La catastrophe la plus meurtrière de l'histoire du hadj est intervenue dans un contexte géopolitique sous haute tension. Après le drame, de nombreuses voix se sont élevées pour contester l'organisation saoudienne du pèlerinage. Parmi les pays les plus insistants, la Turquie et surtout l'Iran ont ouvertement évoqué la responsabilité de Riyad dans le tragique déroulement du hadj cette année. Ces critiques ont fait sortir de son mutisme le roi Salmane d'Arabie Saoudite qui a réagi, pour la première fois cette semaine, en déclarant : «Le royaume ne permettra jamais à quiconque agissant en coulisses de remettre en cause l'organisation» saoudienne du hadj. Dans le cas où plusieurs pays voudraient partager les responsabilités dans l'organisation du hadj, il existe déjà un cadre pour le faire : l'Organisation de coopération islamique (OCI) qui représente tous les pays musulmans avec 57 Etats membres. Un ancien cadre de cette institution nuance : «On assiste depuis deux ans à une véritable prise de pouvoir des Saoudiens dans cette organisation. L'OCI est basée à Djeddah. Les demandes turques et iraniennes sont donc impossibles à satisfaire, car elles ne peuvent se réaliser qu'avec l'OCI qui est elle-même vouée à la cause de Riyad.» Pour ce même observateur, les positions turques et iraniennes doivent être différenciées : «La demande turque est difficile à prendre au sérieux. Je pense que les Turcs jouent un peu le rôle de lièvre pour les Saoudiens. Ils étaient en charge de l'OCI quand ils détenaient le poste de secrétaire général. Or ils ont laissé les Saoudiens s'emparer de ce poste alors qu'il était dévolu à un pays africain. Il y a une concordance entre les intérêts turcs et saoudiens.» Le coup de poing iranien sur la table est quant à lui plus sérieux. Au sein même de l'OCI, la présence du géant perse est marginale. L'Iran a donc tout intérêt à mettre la pression pour que les Saoudiens réagissent. Ils s'attaquent à un point névralgique du pouvoir saoudien, le pèlerinage, dont la manne financière – d'environ 40 milliards de dollars par an – représente une ressource vitale pour la monarchie. Médiation L'Arabie Saoudite traverse une période critique de son histoire et craint de plus en plus la montée en puissance de l'Iran. C'est ce que nous confirme un ancien diplomate : «L'Arabie Saoudite est actuellement débordée par le regain de force des chiites. Elle n'est pas un allié stratégique pour les Américains, les Saoudiens n'ont plus d'influence sur leurs voisins comme les Emirats arabes unis, ni sur le Qatar. Ils ont essayé d'enclencher des réformes qui ont tardé à venir. Les chiites représentent une puissance organisée, disciplinée. Les Occidentaux ont toujours été fascinés par la Perse, son histoire et sa culture. C'est un modèle qui présente beaucoup d'attractivités pour les Occidentaux, contrairement aux Saoudiens, qui à part pour l'aspect business, ne suscitent aucune sympathie.» L'Iran veut ainsi faire disparaître le lien important pour beaucoup de musulmans entre l'Arabie Saoudite et les Lieux Saints, pour isoler un peu plus son rival. Mais cette démarche n'a que peu de chance d'aboutir «à moins de s'entendre avec les grandes puissances sur la nécessité de réduire l'Arabie Saoudite à sa plus simple expression», relève notre source. En d'autres termes, si un consensus se forme entre les principales puissances pour arrêter de soutenir l'Arabie Saoudite au profit de l'Iran, l'équilibre pourrait changer. L'Algérie, sur ce dossier, continue de se faire discrète sur le plan médiatique, même s'il existe une communication soutenue entre Alger et Riyad au sujet de l'avancement de l'enquête sur les causes du drame de Mina. Même s'il existe des affinités avec l'Iran, la diplomatie algérienne veille à ne pas froisser ses homologues saoudiens, faisant ainsi à un exercice d'équilibriste assez difficile. Cette position ouvre la voie à Alger pour jouer plus tard un rôle de médiation entre les différentes parties comme elle a pu le faire lors de la crise au Yémen.