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La dérive prétorienne du mouvement national
Publié dans El Watan le 08 - 11 - 2015

Ce n'est pas la première fois que le président de l'Association des anciens du MALG, ancien ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, (qui vient, soit dit en passant, de poignarder dans le dos le président Bouteflika qui en a fait des années durant un ministre régalien), pratique avec un cynisme consommé l'art du révisionnisme.
Il avait déjà mis en cause le président Houari Boumediene qui avait eu le réflexe salvateur d'écarter des centres du pouvoir tous les succédanés du redoutable appareil militaro-policier que constituait le MALG et dont les faits d'armes les plus funestes ont consisté dans l'élimination physique de Abane et d'autres valeureux combattants de l'ALN.
Le président de l'Association des anciens du MALG qu'Abdelhafid Boussouf embrigada, tel un mercenaire, au sein de l'outil prétorien qu'il façonna à partir de 1957 avec le MLGC, vient de franchir le Rubicon en osant affirmer que l'élimination physique d'Abane était inévitable.
Il est profondément insolite qu'un aventurier qui a rejoint sur le tard les rangs du FLN/ALN et dont l'algérianité demeure suspecte à ce jour, puisse présenter l'assassinat odieux et crapuleux de Abane par les sbires de Boussouf comme une conséquence inéluctable de ses divergences avec les chefs militaires (comme si les chefs militaires dont parle DOK avaient une légitimité plus grande que celle de Abane ou comme si ceux-là avaient droit de vie et de mort sur tout algérien qui ne partageait pas, à supposer qu'ils en eussent eu, leurs convictions). DOK profite à profusion de l'ignorance profonde d'une partie non négligeable de l'intelligentsia algérienne de l'histoire de son propre pays pour asséner contre-vérités, calomnies et diffamation.
Le professeur Belaïd Abane vient de publier un ouvrage admirable qui fera date dans l'histoire de la littérature politique et historique de notre pays (Nuages sur la révolution – Abane au cœur de la tempête, Editions Koukou, octobre 2015, 430 p.) dans lequel il fait justice des allégations mensongères et profondément diffamatoires portées par DOK contre son oncle paternel.
Cet ouvrage remarquablement écrit et documenté, marqué par un souci d'objectivité et un scrupule intellectuel qui honorent leur auteur, devrait être lu non seulement par toutes celles et tous ceux qui veulent saisir l'étiologie du polycentrisme exacerbé du FLN/ALN, mais aussi comprendre pourquoi l'Algérie n'a pas réussi son indépendance, en dépit des souffrances endurées 132 ans durant par les populations algériennes et des sacrifices consentis, dès les années 1920, par les pionniers de la résistance institutionnelle algérienne.
LE CHARISME INCOMPARABLE D'ABANE
Abane était une immense personnalité auquel seul pouvait se comparer Larbi Ben M'hidi. Son fort caractère, son impétuosité (à un certain moment avivé par un ulcère et une hyperthyroïdie) et son intransigeance (qui se limitait au respect de la morale et de l'éthique révolutionnaires) suscitaient à la fois la crainte de ses compagnons de route mais aussi alimentait des haines inassouvies de la part de chefs militaires qui étaient incapables de concevoir le devenir de l'Etat algérien autrement qu'en termes de clans, de factions et surtout de dividendes à engranger une fois l'indépendance obtenue, selon une logique purement patrimonialiste et exclusiviste.
Faisaient cependant exception à cette règle, les colonels Houari Boumediène, Slimane Dhilès, Dghine Ben Ali, Mohand Oulhadj, Mohamed Zamoum (Si Salah).
Aux autres responsables militaires, Abane opposait la nécessité d'élaborer un modèle d'Etat proto-national (la création de l'Etat a précédé celle de la nation dans l'histoire de notre pays), capable de concrétiser le contenu de la Déclaration du 1er Novembre 1954 et celui des résolutions adoptées au Congrès de la Soummam d'août 1956.
Abane avait une conception exigeante du combat révolutionnaire. Il abhorrait le clientélisme, le népotisme et l'opportunisme qui constituaient la marque de fabrique de nombre de chefs politico-militaires. Il ne pouvait pas, par exemple, accepter que la Délégation extérieure se fixât à elle-même ses propres fins en se livrant à une diplomatie salonnarde sans en référer, si peu que ce soit, à Alger.
Il ne pouvait pas tolérer que l'Egypte cherchât à préempter le cours de la Révolution algérienne au prétexte qu'elle avait depuis l'origine hébergé les chefs du FLN. Impossible, enfin, pour lui de cautionner la rétention de munitions de guerre au niveau du QG du MALG, alors que les wilayas de l'intérieur étaient directement affrontées à l'ennemi colonial (particulièrement les Wilayas III et IV).
Benyoucef Benkheda, Lamine Debaghine, Abdelmalek Temam, Saâd Dahlab, Mohamed Lebdjaoui, Amara Rachid, Ahmed Doum, Mabrouk Belhocine, Ahmed Taleb Ibrahimi, Amar Ouzegane et bien d'autres encore ressentaient une fierté sans pareille de servir sous l'autorité d'un leader aussi charismatique que Abane. Il n'est pas jusqu'au psychorigide, à l'âme d'un Savonarole, le Commandant Ali Mendjli, – qui sera, à partir de janvier 1960, l'adjoint de Houari Boumediène et du Commandant Slimane, à la tête de l'EMG -, qui ne tarît d'éloges à son propos.
