Ce sont naturellement les langues grâce auxquelles le contact est possible entre les internautes partageant la même langue. Certaines langues données pour mortes ont ressuscité grâce au Net, devenant un moyen de rapprochement. Qu'en est-il de la langue arabe ? A-t-elle réussi à s'y frayer un chemin ? Inutile de se triturer les méninges, la réponse est des plus décevantes et ce sont des experts qui l'ont fournie, au cours du colloque sur «La langue arabe et le défi de l'administration électronique» qui s'est tenu lundi et mardi à l'hôtel Marriott de Constantine. Ce conclave, qui a réuni plusieurs experts et professionnels, notamment en linguistique et en informatique, a permis de faire la synthèse d'une décennie où les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) ont connu une avancée notoire, alors que l'utilisation de la langue n'y a pas connu de percée. Les statistiques brandies sont pour le moins prévisibles : «3% du contenu d'internet est en langue arabe», a reconnu le ministre de la Culture, qui est intervenu à l'ouverture du colloque. Ce qui revient à saisir, selon Azeddine Mihoubi que «400 millions ne produisent rien en langue arabe». Une absence flagrante de la langue arabe sur la Toile que le ministre déplore : «Il existe 12,3 millions de mots dans le dictionnaire arabe au moment où le Monde arabe n'en utilise que deux millions.» En d'autres termes, plutôt en mode chiffres — et la situation s'y prête puisqu'il est question de numérisation — 3000 mots sont utilisés sur les réseau sociaux, 6000 pour s'exprimer et 12 000 sur les moteurs de recherche. «Ce qui équivaut à l'utilisation d'à peine 0,04% du dictionnaire arabe sur le web», a précisé le ministre de la Culture, qui regrette le manque d'initiative des universitaires et chercheurs dans la publication de leurs travaux sur le Net pour enrichir et élargir son contenu en langue arabe. De l'avis d'un membre du gouvernement, la langue officielle —celle consacrée dans la Constitution — est largement distendue par plusieurs langues dès qu'il s'agit des autoroutes de l'information, mais pas que… L'arabe, quand bien même il est partagé par des millions de personnes réparties sur deux continents, est certes loin d'être menacé de désagrégation, mais affiche un retrait par rapport à d'autres langues, dont certaines minoritaires. Dans les instances internationales, l'arabe a dégringolé dans le classement des langues utilisées officiellement dans les sessions et assemblées onusiennes. «A l'Organisation des Nations unies, l'arabe qui était, il n'y a pas si longtemps, à la 3e place, a été détrôné et a glissé à la 5eex-æquo avec le chinois», a révélé Salah Belaïd de l'université de Tizi Ouzou. C'est là un indicateur de la prospérité d'une langue comparativement à une autre. La langue chinoise, bien qu'elle soit constituée d'idiomes et difficile à pratiquer, a réussi à se hisser à cette place en moins de vingt ans et à investir le monde dans tous ses strates. L'essor économique de la Chine y est pour quelque chose. C'est aussi un levier pour l'expansion d'une culture… et d'une langue, quelle qu'elle soit. Sur internet, la langue arabe occupe la 7e place. «72 millions d'internautes qui consultent les moteurs de recherche, dont Google, le font en langue arabe», a précisé Salah Belaïd, qui déplore l'inertie d'une langue qu'il juge pourtant apte à endosser la cape de la technologie. L'universitaire et le ministre de la Culture appellent de leurs vœux une volonté politique de renverser les tendances et booster l'évolution de la langue arabe. «Toutes les langues sont éligibles au développement», a affirmé Azeddine Mihoubi en citant l'exemple de «l'hébreu qui, initialement, disposait de cinq lettres et est devenu aujourd'hui une langue de recherche». Il est vrai que le «poids» d'une langue, notamment sur la Toile, se mesure par l'importance des informations et des productions intellectuelles dont elle dispose. Et ce n'est pas un hasard si la première langue de la recherche est l'anglais, la langue de la technologie par excellence. Pour preuve, même les travaux et recherches en médecine, biotechnologie, automatismes ou encore électronique, effectués par des chercheurs français, danois ou allemands, sont aussi publiés en langue anglaise. Nous n'en sommes pas encore là… Ce que demandent les intervenants à de ce colloque se résume à ce que la langue arabe puisse avoir plus de visibilité. LA NUMÉRISATION EN MARCHE Pour rendre cette vision pragmatique, il est recommandé d'associer différentes compétences, dont celles des linguistes et des informaticiens, afin d'asseoir les mécanismes qui siéent à cette transition.Et d'égrener un chapelet de carences et de manquements, telle l'inexistence d'une académie arabe, d'un dictionnaire historique ou encore de thesaurus. «Il en sera ainsi pour la langue amazigh», a lancé le ministre de la Culture comme pour rappeler qu'au cœur de ce colloque dédié à la langue arabe, tamazight jouit du même intérêt, au moment même où sa transcription (en graphie latine ou arabe ?) nourrit le débat et la surenchère. L'illustration (presque) parfaite d'une symbiose entre la langue arabe et la technologie réside certainement dans la numérisation de certains services des APC. Peut-on dès lors certifier que les lourdeurs et les aléas de l'administration sont loin derrière nous ? Tout prête à y croire puisque la numérisation des services d'état civil est effective. «Développer l'administration électronique procure un gain de temps et d'argent et facilite au citoyen l'accès à ses services», a déclaré en préambule Kamel Bernou, directeur des banques de données au ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, qui a exposé le plan de numérisation entrepris depuis quelques années. Ce dispositif englobe les services d'état civil, la carte d'identité et le passeport biométriques, les services de la carte grise ainsi que le fichier de la population et, prochainement, le numéro d'identification national et le permis. Et cela commence à avoir des retombées positives sur la réduction des démarches administratives et les délais de délivrance. Ce processus de numérisation a permis, selon le représentant du département de Noureddine Bedoui, «de scanner 93 millions de documents dont 62 millions d'actes de naissance, 15 millions d'actes de décès, 16 millions d'actes de mariage». Aujourd'hui, il est possible de retirer un document d'état civil en une minute, selon le même intervenant qui, toutefois, ne fait aucune allusion aux innombrables erreurs enregistrées sur les documents officiels, dont le fameux S12. Erreurs qui résultent d'une transcription des noms en langue arabe dont la maîtrise fait largement défaut… Et de s'interroger sur l'opportunité d'un tel colloque en l'absence d'outils linguistiques et technologiques susceptibles de donner un coup de pouce à l'émergence de la langue arabe dans les sphères de la technologie et du Net…Il n'y en a pas ! Hormis l'occasion de l'événement «Constantine, capitale de la culture arabe»…