La steppe algérienne qui comprend 27 millions d'hectares selon le HCDS est, ou plutôt, était constituée de 3 espèces principales. La première, l'alfa s'étendait sur près de 4 millions d'hectares et constituait l'espèce clé de cet écosystème. Malheureusement et quoiqu'en disent les statistiques et estimations officielles, aux chiffres, quelquefois ubuesques, l'alfa de plaine est en train de disparaître. Le cas est particulièrement dramatique dans le Sud oranais, ancienne « patrie » de cette espèce, qui en recelait de si vastes étendues, qu'on appelait jadis « mer d'alfa ». Aujourd'hui, il n'en existe que de rares lambeaux éparpillés ça et là et condamnés à disparaître. Seules les régions de Stitten (El Bayadh) et surtout la bande frontalière, jouxtant le Maroc, s'étendant d'El Aricha à Gaâloul (Naâma), comptent encore d'appréciables nappes plus ou moins conservées. La bande frontalière, la plus importante et intéressante, se révèle une zone écologique d'une richesse faunistique et floristique uniques, préservant encore des vestiges de l'alfa de plaine. Cette région, d'environ 150 km de long sur 15-20 km de large, est interdite d'accès par arrêté du wali de Naâma, sur proposition de la Conservation des forêts. Ce no man's land, qui n'a été rendu possible que grâce à l'implication de l'armée, notamment les gardes-frontiers (GGF), s'est révélé salutaire pour la préservation provisoire de cet écosystème. L'abondance de l'alfa (stipa tenacissima), de l'armoise (artemisia herba-alba), de différents hélianthèmes (genre helianthemum) ainsi que de nombreuses annuelles et lichens, dont certains sont très rares en dehors de cet espace, permettent l'installation d'une faune mammalienne, portée disparue en zone steppique, comme la gazelle dorcas (gazella dorcas), ou des montagnes appelée également gazelle de cuvier (gazella cuvieri). L'avifaune n'est pas en reste, car on y retrouve, par exemple, une population relativement abondante d'outarde houbara (chlamydotis undulata) alors qu'elle est rarissime ailleurs. Ceci a permis la mise en place d'un projet transfrontalier de multiplication, en vue d'éventuels lâchers de l'outarde houbara. Ceci passe par l'inventaire des nids existants. Il est notamment financé par les Emirats arabes unis de concertation avec la Conservation des forêts de Nâama. Les Emiratis sont mieux appréciés par la population locale que leurs homologues du Moyen- Orient qui ne se soucient que de chasse et de ripaille. Les régions avoisinantes sont très dégradées et ensablées. A mesure que l'on s'achemine vers la zone frontalière en venant d'El Aricha, on est marqué (frappé) par la dénudation des parcours au pâturage libre, leur conférant un paysage quasi lunaire, contrastant avec celui, verdoyant et giboyeux de la zone protégée. La preuve, s'il en fallait une, que le véritable ennemi de la steppe n'est pas uniquement la sécheresse mais surtout la dent de l'animal. Malheureusement, ce petit havre de verdure dans l'actuel océan de désolation qu'est le Sud oranais (et même probablement de toute la steppe algérienne !) est lui aussi menacé de disparition. En effet, les gardes-frontières, malgré leur vigilance et leur abnégation, sont harcelés par les éleveurs, notamment les gros éleveurs, qui empiètent de plus en plus souvent dans cette zone, nonobstant les amendes qu'ils encourent. Celles-ci sont dérisoires par rapport au gain escompté en faisant pâturer un troupeau important (de 300 à plus de 1000 têtes) gratuitement. Ils narguent, voire menacent, les militaires en usant de tous les expédients possibles. Bien que l'intégrité et le patriotisme des GGF aient permis jusqu'ici de sauvegarder ce petit joyau, le combat est en train d'être perdu. La dégradation de la steppe concomitante augmente, la convoitise sur ces espaces protégés des éleveurs qui représentent dans la région une force politique, économique et sociale déterminante. La pression est telle qu'à l'extrémité Nord de cette zone, proche d'El Aricha, des habitations en dur (façon de s'approprier le terrain !) ont vu le jour dans la zone mitoyenne ou même dans la zone protégée, grâce, le comble, au crédit ou aux subventions octroyés par l'administration dont la wilaya, celle-là même