Le secteur du tourisme en Algérie est freiné par l'absence de volonté politique et le manque de compétences, estime Said Boukhelifa, expert international et membre de l'Association mondiale de la formation hôtelière et touristique. Interview.
Que pensez-vous de la politique adoptée par le gouvernement, en matière de développement du tourisme ?
La politique adoptée par les pouvoirs publics ne fut que des atermoiements, des tâtonnements jusqu' en 2008, année des assises nationales du tourisme qui ont entériné le Schéma Directeur d'Aménagement touristique (SDAT), véritable boussole salvatrice du secteur et cadre de références, voir un tableau indicateur de la mise en tourisme de la destination Algérie. Malheureusement ce Sdat végète sur les limbes de l'indifférence des pouvoirs publics, hélas !
Des obstacles ?
Les principaux obstacles sont l'absence de visibilité et de lisibilité. Il y' a absence de volonté politique palpable, qui existe textuellement sur le SDAT, mais elle n'est pas factuelle exprimée par des faits concrets. Aucune wilaya n'accorde de la considération à ce schéma, par manque de conviction et par manque de compétences avérées. Des hôtels naissent dans la moiteur épaisse d'un environnement peu propice à l'épanouissement des activités dans ce secteur. La mise en tourisme de la destination tarde à commencer, à venir. Huit ans de perdus depuis 2008.
Qu'est ce qu'il faut faire, selon vous, pour développer ce secteur ?
Il faudrait succinctement lui faire appliquer ce concept que j'ai appelé les quatre C, la conviction, la compétence, la convergence et la concrétisation. La conviction : sommes-nous tous convaincus de la reconstruction de la destination Algérie ? Décideurs et opérateurs. La compétence : la conviction fait appel implicitement à la compétence, denrée rare dans ce secteur, au niveau du ministère, des directions de tourisme de wilayas, de l'Office National du Tourisme (ONT), de nos hôtels surtout et de la majorité des Agences de voyages. La convergence : la conviction adossée à de la compétence aboutit à des convergences de vues, d'idées en termes de stratégies porteuses en investissements, formations, promotions touristiques. La concrétisation : les trois C cités précédemment feront concrétiser les projets lancés dans les délais prévus.
Les pays voisins, dans le Maghreb et la Méditerranée, sont pour la plupart des destinations touristiques mondiales. Quelle place pour l'Algérie…
En effet, la concurrence impitoyable au niveau du bassin méditerranéen (21 pays) n'offre aucune chance à l'Algérie, de se positionner avant 2030, et le retard accumulé est difficilement rattrapable. S'il faut deux ans et de l'argent pour construire un hôtel, il faudrait vingt ans pour former un bon directeur d'hôtel (Bac +4, plus 16 années de pratique). Tous les hôtels, toutes catégories confondues, qui ont ouverts ces dix dernières années n'ont pas trouvé sur le marché le personnel qualifié et formé. Ceux qui ouvriront cette année de même. Les prestations seront en deçà des étoiles accrochées aux frontons d'entrée. La formation est et restera le tendon d'Achille du développement touristique de la destination qui a besoin de se normaliser dans la durée aux standards internationaux.
Un dernier mot ?
Je me référerai aux propos tenus par Yann Arthus Bertrand, grand reporter-photographe, auteur du remarquable reportage filmé « L 'Algérie vue du ciel ». Il avait déclaré en Avril 2015 sur des plateaux de TV en France « Si l'Algérie s'ouvrait au tourisme, ce serait une bonne chose pour ce pays car pour moi il est plus beau que la Tunisie et le Maroc réunis, je rajouterai que j'ai visité plus de 250 pays, pratiquement le tour du monde, l'Algérie est le plus beau ! »
Tout est dit dans ces mots « si l'Algérie s'ouvrait au tourisme », (notre pays demeure sciemment ou inconsciemment fermé). C'est un énorme gâchis qui provoque de la frustration et de l'amertume ! Être considéré le plus beau pays, c'est bien, super, mais ce n'est qu'un don du ciel. Et nous les hommes, notamment ceux qui incarnent l'Etat depuis trente ans qu'avions nous fait pour sortir cette destination de l'oubli et de sa léthargie endémique !