Hier soir, ils ne se sont pas arrachés les cheveux au premier but, ils n'ont pas non plus défilé dans les rues à chaque victoire des Verts. Qu'ils aiment le sport – mais pas forcément le foot –, dénoncent les manip' politiques ou veuillent dormir sans boule Quies, les anti-foot en ont beaucoup à dire… « Ce n'est qu'un match de football, ce n'est pas la peine d'en faire tout un plat ! » Enerver Arslan, c'est facile. Parlez-lui de la demi-finale. Ou d'une autre match de la CAN. Ce lycéen, très politisé, est persuadé que le peuple est « victime de la machination des médias et de la récupération politique », éloignant le foot de sa vocation première : divertir. « Pourquoi les Etats s'en mêlent ?, insiste-t-il. Je crois que les médias ont aussi leur part de responsabilité, ils se concentrent sur ce que veut entendre le peuple au lieu d'informer ! On dit que le foot est le sport-roi mais ce n'est pas une raison pour ignorer les autres disciplines, Il y a une année, s'est déroulé le championnat mondial d'escrime en Algérie, et je n'en savais absolument rien ! Et ce n'est pas par la presse ou la télé que je l'ai su, mais par le bouche à oreille, alors que si un des joueurs de foot se blesse, toute la presse le mettra en une ! » Voilà pourquoi Arslan, comme d'autres, amateurs de sport ou pas, n'ont pas suivi la rencontre Algérie-Egypte. Sofiane, étudiant à Polytechnique est de ceux-là : « Je n'aime pas le foot, mais j'avoue que le match contre la Côte d'Ivoire m'a assez impressionné. Il y avait du courage, du fair-play, de belles valeurs en somme, mais je n'ai pas regardé le match contre l'Egypte, car ça aurait été trop éprouvant pour mes nerfs. Je n'avais pas apprécié ce qui s'était passé au lendemain du match en Egypte, tout ce flot de haine m'avait refroidi. Le foot est un sport, les politiques ne doivent pas le manipuler, mais je ne me prends plus la tête, vu qu'apparemment c'est peine perdue, on ne peut changer les mentalités… » Même son de cloche chez Djamel, étudiant en commerce, qui lui, est déçu par la récupération politique de l'événement : « J'ai vu le match contre la Côte d'Ivoire car je savais que je verrai du beau foot, sinon je ne m'excite pas autant pour un sport ! Ce qui me contrarie au plus haut point c'est que l'Algérie mérite mieux. J'ai l'impression qu'en ce moment, le foot est un outil d'abrutissement des masses, c'est une carotte que tient le gouvernement pour faire mâcher le peuple – l'âne–, et au final au lieu d'avoir à s'occuper des vastes et éternels chantiers qui sont là depuis trente ans, on met le foot comme première priorité, c'est du grand n'importe quoi ! » Mais ce qui agace aussi beaucoup de monde, c'est le bruit. Les manifestations de joie des Algériens dans les rues, Chimène, résidante à Alger Centre, ne les supporte plus. « Le foot en lui-même ne me pose pas de soucis, ce n'est que du sport et j'en suis fan, mais pas de ce foot-là. Qu'on perde ou qu'on gagne, on doit assumer avec humilité et non pas s'envoyer des pierres ou saccager des locaux. Tout le monde me dit que j'exagère et que je devrais laisser les Algériens fêter leur victoire en défilant, mais cela devient bruyant et dérangeant pour ceux qui travaillent et qui n'aspirent qu'au repos, plaide-t-elle. Ils croient que le plus important, c'est ce match contre les Egyptiens, alors tous les autres enjeux et problèmes du quotidien sont laissés de côté, c'est ridicule… » Mais il n'est pas impossible de changer d'avis, foi d'Aymen, ex-anti-foot repenti : « Je n'ai jamais été pro-foot, je pratique le basket depuis toujours, et par rapport au foot, c'est un sport vraiment marginalisé. Concernant l'actualité, je dirai que les Algériens sont à bout et ne veulent pas vivre ici, comme en témoignent les visas et les barques, les conflits… mais lorsque Antar Yahia ou Bougherra marque, on (re)devient algérien, relève-t-il. Alors heureusement qu'il y a le foot, voir une bande de jeunes qui, pour la plupart ne savent même pas parler arabe, mettre des buts pour l'Algérie, c'est un plaisir fou, et ce, même pour le moins patriote des Algériens. Maintenant, si quelqu'un dit le contraire, je lui répondrai : « Tu es algérien parce que toi aussi tu as mangé de la loubia en regardant Captain Majid à la télé. Alors sois heureux, que tu sois anti-foot ou pas… »