Le pouvoir cherche par tous les moyens à gagner du temps, en louvoyant sur les véritables attentes du peuple sur les plans des libertés, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et du développement socioéconomique, quitte à mettre au centre de ce jeu malsain le texte fondamental de l'Etat algérien, à savoir la Constitution. Comment croire à la sincérité de ce pouvoir sur le plan de la Constitution, alors qu'il l'avait lui-même violée pour assouvir les caprices d'un seul homme ? La Constitution, qui est l'expression d'un contrat social volontaire engageant toute la société, est le fruit de la volonté du peuple. Le peuple qui, dans sa quête d'assurer une cohésion nationale, condition nécessaire pour jeter les jalons d'une construction nationale permettant la pérennité de l'Etat-nation, acquis majeur de hautes luttes engagées contre la colonisation, doit rester le seul vecteur souverain dans ce processus fondateur. Le projet de la révision de la Constitution n'émane pas du peuple. Il est le produit de la volonté d'un groupe de personnes qui se sont substituées aux institutions et, comme attendu, il est entériné par un Conseil constitutionnel au service des violations répétées d'une constitution, devenue par les coups de force répétés la Constitution d'un clan. Ce que propose le groupe ayant été derrière la mouture du projet de révision de la Constitution est unique dans l'histoire des révisions constitutionnelles du fait qu'elle ne répond à aucune attente de la société et ne peut se targuer d'un quelconque consensus dans la société, ni avec l'opposition, et encore moins au sein-même du pouvoir, en témoigne la polémique stérile entre les secrétaires généraux du FLN et du RND autour de l'article 51. Un pouvoir vacant aux prérogatives monarchiques Cette révision, qui vient en réalité renforcer les prérogatives, déjà exorbitantes, du président de la République, au détriment des autres pouvoirs et institutions de contrôle, ne peut prétendre à une quelconque légitimité à travers sa validation par les deux Chambres d'un Parlement tout aussi illégitime. Cette révision ne consacre pas seulement le pouvoir personnel, elle va bien au-delà, en consacrant le culte de la personnalité. Le Président, selon cette révision, n'est pas responsable devant le Parlement, alors que le Premier ministre peut être désigné en dehors de la majorité parlementaire et il ne va pas appliquer le programme de cette majorité. Il se contentera d'appliquer un plan d'action. Le Premier ministre sera désormais comptable devant d'abord le président de la République et ensuite devant le Parlement. Le Président désigne, à la fois, les présidents : – du Conseil constitutionnel et de son vice-président ; – de la Cour suprême ; – du Conseil de l'Etat ; – de l'instance de régulation de la presse écrite ; – de l'Autorité de régulation de l'audiovisuel ; – de la Haute instance de surveillance des élections ; – de la Cour des comptes. En outre, il nomme aussi : – le Premier ministre ; – le Secrétaire général du gouvernement ; – le gouverneur de la Banque d'Algérie ; – les magistrats ; – les responsables des organes de sécurité ; – les walis ; – les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires de la République à l'étranger ; – il nomme également et de façon indirecte les présidents du Parlement et du Conseil de la Nation. Il nomme enfin l'ensemble des présidents des Conseils consultatifs créés auprès du président de la République. Le pouvoir actuel ne se contente pas du fait qu'il a suffisamment caporalisé la société et paralysé les institutions censées représenter les citoyens, il veut concentrer tous les pouvoirs entre les mains d'une seule personne. Une révision qui accentue le verrouillage de la société Cette révision constitue, dans les faits, le parachèvement d'un processus anticonstitutionnel, inauguré depuis 1999, visant à verrouiller la société et à empêcher durablement toute possibilité d'action politique, ou encore moins un changement démocratique. Les promoteurs de cette révision constitutionnelle, qui sont à la recherche de possibilités pour dépasser la crise actuelle du régime, accentuent cette dernière et l'approfondissent du fait de la vacance du pouvoir, due à l'incapacité