Accroché à flanc de colline entre le chemin forestier et le quartier du Chalet des Pins, en aval de la faculté de médecine domiciliée sur le même site, le foyer féminin du Bon Pasteur est le refuge, depuis des lustres, d'enfants nés sous X ou faisant l'objet d'un placement judiciaire par le juge des mineurs, sous la responsabilité de la Direction de l'action sociale (DAS). Elles sont 38 femmes à y vivre, dont 22 mineures. La plus jeune a 6 ans et la plus âgée 48 ans, pensionnaire du foyer depuis l'âge de 6 ans. Au même titre que 15 autres pensionnaires ayant dépassé l'âge légal de la majorité, toute cette communauté s'accroche désespérément à son « territoire » faute d'en avoir trouvé un autre en rapport avec ses rêves et ses aspirations. Djamila, 23 ans, issue d'une famille de dix enfants, est pensionnaire de ce foyer depuis 4 ans suite à un placement judiciaire du juge pour mineurs de Médéa dont elle est originaire. Dans un premier temps victime de sévices de la part d'un père alcoolique et d'un frère accro aux drogues dures et aux psychotropes, elle vivra très mal la décennie noire du terrorisme pour avoir assisté à son corps défendant à de terribles scènes d'horreur qu'elle veut aujourd'hui occulter à jamais de son esprit. Selma, 18 ans, amie inséparable de Amira, a vécu un drame différent, mais qui semble avoir laissé autant de séquelles dans son esprit profondément fragilisé par les épreuves qu'elle a endurées. Pensionnaire de ce foyer depuis trois ans suite à un placement judiciaire ordonné par le juge des mineurs, elle a été rejetée par ses parents divorcés. Elle a vécu le calvaire entre un père alcoolique et une mère remariée, qui a cédé aux exigences de son nouvel époux, qui a refusé la progéniture de sa compagne composée de deux garçons, placés au foyer pour enfants assistés de Djebel Ouach, et Selma qui tente aujourd'hui de surmonter cette terrible épreuve. Au même titre que son amie Amira, elle suit à présent une formation en couture et broderie qui lui permettra peut-être un jour de sortir la tête de l'eau. Mme Wassila Ferrah, directrice de cet établissement, tente tant bien que mal de colmater les brèches ouvertes dans la chair et les sentiments de ses 38 pensionnaires. Secondée par deux psychologues, un médecin, une assistante sociale et plusieurs éducatrices, elle tente de compenser la grande famille qu'elles n'ont pas connue ou, pire, qui les renie. A ses yeux, l'action d'insertion est une réussite. « Les 16 pensionnaires majeures ont une activité professionnelle dont 7 sont intégrées dans le cadre du filet social. Quant aux mineures, 3 sont scolarisées dans le cycle primaire, 4 dans le moyen et 5 suivent une formation dans différentes filières de la formation professionnelle, et notamment dans les métiers manuels féminins. Parmi nos pensionnaires, figurent également 5 handicapées moteurs et 9 souffrant de troubles psychiques plus ou moins importants, et dans ces cas de figure, on fait tout ce qui est en notre pouvoir pour les intégrer soit dans le circuit éducatif, soit dans le monde du travail. Elles bénéficient également d'activités culturelles, de loisirs, de sorties en plein air et de séjours en bord de mer durant la période estivale. » Elle parlera longtemps des projets qu'elle nourrit pour adoucir un tant soit peu la vie de ses filles, comme elle les appelle, « modelées par la vie très dure qu'elles ont menée, tient-elle à préciser, les pensionnaires les plus âgées arrivent à coup d'amour et d'affection authentiques à briser le mur du silence affiché par les plus taciturnes et les plus solitaires. Se sachant observées, jugées, critiquées, celles-ci sont en effet méfiantes et finissent souvent par se recroqueviller dans leur coquille, devenant casanières à outrance et associables, en s'aliénant à leur détresse et à leur solitude. » Fort heureusement, ajoutera la directrice du foyer, les activités d'animation et le soutien apporté par l'ensemble de l'encadrement contribuent efficacement à remplir leurs moments libres, leur évitant ainsi de sombrer sous l'emprise de l'oisiveté qui peut, à ce niveau, anéantir tout effort d'intégration.