«Imprévisible passé». Je revois encore Mokhtar «Nari» Attar à Sétif, debout sous l'arcade longeant la façade ouest du café d'Ali, face à Aïn Fouara, m'expliquer passionnément ce qu'est le pragmatisme : «Tous les moyens sont bons, pourvu qu'on ait le bonheur», clamait-il. Ou alors il me frayait un chemin dans le dense maquis de la pensée pour que je puisse saisir par exemple ce qu'est l'existentialisme, en termes moins savants que ce que proposaient les affranchis ou les initiés. La différence d'âge et de classe (il était en terminale et moi en troisième) était amoindrie, sinon effacée, par nos lectures communes, puisque c'était lui qui m'avait vite introduit auprès d'elles. Il y avait là le magazine L'Express et le quotidien Le Monde et quantité de livres, pour partir à la conquête de ce qui pouvait nourrir nos envies de découverte, de savoir et de partage avec une passion littéralement dévorante. Son sourire ineffaçable et son enthousiasme, son assurance sans faille aucune, donnaient à ses paroles la portée de certitudes éternelles. Ces réminiscences, que je croyais égarées, se sont éveillées brusquement à la lecture de ses assertions ordonnées en strophes, en salves typographiques déversées pour dire l'humain : «Bris d'âmes pour pieds nus» ; «Sous les enseignes de l'inaccompli le cheminement en soi». Puis ce furent les exils, chacun sur le sillon de ses aptitudes et de ses chances. Lui avait une destinée toute tracée pour continuer à se forger aux fins de contenir et amplifier ce qui se dessinait déjà dans la portée de son regard, en éloignant toujours les horizons à dépasser. La poésie de Mokhtar «Nari» Attar ne laisse pourtant rien filtrer de ce que furent les joies et les incertitudes de cette longue quête de bonheur à procurer pour célébrer l'humain. Malgré toutes les adversités. «Etre est un art qui s'exerce sur les tessons de la vie». «Déambuler dans le tumulte, butiner l'épars». Dans la poésie de Mokhtar «Nari» Attar, seule une «intransigeante beauté» a droit de présence et de préséance. Elle ne raconte aucune douleur avouée, aucune joie hurlée, elle ne cherche pas à construire des ponts entre deux vers, le lecteur est seul en devoir d'imaginer ce qui peut rassembler ces étranges «épars» à l'acte de «butiner». C'est une poésie des mots, mis ensemble dans leur dissemblance ou leur paternité, leur homonymie aussi à la recherche d'une musique intérieure. Elle interroge notre aptitude à l'accepter comme elle nous vient, comme elle nous tient, tout a priori congédié. «Aube à chaque fois la première». Bravo l'artiste.