Le 20e Salon international du livre d'Alger (Sila) commence par une journée professionnelle réunissant des éditeurs algériens et françaises à la salle El Djazaïr, rénovée mais pas totalement opérationnelle. Jean Guy Boin, directeur du Bureau international de l'édition française (BIEF), se félicite de «la reprise» des discussions entre Algériens et Français et de l'adoption d'une nouvelle loi sur le marché du livre en Algérie. Il a plaidé pour «l'aide publique» à la coédition. «Mais l'initiative revient d'abord aux éditeurs», a-t-il prévenu. Les Centres algérien et français du livre ont signé une convention de coopération en décembre 2014. Le BIEF regroupe 280 éditeurs français. Jean Guy Boin a estimé que le coût d'achat d'un livre en Algérie est moins élevé qu'en France. Des perspectives de partenariat ont été discutées lors de cette journée en présence de Hassan Bendif, directeur du Centre national du livre (CNL), qui a annoncé que l'Algérie a dépensé ces dernières années plus de 100 millions de dollars pour soutenir le livre. En tout, 8000 titres ont bénéficié de cet appui étatique. Le directeur du CNL a précisé que la nouvelle loi sur le livre organisera la fabrication et la distribution du livre en Algérie une fois les textes d'application promulgués. Il a annoncé que 525 titres ont été édités en Algérie en 2015. Pour sa part, l'universitaire Mustapha Haddab a relevé que les étudiants algériens éprouvent encore beaucoup de difficultés à trouver des ouvrages en sciences sociales dans les librairies. Promouvoir les sciences sociales en Algérie, voilà un débat qu'il faut lancer en urgence. La toponymie et la normalisation toponymique ont fait l'objet d'un débat riche en présence notamment des Algériens Brahim Attoui, du Marocain Lhoucine Aït Bahcine, et la canadienne Helen Kerfoot. La chercheuse Ouerdia Sadat Yermeche a relevé que le colonialisme français a dénaturé les noms des lieux et des familles en Algérie. Elle a cité la loi du 23 février 1882. «Ce texte avait pour but d'effacer l'identité algérienne et de démanteler les grandes familles algériennes», a-t-elle soutenu. La plupart des intervenants ont demandé la normalisation des noms propres en Algérie. – Vendredi 30 octobre Au stand de l'Esprit Panaf, une dizaine d'éditeurs africains exposent leurs livres. Chaque pays est représenté par un auteur comme le Bénin, le Mali, le Congo-Brazzaville, le Burkina Faso, le Sénégal, le Cameroun, la Tunisie… La Guinée marque sa présence pour la première fois. «Nous avons demandé à chaque maison d'édition de nous proposer un auteur et d'exposer ses dernières parutions. Nous recevons aussi deux jeunes plumes africaines, Armand Gauz de Côte d'Ivoire, et Nii Ayikwei Parkes du Ghana qui ont décroché un prix du Premier roman», a précisé Karim Cheikh, responsable de l'espace Esprit Panaf depuis trois ans. A la salle Sila, une rencontre sur l'édition numérique est prévue. Certains intervenants ne sont pas venus, comme Adel Bentoumi et Sofiane Lounis, des cadres d'Algérie Télécom qui devaient intervenir sur «Fi maktabati, première bibliothèque numérique algérienne». L'écrivain libanais Rachid Dhaïf a parlé de son expérience dans l'édition numérique. Selon lui, cette forme d'édition a de l'avenir dans la région arabe en raison de l'intérêt que portent les jeunes pour les smartphones et les tablettes. La Française Marianne Durant a, pour sa part, estimé que le numérique n'a pas tué le livre jeunesse. «On va assister à d'autres formes d'écriture plus adaptée au numérique et à une lecture plus hachée», a-t-elle prévu. Mathias Enard, qui aura le prix Goncourt quelques jours plus tard pour son roman Boussole, a parlé de la langue arabe. Il a regretté que la littérature arabe ne soit pas suffisamment connue en Occident «malgré ce qu'elle apporte à la littérature universelle». – Samedi 31 octobre L'écrivain irakien Samuel Shimon, invité pour présenter son œuvre à la faveur des «Estrades» du Sila, n'a pas fait le déplacement en Algérie. L'Algérien Waciny Laredj est venu présenter son dernier roman 2084, hikayet al arabi al akhir (2084, l'histoire du dernier Arabe), paru aux éditions Enag à Alger. Le romancier a préféré le salon d'Alger à celui de Beyrouth pour dévoiler le contenu de son œuvre. «La prophétie de Waciny Laredj va-t-elle se réaliser après 69 ans ?», s'interroge la gazette du Sila, Sila news. «J'évoque dans mon roman les dernières transformations qui sont parfois brutales dans le monde arabe. Ce n'est pas un essai, mais un roman. Il y a une dislocation de la société arabe qui se fait d'une manière claire. Il n'y a qu'à citer le cas du Soudan et du Yémen. Le nouveau système ‘‘mondial'' veut se baser sur les ethnies et les langues. Je me suis projeté un siècle après le roman de Georges Orwell (1984). Au niveau des représentations médiatiques, artistiques ou littéraires, l'Arabe est toujours présenté comme terroriste. La visibilité de l'Arabe moderne, intégré à son époque, est presque nulle», a estimé Waciny Laredj. Qu'en est-il de la ressemblance du titre avec le roman de Boualem Sansal ? «J'ai exprimé mon étonnement en découvrant le titre du roman. Sansal est libre de faire ce qu'il veut, ça n'empêche pas d'avoir des réticences par rapport à l'idée. J'ai écrit un petit texte sur facebook. La presse nationale l'a repris. Il y a eu une polémique. Je n'incrimine pas l'écrivain et je ne l'accuse pas de plagiat», a ajouté le romancier, qui dit ne pas être d'accord avec les idées de Boualem Sansal. – Dimanche 1er novembre Le dernier roman de Boualem Sansal est introuvable au stand Gallimard. L'éditeur français a curieusement choisi de ne pas proposer ce livre aux visiteurs du Sila. Pour quelle raison ? Aucune explication. «Le livre sera disponible après le Salon», a répondu une responsable du stand. Un jeune homme demande à la même personne Voyage au bout de la nuit de Céline. Introuvable aussi. Par contre, les amateurs de Orhan Pamuk, Albert Camus et Milan Kundera sont bien servis. Le Malien Intagrist El Ansari est un homme optimiste. Il a prévu «un bel avenir» à l'Afrique. «Le continent saura être au rendez-vous des enjeux du XXIe siècle», a-t-il dit lors d'un débat à l'espace Panaf. Intagrist El Ansari, qui est également journaliste, vient de publier Echo Saharien, un récit de voyage sur un retour au Sahel. L'Histoire s'est bien entendu invitée en ce jour-anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale. Les débats étaient parfois passionnés, surtout autour des massacres du 8 Mai 1945. La Française Claire Mauss-Copeaux a refusé de parler de génocide, alors que l'Allemand Harmut Elsenhans a estimé qu'il ne fallait pas faire de parallèle entre les horreurs nazies et le colonialisme français en Algérie. «Nous pouvons demander à la France amie qu'elle peut reconnaître les crimes commis en Algérie. Il y a des documents et des images qui prouvent ces crimes coloniaux», a estimé le chercheur en histoire Mohamed Abbas. Le journaliste Youcef Farhi est allé dans le même sens. «Il faut remplacer le terme ‘‘crimes coloniaux'' par extermination coloniale», a-t-il suggéré. L'universitaire Aïssa Kadri a salué les travaux faits par les jeunes historiens algériens et franco-algériens sur la guerre de Libération nationale. Des travaux qui respectent les règles scientifiques de recherche. Sauf que la plupart de ces travaux restent inaccessibles pour le public. L'écriture de l'Histoire, Aïssa Kadri le sait parfaitement, n'est pas une affaire d'échanges entre gens savants autour de pots de café fumant. – Lundi 2 novembre