qui a décrété l'interdiction de pâturer. C'est un cas classique d'antagonisme, observé dans le monde entier, entre les besoins environnementaux de protection et les besoins économiques de la population. Car cette dernière n'arrive pas à admettre l'effet du surpâturage malgré son évidence et, surtout, réaliser qu'elle est en train de scier la branche d'arbre sur laquelle elle est assise. Les militaires sur le terrain sont excédés par ces habitations qui leur font un pied de nez et sont totalement démoralisés par cet acte désolant. Ils attendent que les politiques assument leurs actes et soient cohérents. Il est, d'ailleurs, à craindre que la wilaya, malgré sa bonne volonté et la promulgation de son arrêté salvateur, finisse par plier devant la pression des éleveurs en annulant l'arrêté (car elle semble avoir commencé à céder avec l'octroi du permis de construire) ou que les gardes-frontières, écœurés, finissent par fermer les yeux sur ces empiètements incessants. Car ne l'oublions pas, leur rôle premier c'est de surveiller les frontières. D'ailleurs, il est facile de constater, qu'une fois franchi le dernier barrage militaire en venant d'El Aricha, quand on accède au no man's land, l'armoise blanche, qui régénère plus vite, apparaît en premier et ce n'est que quelques kilomètres plus loin que l'alfa apparaît, ce qui montre que l'espace n'est pas intégralement préservé et que des incursions y sont menées à l'intérieur. Des chercheurs biologistes de l'université de Tlemcen ont déjà mis l'accent sur l'importance de cette région et la nécessité de sa protection. D'autres, appartenant à l'université Houari Boumediène d'Alger, travaillant dans le Sud oranais depuis 1975, ont observé que la nappe à alfa recule de plus en plus, et qu'en l'espace de quelques années, elle a subi une diminution considérable à l'intérieur même de la zone protégée, amputée de plus des deux tiers de sa superficie originelle. Ils ont notamment observé qu'au Sud, près de Gaâloul et Gaâret Rima, les nappes à alfa ont pratiquement disparu alors qu'il y en avait encore de belles, il y a moins d'une décennie. La dégradation est très rapide et dans moins d'une dizaine d'années, il est à craindre qu'il n'y aura plus d'alfa de plaine dans la zone protégée et par conséquent, dans tout le Sud oranais. L'alfa disparaîtra probablement à jamais, car ne l'oublions pas, il ne régénère pas en milieu steppique. La reproduction par semis y étant impossible, la multiplication ne se fait que par reproduction végétative (par éclats de souche). Ne perdons pas de vue également que c'est l'existence d'un écosystème à alfa en bon état qui a permis le maintien du dernier foyer à gazelles et à outardes de la steppe. Dans leurs travaux se rapportant à la région, des scientifiques de l'USTHB proposent les recommandations suivantes : 1- Interdiction de l'accès à la zone par arrêté ou décret ministériel, appuyant l'arrêté de la wilaya provenant du ministère de l'Environnement ou de l'Agriculture. A ce titre, ils soulignent l'urgence à décréter la zone de la bande frontalière, très bien délimitée sur imagerie satellitaire comme aire protégée, dont l'accès à la population doit être strictement réglementé. 2- Augmenter le montant des amendes, actuellement ridicules, de façon à ce quelles soient dissuasives ; le montant des amendes se fera au prorata de l'effectif incriminé. En cas de récidive, le cheptel, dans sa totalité ou en partie, pourrait être directement confisqué. 3- Augmenter l'aire protégée d'au moins 5 km en largeur (en visant 10 à 15 km) en excluant les habitations déjà implantées et en les dédommageant par des mesures qui relèvent des compétences de l'administration locale. Ces mesures doivent s'accompagner de missions de sensibilisation auprès des populations autochtones. L'impact potentiellement très positif sur le tourisme (en cas d'accès contrôlé), pourrait changer radicalement la perception de la population. Seule une mobilisation et une coordination sans faille de tous les services concernés peut sauver ce petit éden steppique, voué à une rapide disparition, au risque de n'avoir, plus tard, que nos yeux pour pleurer pour déplorer la perte de ce « paradis perdu ». H. R. , Ouchène R.