Après avoir attendu dix ans qu'un logement leur soit attribué, plus de 200 personnes ont observé, hier, un énième sit-in devant le siège de l'Agence nationale de l'amélioration et du développement du logement (AADL) de Saïd Hamdine, à Alger. Ces « honnêtes citoyens » ont manifesté dans une ambiance survoltée, les esprits surchauffés par la présence des forces antiémeute qui les cernaient de toutes parts afin qu'ils ne « débordent » pas sur l'autoroute, ainsi que par « le mépris de l'AADL et des responsables du secteur ». Ces hommes, ces femmes, jeunes et vieux, pères de famille ou célibataires, étaient présents pour dénoncer « la hogra » dans l'attribution de logements et la politique des passe-droits et de la tchippa « indispensable » pour en bénéficier. Depuis 2001, date à laquelle ils ont souscrit au programme AADL/CNEP, ils patientent qu'une suite favorable soit donnée à leur dossier. « Même si la décision est défavorable, je veux être enfin fixé, depuis le temps que je temporise et espère ! », lance un sexagénaire, qui ajoute : « Je suis persuadé qu'ils ne me répondront qu'une fois enterré. » Dans la région d'Alger, ils sont d'ailleurs plus de 2500 à être dans la même situation. Ils ont reçu, en 2001 ou 2002, des avis favorables ainsi que des ordres de versement. Depuis, rien. Ils sont ballottés de l'AADL à la CNEP. « Nous vivons à six dans une pièce, dans des conditions déplorables. Nos vies sont restées suspendues à cet espoir de posséder un logement décent », sanglote une mère de famille. Dans un groupe agglutiné devant le portail du siège, un homme s'énerve : « Peut-être que nous aurions dû nous caser dans une baraque ou construire une bicoque illicitement afin de nous voir attribuer un logement social. Des gens venus du fin fond du pays le font bien. Mais nous avons assez de "nif" pour ne pas faire vivre nos familles dans un bidonville. Nous ne demandons pas la charité, juste bénéficier d'un toit avec notre propre argent. » « Tchippa » et « piston » Son voisin poursuit : « Mais nous ne sommes pas dupes. Nous savons très bien à qui vont ces biens. Au lieu de les distribuer équitablement, ils font des affaires sur notre dos. » « Ils spéculent et les revendent à des "barani", des étrangers. Ou alors, ils se les adjugent, à eux et à leurs proches », accuse, hors de lui, ce dernier. Un autre reprend amèrement : « De toute façon, tout le monde sait très bien que dans certaines agences, il faut verser un pot-de-vin de 20 millions de centimes afin de "pousser le dossier". » Dans la foule compacte, certains ont même versé la première tranche, voire la somme totale, pour un logement qu'ils attendent toujours. « Mon mari et moi avons déposé un dossier vers le début de l'année 2002. Nous nous sommes même acquittés de la première tranche, qui équivaut à 10% de l'apport total. Soit 140 000 DA pour un appartement sur le site de Mahelma », explique, à bout de nerfs, une manifestante. « Entre-temps, mon époux est décédé et nous nous sommes, mes enfants et moi, retrouvés seuls. Nous étions tellement impatients de prendre possession des lieux que nous suivions régulièrement l'avancée des travaux », raconte-t-elle, en larmes. Près de neuf ans après la souscription, la petite famille pense qu'un terme va enfin être mis à son attente puisque, fin 2009, le chantier est achevé et la cité fin prête à être occupée. Mais ils ne tardent pas à déchanter. « La même semaine où l'on voyait, au journal télévisé de l'ENTV, le ministre de l'Habitat inaugurer ces logements à grands coups de youyous, l'AADL me contactait pour m'annoncer ce qu'ils appellent "une bonne nouvelle" : que, finalement, je n'était plus affectée à Mahelma, mais plutôt à Ouled Fayet. Et ceci pour des raisons qui m'échappent. Mais là où le bât blesse, c'est que ce nouveau projet n'en est qu'à ses débuts ! Nous allons devoir attendre encore combien de temps, dans la précarité, avant de vivre dignement ? », s'insurge-t-elle. Son désarroi et sa colère sont d'autant plus acerbes lorsqu'elle constate que des personnes, bien qu'inscrites après elle, ont pu, elles, bénéficier d'un logement en priorité. « Une de mes collègues, proche d'un responsable de l'AADL, n'a même pas eu à déposer de dossier ou à prendre son mal en patience. Deux semaines seulement après en avoir fait la demande, elle emménageait ! », accuse-t-elle, scandalisée. D'ailleurs, ces récits de logements laissés vacants ou de bénéficiaires « sortis de nulle part » ne sont pas rares. « Comment expliquer que des individus qui ont souscrit en 2004, par exemple, soient aujourd'hui installés ? », s'interroge un vieillard. « Aucun critère logique de sélection » « Ils n'ont aucun critère valable pour leur sélection. Il faut le demander à l'AADL », de répondre son compagnon. A bout de patience, une dizaine de manifestants finissent par être reçus par la direction. A l'issue de cet entretien, « pas grand-chose de nouveau n'a été apporté », déclarent-ils. Mme Bourenane, responsable de la communication à l'AADL, qui avoue « en avoir autant marre qu'eux de cette situation », tient à mettre « les choses au point » : « Dans la première semaine d'août 2001, l'AADL a reçu trois fois plus de demandes que d'offres. La commission chargée du traitement des dossiers a écarté le surplus et ces derniers, qui n'ont pas eu à verser la première tranche, ne sont pas inclus dans ce programme. Tout simplement. » « Pour les autres, ils doivent attendre la fin des travaux et leur affectation », explique-t-elle. Elle ajoute toutefois qu'afin de régler le problème de ceux-là mêmes qui sont « laissés sur le carreau », une correspondance a été adressée au ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme, « seul habilité à engager de nouveaux programmes ». « Nous attendons une réponse car l'AADL est un outil au service de l'Etat et ne peut rien entreprendre de son propre chef », conclut-elle. Arguments qui ne semblent pas convaincre les principaux concernés, qui estiment « que ces responsables tentent de gagner du temps ». Ils appellent d'ailleurs les autorités compétentes à ouvrir une enquête quant « au trafic qui entoure les conditions de distribution des logements, ainsi que les retards accusés dans l'affectation de ceux-ci ». En attendant un dénouement, ils ne comptent surtout pas renoncer à « faire du bruit » en organisant deux fois par semaine des sit-in et des manifestations, afin de crier « dix ans, barakat ! ».