Le Haut commissariat à l'amazighté (HCA) marque sa présence au Sila par la présentation d'une vingtaine de titres dont sept romans et trois recueils de poésie. Au stand Dalimen, Leila Aslaoui est présente chaque jour pour la séance de vente-dédicace de son premier roman Chuchotements. L'ex-ministre et juge a publié ces dernières années plusieurs essais et réflexions. Chez le même éditeur, Arezki Metref publie, de son côté, Le jour où Mme Carmel sortit son revolver, un recueil de nouvelles. «J'évoque des souvenirs d'enfance durant la guerre de Libération nationale dans un quartier d'Alger. Il y a un aller-retour entre le présent et le passé qui montre comment ma génération a été structurée par ce regard sur la guerre, par ce que je peux appeler une maturité politique. Encore enfants, nous avions compris que quelque chose de très grave se passait. J'étais dans une école à moitié occupée par les militaires», a relevé Arezki Metref. Mme Carmel ? Une institutrice qui avait une arme… Prévue à l'estrade, la romancière algérienne installée à Beyrouth, Fadéla Al Farouk, n'est pas venue elle aussi. Même chose pour Rachid Boudjedra. Ces écrivains ont-ils du respect pour leurs lecteurs ? Pas de réponse pour l'instant. Rachid Boudjedra, qui était attendu pour revenir sur ses cinquante ans, a déclaré qu'il était… marginalisé. Un journaliste d'Ennahar TV, qui l'a invité sur le plateau, lui a demandé : «Puisque vous dites que vous n'êtes pas athée, allez-vous dire aux algériens que vous êtes musulman ?» Maïssa Bey, une habituée du Sila, a parlé, aux côtés de la critique Najet Khada, avec beaucoup de sincérité, de son dernier roman Hizia, paru aux éditions Barzakh. Elle a pris appui sur l'élégie de Benguittoun, Hizia, pour raconter une histoire contemporaine d'une jeune fille algéroise aspirant à vivre tout simplement. «Ma mère me chantait le refrain de Hizia quand j'étais petite. En me penchant sur notre histoire, notre poésie, notre patrimoine culturel, j'ai redécouvert la beauté et la profondeur de ce poème. Il y a une telle authenticité dans l'écriture de Benguittoun. Hizia est une histoire vraie, pas une légende. Une histoire qui remonte à la fin du XIXe siècle», a souligné Maïssa Bey. – Mardi 3 novembre En mission à Paris, Nouria Benghebrit, ministre de l'Education, n'a pas fait le déplacement au Sila pour assister à l'ouverture de la rencontre «L'école et le livre». Une rencontre que le ministère de l'Education a organisée. Erreur d'agenda ? Mohamed Daoud, Hocine Chelouf, Mokhtar Abdessalem et Farid Benramdane ont débattu de la présence de la littérature algérienne contemporaine de langue arabe et sa place à l'école, des manuels scolaires en langue arabe et sur la littératie et les programmes scolaires en Algérie. Assise à côté d'un bouquet de roses, Hadjer Kouidri a signé son nouveau roman, paru aux éditions El Ikhtilaf à Alger et Al Dhifaf à Beyrouth. «Je propose un projet romanesque dans lequel je continue de creuser dans la période ottomane en Algérie. Mon nouveau roman ne complète pas mon précémardident, Nawrass Bacha, mais se déroule dans une atmosphère similaire. Al Raïs est une tentative de dresser le portrait de Raïs Hamidou, le seul Algérien qui avait réussi à s'imposer en tant qu'amiral. Il était originaire des Issers. Il n'était ni turc ni koroghli. Je m'intéresse donc à une période historique d'avant le colonialisme français. Une période peu connue», a-t-il souligné. L'époque ottomane est encore peu explorée par les romanciers algériens. Idem pour le Moyen-âge nord-africain. «Il faut écouter les nouvelles voix de la littérature algérienne. Le plus important est que les jeunes écrivains persistent sur le même chemin et continuent à être présents», a plaidé Hadjer Kouidri. Maïssa Bey, marraine