Des assurés mécontents, des expertises insatisfaisantes, des dossiers en suspens, la branche automobile est à la source de tant d'enjeux qu'un dossier sur 5 en matière d'accident de la circulation corporel et matériel finit sa course au niveau de la justice, selon Nacer Sayes, PDG de la SAA, l'assureur public leader du marché. La branche auto représente un chiffre d'affaires de plus de 65 milliards de dinars par an et avec une part de 70%, le montant des remboursements de la branche représente l'essentiel des indemnisations des sociétés d'assurance de dommage (graphe 1 en p. II). Mais les entreprises d'assurance estiment qu'il ne faut pas se fier à la croissance du chiffre d'affaires, car en réalité elles perdraient de l'argent. Avec une recrudescence du nombre des accidents de la route et des primes d'assurance dérisoires, selon les compagnies, elles rembourseraient plus qu'elles ne récolteraient de ressources. «Regardez cette Golf, tout le pare-choc avant est à refaire. On en a pour 500 000 da de travaux de réparation, alors que le contrat d'assurance n'a pas coûté le dixième de ce montant au client», fait remarquer sous couvert de l'anonymat et photos à l'appui le propriétaire d'un bureau d'expertise à Alger, prestataire auprès de plusieurs compagnies d'assurance privées. «Il faut que les tarifs de la Responsabilité civile (RC) soit revus, ils sont trop bas», estime Hassan Khelifati, vice-président de l'Union algérienne des sociétés d'assurance et de réassurance (UAR) et PDG du groupe Alliance Assurance. «Le SNMG a été multiplié par 3 alors que le tarif est resté figé.» Ces dernières années, la hausse du chiffre d'affaires du secteur s'est accompagnée d'une augmentation des dossiers de sinistres non réglés à la fin de l'année. Selon les statistiques du Conseil national des assurances (CNA), le stock des sinistres relatifs à la branche automobile était de plus de 30 milliards de dinars à la fin de 2015, soit plus 45% du total de ce qui restait à payer pour l'ensemble des assurances dommages. En l'espace de 7 ans, le montant des indemnisations qui restaient à verser à la fin de chaque année a augmenté de 40% . Hassan Khelifati affirme ne pas pouvoir quantifier le nombre de dossiers inter-compagnies en suspens, mais assure que les clients, eux, sont systématiquement remboursés et ne dépendent pas de ces retards : «Le problème, c'est que chaque compagnie avait ses propres procédures et sa propre organisation. Parfois, on ne reçoit pas les informations». Le responsable pointe du doigt un manque de communication entre les compagnies d'assurance. Pour régler ce problème, l'UAR a mis en place un calendrier pour liquider l'ensemble des dossiers en suspens et surtout éviter de reconstituer de nouveaux stocks. «D'ici une année, le problèmes des dossiers inter-compagnies sera réglé», précise-t-il. Les chiffres du CNA font justement état d'un léger mieux en matière de règlement des dossiers. Entre 2014 et 2015, les sinistres qui restaient à payer ont baissé de près de 10%, alors que la cadence de règlement a augmenté de 2%. Par ailleurs, pour s'assurer que toutes les compagnies respectent bien les délais, un accord d'Indemnisation et règlement des sinistres autos matériels (IRSAM) a été signé et est en cours de validation par le ministère des Finances, nous dit-on. Il doit déterminer officiellement les délais de règlement entre les compagnies qui ne doivent pas dépasser les deux mois. Pour l'heure, en dépit des annonces faites par les assureurs, le retard dans les remboursements fait partie des principales réclamations exprimées par les assurés auprès de l'Association de protection des consommateurs (APOCE). Dans certains cas, «les clients n'ont pas été remboursés plus d'un an après leur dépôt de dossier», explique Mustapha Zebdi, président de l'APOCE. Celle-ci reçoit 4 à 5 requêtes par mois d'assurés insatisfaits pour motifs divers : perte de dossier, délai trop long, réestimation des coûts de réparation, etc, mais seulement 6 à 7 dossiers par an sont portés par les plaignants devant la justice, regrette Mustapha Zebdi. La franchise, une plaie Pourtant, des assurés mécontents, ce n'est pas ce qui manque. Au Salon de l'automobile, nous en avons rencontré quelques-uns. Assurés chez des entreprises publiques ou privées, leurs doléances sont souvent similaires. «J'ai déclaré un sinistre il y a trois mois et j'attends toujours», affirme le client d'une compagnie privé, représentant d'un assureur étranger. Un habitant de Constantine, assuré chez un privé algérien, renchérit : «J'ai eu un accident en mai 2015, et j'ai dû attendre février dernier pour récupérer mon chèque. Vous trouvez cela normal ?» Les clients des entreprises publiques ne sont pas plus vernis. L'un d'entre eux explique : «ma Seat que j'ai achetée à plus de 140 millions de centimes à l'époque a été complètement