Le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, a une nouvelle fois critiqué, hier, et ce avec une extrême virulence, le royaume d'Arabie Saoudite avec lequel son pays est en crise ouverte depuis une année. Cette crise a commencé avec le décès, l'année dernière, de 464 Iraniens lors d'une bousculade à La Mecque. Cette bousculade, qui a eu pour théâtre Mina, avait fait 2300 morts parmi les pèlerins. Les autorités iraniennes avaient alors remis en cause de façon frontale la capacité de Riyad à gérer les Lieux Saints de l'islam (La Mecque et Médine). Depuis, les relations entre les deux puissances régionales rivales n'ont cessé de se dégrader au point où l'Arabie Saoudite a décidé, au lendemain de l'attaque de son ambassade à Téhéran en janvier dernier par des manifestants protestant contre l'exécution du cheikh Nimr, une figure de la contestation chiite contre le régime saoudien, de les rompre carrément. Ces deux événements ne sont en réalité que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, puisque les motifs des divergences entre les deux pays étaient déjà nombreux. La Syrie, le Yémen et l'Irak sont autant de dossiers sur lesquels Téhéran et Riyad s'affrontent à couteaux tirés. La tension a véritablement commencé à s'exacerber après la signature, en juillet 2015, de l'accord sur le nucléaire iranien qui a permis à l'Iran de sortir la tête de l'eau et d'amorcer son retour sur la scène internationale. Pacte avec l'ennemi L'ayatollah Ali Khamenei a notamment reproché à l'Arabie Saoudite d'être la cause de l'affaiblissement du monde musulman et de l'entrée du loup dans la bergerie. Entendre Israël et les Etats-Unis. «Le monde musulman, aussi bien les gouvernements que les peuples, doit connaître les dirigeants saoudiens et leur nature irrévérencieuse, non croyante et dépendante», a-t-il dénoncé dans un message adressé avant le début du hadj, dont seront privés cette année les Iraniens faute d'accord avec l'Arabie Saoudite. C'est la première fois depuis près de 30 ans que des Iraniens ne sont pas autorisés à aller à La Mecque. «Les dirigeants saoudiens qui ont bloqué le chemin du hadj aux fidèles iraniens sont des égarés honteux qui voient la continuation de leur pouvoir oppressif dans (...) l'alliance avec le sionisme et les Etats-Unis et ne renoncent à aucune trahison sur ce chemin», a dénoncé M. Khamenei. Dans la foulée, le guide suprême iranien a appelé les musulmans à «réfléchir sérieusement à la gestion des deux Lieux Saints» se trouvant en Arabie Saoudite. «Sinon, prévient-il, le monde musulman sera confronté à des problèmes plus grands.» En clair, Téhéran veut que la gestion de La Mecque et de Médine soit retirée à Riyad. Ce n'est pas la première fois que l'Iran dénonce le contrôle exercé par Riyad sur ces Lieux Saints. Il a déjà eu à le faire par le passé. Ira-t-il aujourd'hui jusqu'à monter un front contre Riyad ? Rien n'interdit de le penser. Les Lieux Saints sont gérés par l'Arabie Saoudite dont le roi porte le titre de Serviteur des deux Lieux Saints, et ce, depuis le défunt roi Fahd. La question de leur gestion avait déjà été remise avec fracas sur le tapis après la catastrophe de Mina. L'opinion ne connaîtra sans doute jamais la vérité sur les circonstances réelles de ce drame, ni sur les responsabilités, car la commission d'enquête n'est pas indépendante et toute défaillance constatée éclaboussera directement la légitimité saoudienne à garder les Lieux Saints. Pour faire diversion, la plupart des médias saoudiens ont évoqué d'ailleurs un «complot terroriste» iranien. Menaces et colère Cela n'a cependant pas empêché plusieurs pays et organisations islamiques de saisir l'occasion pour poser la question du «statut du sanctuaire de La Mecque, en demandant une internationalisation, soit des Lieux Saints, soit de leur gestion». Ce fut le cas de l'Iran bien sûr, mais aussi des pays africains et de nombreuses organisations musulmanes. Même un dirigeant de l'AKP en Turquie avait proposé que son pays organise le hadj, car «les Lieux Saints de l'islam appartiennent à tous les musulmans». En réalité, une telle demande remonte aux années 1980. Au-delà des ratés de la gestion saoudienne, il faut convenir aussi que les critiques soulevées ici et là ne sont pas exemptes d'arrière-pensées. Le pays qui contrôlera les Lieux Saints en tirera bien évidemment une légitimité et une influence accrues. Tout l'enjeu est là. Cela, tout le monde semble l'avoir bien compris. Les tragiques événements de l'année dernière sonnent toutefois comme un avertissement adressé aux autorités saoudiennes. Celles-ci savent désormais que d'autres incidents entacheraient gravement leur légitimité, celle de gardien des Lieux Saints et de tout le royaume. C'est, sans doute, la raison pour laquelle l'Iran tente de mettre aujourd'hui à fond la pression sur la famille des Al Saoud.