«Les autorités veulent qu'on investisse notre argent pour créer des pompes à essence, mais en même temps on doit rester de simples employés à leur service, car nous ne faisons pas de bénéfices ! A la fin de l'année, si ça continue comme ça on se contentera de payer les charges et les salaires et on ne fera plus de bénéfices», s'inquiète Sebti Boursas, comptable et fils de Abdellah, propriétaire de la pompe à essence implantée depuis 1989 dans un endroit «stratégique», Aïn Zeytoun, entre les wilayas d'Oum El Bouaghi, Khenchela et Batna. Ici comme ailleurs, depuis le début de l'année les dispositions de la loi de finances 2016 et les nouvelles taxes de l'Autorité de régulation des hydrocarbures ont été appliquées. Suite à cela, les prix à la pompe ont augmenté en moyenne de 30%. Scotché à l'écran de son ordinateur lui donnant un aperçu sur l'ensemble de la pompe à essence depuis son bureau, Sebti n'arrive pas à en croire ses yeux : «Le chiffre d'affaires a baissé de 50% par rapport aux trois premières semaines de l'an dernier», s'inquiète-t-il. «Ajouté à tout cela les frais de la Casnos qui de 240 000/260 000 DA passeront à plus de 600 000 DA et je me demande à quel extrême nous allons arriver ? A licencier les salariés ?» s'interroge Sebti. Les commandes, elles, ont nettement baissé. «En janvier 2015, je commandais 54 000 litres tous les trois jours, soit deux camions citernes, mais cette année je ne commande que 27 000 litres, soit 50% de moins», regrette-t-il. Amine, 26 ans, est employé comme pompiste de nuit dans une station ouverte 24/24h sur la route de Aïn Mlilia. A 3h du matin, il n'est pas question pour lui de rester dehors, car le mercure à cette heure-ci affiche -2°C. Un froid de canard. Enroulé dans sa kachabia, il surveille la pompe à partir du bureau derrière une vitre. «C'est important d'assurer le service la nuit, car les automobilistes et les routiers doivent bien trouver où s'approvisionner en essence pour ne pas tomber en panne», explique-t-il. Un thé bien chaud entre les mains, il déplore «le ralentissement du rythme de travail». «Depuis l'augmentation des prix, je peux vous assurer que le nombre de personnes qui font leur plein ici ne dépasse pas la dizaine durant toute la nuit, alors qu'avant ils étaient 20 fois plus nombreux.» Le patron de cette pompe est absent la nuit, mais Amine nous assure «qu'il est très inquiet pour l'avenir de son commerce». Arrêt des commandes «La dernière fois que je l'ai vu, confie-t-il, il y a une semaine il m'a confié qu'il allait peut-être fermer la pompe la nuit, car les charges dépassent les bénéfices.» Amine et plusieurs salariés comme lui se retrouveraient alors dans la même situation que les employés des 1800 pompes à essence privées réparties dans le pays. A Oum El Bouaghi, un gérant de pompe à essence de la société Naftal affirme que même les stations-service qui appartiennent à sa société sont touchées par les augmentations des prix. «Pour nous, la problématique ne se pose pas dans les marges bénéficiaires, mais dans la quantité de carburant vendu : 5000 litres de gasoil en moins chaque jour. C'est le reste du stock du 31 décembre qui va remonter un peu les chiffres pour janvier, 500 000 DA de bénéfice ont été enregistrés sur l'ancien stock», précise-t-il. L'Union nationale des investisseurs propriétaires et exploitants de relais et stations-service (Uniprest) de la wilaya de Khenchela a saisi le wali ainsi que la direction de l'énergie et des mines afin de revoir leur marge bénéficiaire pour éviter «l'action envisagée par le syndicat qui consisterait en l'arrêt des commandes auprès de Naftal à partir du 23 janvier», explique Amar Bahloul, président de l'Uniprest de Khenchela. «27 stations sur les 29 qui sont en activité dans notre wilaya ont donné leur accord et adhèrent à la manifestation. Les stations resteront ouvertes, mais il n'y aura plus de carburant dans les pompes», menace Amar. «Plusieurs secteurs seront touchés ainsi par cet embargo, car tous les secteurs ont besoin de carburant pour fonctionner, et nous n'allons pas faire machine arrière jusqu'à la satisfaction de nos revendications légitimes. Il y a une injustice quelque part : comment peut-on augmenter la marge bénéficiaire pour Naftal de 78 centimes et de 12 centimes pour les pompistes, alors que c'est le commerçant de détail qui doit avoir plus de bénéfice sur le grossiste ?» s'interroge le président de l'Uniprest de Khenchela. Pression Pour le moment, les marges bénéficiaires des stations-service n'ont augmenté que de 12 centimes pour le gasoil et de 20 centimes pour l'essence. Selon plusieurs pompistes, «la marge bénéficiaire des pompes sur tous les produits doit être de 3 DA le litre». Les marges sur certains produits ne sont pas loin de ce chiffre, car pour l'essence super, normal et sans plomb elle varie entre 2,19 DA et 2,46 DA/l. Mais pour le gasoil, produit le plus vendu, la marge est de 1,88 DA/l. Plusieurs bureaux de l'Uniprest à travers le pays envisagent de suivre ce mouvement de protestation, car juste après la wilaya de Khenchela, «les pompistes de la wilaya d'Oum El Bouaghi vont suivre ce mouvement de protestation avant que les autres wilayas du pays qui sont en train de se réunir rejoignent toutes le mouvement de protestation», informe Hamid Aït Enceur, président de l'Uniprest. «La marge qui nous a été accordée après l'augmentation des prix n'est pas significative, car il faut voir l'augmentation sur les taxes. On te donne quelque chose de la main droite pour te l'enlever de la main gauche !». «L'institution chargée des prix doit assumer ses décisions, car nous n'avons pas arrêté de l'alerter depuis le mois de septembre, date où la première mouture de la loi de finances a été rendue publique», précise-t-il encore. La marge sur les prix des carburants n'a pas bougé depuis 2005. «Si avant nous n'avions pas mis la pression, c'est parce qu'il n'y avait pas eu d'augmentation des prix des carburants, mais maintenant il est plus facile de nous accorder cette revendication économique, car les prix ont augmenté», résume Hamid Aït Enceur. El Watan Week-end a contacté le ministère de l'Energie et des Mines, mais notre demande est restée sans suite.