du président de la République à gouverner, ainsi qu'à l'impossibilité d'actionner le Conseil constitutionnel pour constater cette vacance. Ainsi et à la faveur de cet ultime viol de la Constitution, le groupe extraconstitutionnel qui usurpe les fonctions du président de la République plonge le pays dans une crise sans précédent, en éliminant toute possibilité d'arbitrage ou de recours à la Constitution dans les conflits politiques. Il laisse, en effet, une seule issue ouverte pour la résolution de ces problèmes à travers le rapport de force, où le pouvoir de l'argent et la violence sont les maîtres du jeu. Il est donc clair que ce qui est appelé révision constitutionnelle ne vient pas en réponse à des attentes de la population, en matière d'exercice du pouvoir et de mise à niveau de la gouvernance du pouvoir dans notre pays au diapason de ce qui se fait dans le monde, mais elle vient plutôt consacrer constitutionnellement les pratiques politiques actuelles jugées anticonstitutionnelles. Les paradoxes des initiateurs de cette mascarade, appelée arbitrairement révision constitutionnelle, deviennent plus apparents dès qu'il s'agira de restituer certaines dispositions contenues dans la Constitution de 1996 et qui furent piétinées ou tout simplement violées. Dans ces cas, nous pouvons citer les exemples suivants : – le Conseil supérieur de la Jeunesse qui existait auparavant et que le président de la République en exercice avait dissous ; – le Conseil national de la Recherche scientifique et des Technologies qui existait depuis 1992, présidé par le chef du gouvernement et qui ne s'est réuni qu'une seule fois depuis cette date revient sous la même appellation ; – le cas du Conseil national économique et social, une institution consultative qui avait gagné en crédibilité sous la présidence du regretté Mohamed Salah Mentouri, et qui fut totalement laminé par ce pouvoir, revient aussi sous l'égide du président de la République ; – il en est de même pour ce qui est de l'organe national de prévention et de lutte contre la corruption qui existait déjà, et également le Conseil national des droits de l'Homme. Ce pouvoir reste, par ailleurs, insensible aux questions névralgiques qui engagent l'avenir du pays, à savoir l'éducation et l'énergie. Le Conseil supérieur de l'éducation, créé en 1995 sous l'égide du président de la République, fut dissous en 2000 sans raison, privant le secteur de l'Education d'une expertise qui aurait pu lui éviter l'état dans lequel il se trouve présentement. Ce Conseil continue à ne pas être du goût des promoteurs des viols constitutionnels. Au même titre d'ailleurs que le désormais défunt Conseil national de l'Energie, qui ne s'est pas réuni depuis 1998, avec toutes les catastrophes, scandales, voire les séismes ayant frappé ce secteur stratégique, est tout simplement enterré par cette mouture du projet de révision constitutionnelle. Le pouvoir actuel cherche, en recourant à des subterfuges en décalage avec le sérieux et la sérénité qui devraient accompagner une si lourde entreprise comme celle liée à l'amendement du texte fondamental de l'Etat-nation, à faire passer un hold-up des pouvoirs constituants le système régissant le pays, à travers des «concessions» apparentes à des segments de la société algérienne, à l'instar de l'officialisation du Tamazight ou l'interdiction d'emprisonner des journalistes. Les tenants du pouvoir, conscients ou inconscients, continuent à manœuvrer à travers une officialisation empoisonnée, en faisant une distinction douteuse entre une langue officielle d'Etat et une langue officielle tout court, en laissant croire que la langue originelle des algériens n'est pas encore mature pour être la langue de l'Etat. Ce même pouvoir qui a mis en prison des journalistes pour leurs écrits, en intégrant dans le code pénal la pénalisation du délit de presse, ne peut pas tromper une opinion avisée. Tout le monde connaît l'état des libertés en général et la liberté de la presse en particulier durant ces dernières années ; un article laconique, dans une révision anticonstitutionnelle, ne peut pas changer les habitudes d'un pouvoir rodé à la manipulation. De la surveillance des élections et de l'alternance au pouvoir Le cynisme