La moudjahida Claudine
Chaulet, qui vient de nous quitter (le 29 octobre 2015), n'avait eu de cesse que de convaincre Abane de promouvoir un Etat algérien multilingue, multiconfessionnel et multiethnique qui aurait rayonné durablement dans l'espace euro-méditerranéen, intégrant ainsi la partie de la minorité européenne qui désirait ardemment rester en Algérie et contribuer au développement d'un pays qui était aussi le sien.
Comment, dès lors, accepter qu'un spadassin comme DOK se donne le front non seulement de porter un jugement de valeur sur Abane, le plus grand héros de la Révolution algérienne (avec Larbi Ben M'hidi), mais encore justifie la liquidation de Abane pour cause de divergences avec les chefs militaires.
C'est l'aveu le plus grave jamais lancé par un «homme politique» algérien ; même Abdellah Bentobbal, pourtant farouche opposant de Abane, n'était pas favorable à son élimination physique.
Ce sont ces mêmes chefs militaires qui prendront rapidement leur parti de l'établissement de la ligne Morice, sans y opposer la moindre résistance (la Base de l'Est offrit même, indirectement, sa collaboration à l'armée française pour que celle-ci puisse y procéder sans encombre) ; ce sont eux qui œuvrèrent à l'exacerbation du «wilayisme», alors que Abane réussit la gageure de réunir sous sa bannière toutes les sensibilités du mouvement national au Congrès de la Soummam, la seule exclusive qu'il se devait de prononcer avait visé le MNA, allié de l'armée coloniale contre le FLN/ALN.
LA SOLITUDE IMPRESSIONNANTE DE CE DIRECTEUR DE CONSCIENCE
La montée en puissance de Abane, à partir de sa libération des prisons françaises, en janvier 1955, viendra remettre en cause les stratégies patrimonialistes et claniques des chefs militaires, avides de se constituer des clientèles et des obligés dans la perspective de l'indépendance, pourtant encore lointaine (c'était la démarche des 3 B qui purent convaincre le CNRA, à l'occasion de sa deuxième session à Tripoli (dite Tripoli I) de créer le Comité Interministériel de la Guerre).
Abane avait la prescience des événements, autrement dit subodorait chez certains chefs militaires une propension à vouloir confisquer l'idée de l'indépendance par la seule invocation de leur légitimité historique, acquise grâce à leur participation précoce aux préparatifs de la Révolution. Il faut se garder, toutefois, de croire que la dérive prétorienne est consubstantielle au chef militaire, en tant qu'épure.
Tous les militaires ne sont pas des prétoriens (par exemple Boumediène, Lotfi, Zamoum) et nombre de civils sont imprégnés de la culture du pronunciamiento, comme l'ont souvent vérifié, toujours à leurs dépens, les peuples arabes, après leur accession à l'indépendance.
Mais dans les circonstances de l'époque, seuls les chefs militaires qui avaient allumé la mèche de l'insurrection étaient en situation de peser sur le cours de l'histoire et donc de s'ériger en maîtres des horloges ; après avoir laissé Abane entretenir les différents segments du Mouvement national dans l'illusion que le politique allait désormais commander aux choses, ils le marginalisèrent, dès la session du CNRA d'août 1957 au Caire, une année seulement après le Congrès historique de la Soummam.
Pouvait-il en être autrement ? Il est permis d'en douter, car sur ce sujet plus que sur un autre il convient de prendre les choses d'un peu haut. Il est en effet permis de considérer qu'à partir du moment où seul l'affrontement armé avec la France coloniale ouvrait, selon les activistes du FLN auxquels se rallièrent les centralistes, la voie vers l'indépendance, le politique ne pouvait plus dicter sa feuille de route au militaire. En d'autres termes, le Congrès de la Soummam arrivait trop tard.
Les chefs militaires avaient déjà consolidé leur assise sur le mouvement indépendantiste et leur tropisme prétorien germait sur un terreau particulièrement fertile : le salmigondis que constituait la haute hiérarchie du FLN/ALN, la segmentation de la lutte armée et enfin l'intransigeance du lobby colonial qui tenait coûte que coûte à ce que l'Algérie demeurât dans le giron de la France avec la complicité active, mais in fine aveugle, de tous les gouvernements de la IVe République (onze au total).
DOK demeure ce qu'il a toujours été : un personnage insignifiant qui surfe sur la détresse morale des algériens et l'inculture historique d'une bonne partie de nos universitaires. Il a occupé 15 ans durant un poste ministériel régalien dont il ne reste plus rien (jamais l'Etat n'aura laissé les Collectivités territoriales dans un tel état de déshérence).
Quant à ses fantasmes et ses galéjades, il faut les prendre, hélas, au premier degré, tant DOK est représentatif de cette élite politique algérienne qui est vraisemblablement la plus calamiteuse du monde arabe. En attendant, Abane restera pour l'éternité l'incarnation de cette Algérie fière, altière qui aurait connu, sous sa houlette, un destin firmamental, n'était la trahison de ses prétendus compagnons de route.
Il est notre référence, notre directeur de conscience, notre aiguillon pour bâtir, s'il en est encore temps, une Algérie prospère et puissante.
Paix soit sur son âme et que le châtiment de Dieu soit implacable envers ceux qui l'ont assassiné et ceux qui aujourd'hui tentent de flétrir son image.


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