réformée et mon assureur m'a dit qu'on ne pouvait pas me rembourser à plus de 50 000 DA. Je n'ai rien compris.» Beaucoup se plaignent des délais de remboursement, mais certains se demandent encore comment avec une assurance tous risques un client peut ne toucher aucun sou de son assureur après un sinistre. L'explication se trouve dans la franchise. En fonction du montant de celle-ci, à laquelle le client souscrit lors de la signature de son contrat, de l'ampleur des dégâts lors d'un sinistre et de la vétusté du véhicule, un assuré peut ne rien recevoir, même s'il est assuré tous risques. Une aberration pour un client qui n'aurait pas bien compris les termes de son contrat, mais c'est possible «quand les chocs sont minimes», nous dit la directrice d'agence d'assurance. La franchise, «c'est ce qui est à la charge du client et qui est retiré du montant du sinistre». Ainsi, si vous souscrivez à une franchise de 2500 DA, cela signifie que pour un sinistre de 10 000 DA, l'assureur verserait un maximum de 7500 DA. Mais tous les clients n'ont pas le réflexe de demander des explications. «Nos commerciaux expliquent systématiquement le contenu du contrat, mais certains clients cherchent simplement un bout de papier pour pouvoir circuler car l'assurance est obligatoire», nous dit la responsable. Pour Mustapha Zebdi, la responsabilité est partagée : d'un côté, «les assureurs ne cherchent pas à expliquer clairement les clauses des contrats. De l'autre, il y a des clients dont le seul souci est d'avoir un document qui leur évite les problèmes au niveau des barrages routiers. Ils cherchent l'assurance la moins chère.» Le facteur main-d'œuvre Beaucoup de clients s'estiment par ailleurs lésés car le montant de leurs indemnisations ne correspond pas à la valeur réelle de ce que coûtera la réparation. «Les assurés automobiles se sentent lésés pour des raisons subjectives (mauvaise interprétation des clauses du contrat), mais aussi pour des raisons objectives», estime Abdelaziz Boudraâ, directeur du cabinet de courtage et de conseil en assurance Best Assurance. Il cite plusieurs facteurs : «L'évaluation des experts ne couvre pas toujours les frais réels engagés pour la réparation des dommages (main-d'œuvre, pièces de rechange, etc.), le retard considérable dans le règlement des dossiers des sinistres automobiles à cause des lenteurs administratives et aux problèmes de recours entre compagnies pour déterminer les parts de responsabilité, mais en raison aussi des incompréhensions des termes du contrat d'assurance multirisques automobile». Une situation qui trouve son explication dans le calcul du coût de la main-d'œuvre. A Alger, le propriétaire d'un cabinet d'expertise explique que le sujet du coût de la main-d'œuvre est le nœud du problème. «Il y a un problème d'évaluation de la main-d'œuvre, mais pas au niveau de la pièce qui est remboursée à 100%». Il y a un barème imposé par l'UAR qui est de 250 DA l'heure, or «les concessionnaires ont leur propre barème qui est supérieur à celui de l'UAR ou celui qu'on retrouve dans le privé. ça commence à 800 DA et ça peut aller jusqu'à 2000 da, tout dépend de la marque du véhicule», argumente l'expert. Le décalage peut s'expliquer aussi par toutes «les charges que ces entreprises doivent supporter». Le tarif de l'UAR est figé depuis quelques années, selon les experts, mais selon Hassan Khelifati, il «a augmenté de 60% depuis 2014» et se situerait actuellement autour de 400 da l'heure. Une décision qui n'est pas encore pratiquée sur le terrain. En outre, précise-t-il, «les concessionnaires appliquent des tarifs hors normes, on ne peut pas les suivre, mais on peut trouver un terrain médian.» En attendant, c'est donc le client qui supporte la différence. Une façon pour les compagnies de compenser des primes d'assurance qu'elles jugent trop réduites par rapport au coût des réparations. «Il faut que ce soit revu. On ne peut pas continuer comme ça», estime le vice-président de l'UAR qui relie la hausse de ce tarif de la main-d'œuvre à celui des primes d'assurance. «Les deux sont liés. On ne peut pas réviser l'un sans réviser l'autre.» L'UAR est d'ailleurs en train de préparer un dossier autour de ce problème pour le présenter au ministère des Finances. Pour Abdelaziz Boudraâ, il est temps d'envisager des solutions «simples et pratiques pour réduire les délais de règlement, d'actualiser le prix forfaitaire de la main-d'œuvre largement dépassé et de réfléchir à la possibilité de généraliser la réparation des dommages par les concessionnaires automobiles agréés.» Avec une branche automobile prépondérante mais déficitaire et de sombres perspectives de croissance en raison de la dévaluation du dinar et la stagnation des tarifs, les compagnies d'assurance sont appelées à trouver d'autres relais de croissance. Il y va de leur viabilité économique.