des tenants du pouvoir a dépassé tout entendement devant le traitement infamant réservé à l'article 74 introduit par la Constitution de 1996, véritable victoire constitutionnelle et démocratique contre les tenants de l'autoritarisme et de la pensée unique. Cet acquis démocratique fut sacrifié pour assouvir les caprices d'un Président obnubilé par le pouvoir personnel et la hantise de le quitter vivant, au détriment de la sacralisation de l'alternance au pouvoir.Le pouvoir actuel pousse sa gâterie à son paroxysme, en faisant accroire à ceux qui lui font encore confiance qu'il vient d'initier une révolution démocratique en restituant les dispositions garantissant l'alternance au pouvoir après les avoir violées en 2008. Ce pouvoir, qui continue à ruser depuis le discours programme de 2011, a fait perdre un temps précieux pour le peuple algérien dans sa quête de démocratie. Après des «réformettes» consacrées dans des lois organiques antidémocratiques, à l'image surtout de la loi électorale qui fut un véritable fiasco en matière de liberté, de démocratie et de transparence dans le domaine de l'organisation des scrutins, en impliquant, cette fois, les magistrats dans la fraude, qui fut à l'origine de ce Parlement mal élu, et de la mascarade de la présidentielle de 2014, voilà que cette mouture de la révision constitutionnelle propose une pseudo haute instance indépendante de surveillance des élections. Les dispositions relatives à cette instance constituent une véritable arnaque, car l'opposition n'a jamais évoqué la question de la surveillance, mais elle a réclamé une instance indépendante d'organisation, de contrôle et de supervision des élections. Pis encore, le pouvoir donne l'impression, à travers sa proposition de se soumettre aux règles de la transparence en matière d'élections, alors qu'en réalité il maintient le contrôle par l'administration de l'ensemble du processus électoral, y compris celui de la surveillance puisque le président de la République désigne le président de cette haute instance, comme il désigne les magistrats y siégeant, proposés par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dont il est lui-même le président, ainsi que les compétences «indépendantes» choisies au sein de la société civile, dominée actuellement par les comités de soutien du même président de la République. L'opposition est sommée d'arrêter son propre agenda Avec cette ultime farce, le pouvoir en place prouve, encore une fois, qu'il est imperméable à toute velléité de se réformer. Il tourne le dos, à la fois, aux aspirations du peuple et aux revendications de l'opposition. Pour lui, il n'y a qu'une seule opposition valable : c'est celle qui accepte son agenda, c'est-à-dire celle qui lui assure une façade pluraliste et d'alibi à l'extérieur. L'opposition ne doit plus se complaire dans son attitude mortelle, et continuer d'inscrire son action politique en réaction de ce que propose le pouvoir, voire ce qu'il décide. L'opposition doit créer sa propre feuille de route, en œuvrant dans le sens de créer le rapport de force nécessaire pour imposer le changement démocratique salutaire pour l'avenir du pays. L'unité de notre pays en dépend. L'opposition doit trouver ses propres outils pour créer ce rapport de force en investissant le front social totalement désorienté, ou canalisé dans des actions ponctuelles, voire dans les cas les plus extrêmes dans des émeutes improductives. La tendance oligarchique du pouvoir, renforcée par la loi de finances 2016, fragilisera encore plus de larges couches de la société algérienne et accroîtra ses vulnérabilités face aux forces de l'argent. L'opposition doit s'engager fermement dans ce front social, en redoublant ses actions d'explication à l'adresse des citoyens, en engageant des actions de proximité tout en soutenant le renforcement de la société civile dans ses capacités d'organisation et d'action. L'opposition doit, également, dénoncer à chaque fois les dérives de ce pouvoir oligarchique et lui rappeler ses scandales qu'il veut escamoter ou passer en justice sous silence, comme c'est le cas des affaires de Khelifa, l'Autoroute Est-ouest, Sonatrach…
Par Bendrihem Haïder Ancien parlementaire et consultant en énergies renouvelables