociétés française et algérienne, des efforts de vérité doivent être consentis des deux côtés. En Algérie, on doit reconnaître que les harkis n'étaient pas d'«infâmes traîtres», mais eux aussi des victimes de l'oppression coloniale. En France, on doit dissocier l'abandon planifié des harkis en 1962 (fait réel et scandaleux dont l'Etat français est en effet responsable, et qui de plus fut suivi par l'internement dans des camps de relégation d'une partie des 25 000 rapatriés et leur famille) d'un «massacre» dont la réalité reste historiquement très incertaine et dont, quoiqu'il en soit, l'Etat français n'est pas responsable.