du concours de la Meilleure nouvelle fantastique organisé par l'Institut français d'Algérie, a assisté à la cérémonie de remise des prix à l'Espace France. Le prix a été décroché par le jeune Walid Sidi Saïd. – Mercredi 4 novembre Au chapiteau de l'hôtel Hilton, la plupart des invités du 20e Sila se retrouvent pour la cérémonie de remise du premier prix Assia Djebar du roman. Dix ministres font le déplacement à cette cérémonie fort attendue par les éditeurs et les auteurs. Merzac Begtache, président du jury, a, avant l'annonce des résultats, défendu la modernité. Une modernité que porte le roman algérien. Le prix en langue arabe est revenu à Abdelwahab Aïssaoui pour son roman Sierra De Muerte (Les montagnes de la mort) qui racontent l'histoire de Républicains espagnols détenus du côté de Djelfa. Le livre a été édité par la maison de la Culture d'El Oued. C'est tout le drame des jeunes écrivains de l'intérieur du pays qui trouvent toujours d'immenses difficultés pour se faire éditer. Le prix pour le roman en tamazight a été attribué à Rachid Boukheroub pour son roman Tislit n'oughanim (La poupée de roseaux) paru aux éditions El Amel. Et le prix du roman en langue française est revenu à Amine Aït El Hadi pour L'aube au-delà, publié par les éditions Aden. Les romans parus en co-édition ne sont visiblement pas retenus par le jury qui a reçu 76 ouvrages représentant une trentaine d'éditeurs. «Le jury nous a permis de découvrir trois nouveaux noms de l'écriture romanesque. J'espère qu'ils vont continuer le chemin de la création pour rejoindre les grands noms de la littérature algérienne comme Mohammed Dib, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Abdelhamid Benhadouga et Tahar Ouettar», a déclaré Azzedine Mihoubi, ministre de la Culture. Le stand Panaf a abrité un intéressant débat sur le théâtre en Afrique. L'Algérien Habib Tengour a regretté que presque 80% des textes dramaturgiques algériens sont encore à l'état oral. Habib Tengour vient de publier aux éditions Apic une pièce théâtrale racontant l'histoire de Salah Bey. – Jeudi 5 novembre Les éditions Médias Plus de Constantine sont revenues cette année au Sila avec une quinzaine d'ouvrages. «Désormais, nous tenons le pari de publier un livre par mois», a annoncé Yassine Hanachi. Médias Plus publient La dernière impression de Malek Haddad. «Je pense que c'est le meilleur roman de Malek Haddad. Un texte quelque peu oublié», a relevé l'éditeur. La dernière impression est une histoire d'amour sur fond de guerre. Du déjà lu ? Non, Malek Haddad a une manière particulière d'écrire et de raconter une histoire. L'Histoire est en marche pour l'ancien diplomate français Michel Rambaud, auteur de l'essai Tempête sur le Grand Moyen-Orient (paru en France). Invité par les éditions Anep, il a animé une conférence sur la situation actuelle du monde arabe. Il a accusé les Américains d'être derrière les bouleversements constatés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les révoltes arabes sont, pour lui, des opérations «clef en main». Conspiration ? On n'en sait rien. Ce vendredi 6, à 15h, à la salle El Djazaïr, le sociologue suisse Jean Ziegler est invité à animer une conférence sur un thème qui peut être intéressant : «Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent». Hier après-midi, le HCA a organisé un débat sur la production en tamazight invitant plusieurs spécialistes, comme le traducteur M'hamed Djelfaoui. Et au stand Panaf, le Congolais Mukala Kadima Nzuji, le Malien Mahamadou Soumaré, le Togolais Latévi-Atcho Elliot Lawson et l'Ivoirien Armand Gauz ont tenté de répondre à une belle question : «quel rôle pour la littérature pour un changement en Afrique ?». Au moins avec la littérature il n'y a aucun risque de subir un… complot.