Albert Camus avait sans doute raison lorsqu'il affirmait que toute sa connaissance des hommes lui venait de la pratique et de l'observation du football. Camus, qui savait de quoi il parlait, jouait au poste de gardien de but au rua d'Alger. Il voulait magnifier le pouvoir qu'a le sport de relier les hommes, de regrouper les communautés. L'événement phare de la Coupe d'Afrique vécu par notre pays, récemment, est assez éloquent pour en apporter la tangible preuve. Le sport dépend, en somme, de l'entraînement au podium, de la chute à la victoire, d'une éternelle symbolique, celle de l'effort, du dépassement de soi et de la soif de gagner. Adel Amrouche y a ajouté le goût de l'aventure. Il a bourlingué et ses pérégrinations l'ont mené dans divers pays, de la Belgique au Canada en passant par l'Afrique du Sud, le Congo, l'Ukraine, l'Azerbaïdjan, pour se fixer au Burundi où il drive la sélection nationale. Un parcours atypique pour ce jeune entraîneur de 42 ans qui, voilà dix ans et des poussières, s'en est allé prêcher le foot dans des régions aussi contrastées les unes que les autres. Il en tire de riches leçons, non sans préciser qu'« il est fait d'ambition, de ténacité teigneuse. Mes projets sont la résurgence d'une idée, qu'une rencontre, un hasard, rendent évidente. » Boualem Amirouche, son idole Ceux qui ont suivi les péripéties de la Coupe d'Afrique des Nations sur le satellite auront relevé la diversité de ton des commentateurs et des analystes. Sur la chaîne tunisienne Nessma où il est consultant, Adel s'est distingué par ses constats et ses analyses bien argumentées, loin des envolées passionnées de certains spécialistes et de l'emphase de circonstance. Du football, sa passion, il en parle d'une manière délicieuse, depuis sa tendre enfance à Kouba où le « virus » l'a littéralement happé. « Dans ma famille, la seule phrase qui revenait souvent dans la bouche de mon oncle El Hadj Khaled ou celle de mon père était, ‘‘Amirouche Boualem, le magicien, l'extraterrestre''. J'étais tellement excité de voir ce magicien que je ne quittais que rarement le balcon de la cuisine qui donne sur le stade Benhaddad de Kouba pour voir l'artiste. C'est comme ça que j'ai été contaminé. C'était une suite logique, la proximité du stade et du terrain vague jouxtant l'immeuble où on habitait ont fait le reste. » Adel commence sa carrière au cak sous la houlette de Yazid Ouahib qui l'a orienté vers le rck. Il évoluera au crb, à la jsk, à l'omr, à l'usma puis à l'o médéa, avant d'atterrir à Aïn M'lila. Puis, un autre virus se mit de la partie : celui de l'aventure. Adel voyagera en divisions 2 et 3 belge, successivement à mons, la Louvière, dendremonde, Lembeek en mettant fin à sa carrière de joueur à l'âge de 33 ans et en gardant un souvenir inoubliable de Smaïl Khabatou « un puits de connaissances ». « J'avais des prédispositions pour entraîner. En fait, très jeune, j'organisais des matches interquartiers, intermosquées. Je ne savais pas que c'était ma destinée. C'est ce qui explique mes études à l'Institut des sports. A la jsk, mes entraîneurs Salah Yousfi et Moh Younsi m'avaient encouragé à embrasser cette carrière. J'ai commencé en 1988 à l'OMR aux côtés de Nouredine Goumiri qui m'a beaucoup aidé, de même que Aggar à l'usma, avec lequel j'étais en charge de l'école de jeunes. Au RCK, j'ai fait duo avec l'excellent Matoub Youcef. » Pourquoi avoir tenté l'aventure à l'étranger ? « Je voulais mettre en pratique mes connaissances et sincèrement je voulais me démarquer de certains pseudo-entraîneurs que j'ai croisés en Algérie qui sont indignes de ce métier. Je ne pouvais me résoudre à être un entraîneur de rue ou de café. » Adel est parti au Canada, il n'y est pas resté longtemps. Le pays du froid ne lui a pas plu. Il fera une escapade en Afrique du Sud, mais surtout pour faire de l'observation. En fait, c'est au Congo qu'il fourbira ses armes et s'exprimera le mieux. « C'est au Daring club Motema Pembe que j'ai passé les meilleurs moments de ma carrière d'entraîneur. L'Afrique, c'était un terrain vierge et inconnu pour moi. J'ai été à la hauteur des attentes de ceux qui m'avaient fait venir et qui m'ont témoigné toute leur reconnaissance — Kinshasa m'a ouvert ses bras, j'ai appris à connaître ce football congolais, un véritable vivier à l'état brut. Avec des moyens plus conséquents, sans doute fera-t-il parler de lui très prochainement. » Puis, Adel prend la direction de l'Ukraine. « C'est très difficile de s'acclimater et puis il faut connaître la langue russe. On a toujours affaire à un traducteur. Ça te fait perdre ton temps, en plus, il ne traduit pas le fond de ta pensée. On n'a pas la même vision, les mêmes sensations. Donc, il vaut mieux s'intégrer et apprendre la langue pour que tu puisses communiquer avec tes joueurs. Moi, j'arrivais difficilement à m'adapter, c'est pour cela que je ne m'y suis pas trop investi longtemps là-bas. » Adel restera dans les parages puisqu'il jettera son dévolu sur l'Azerbaïdjan « où la vie est agréable, les paysages magnifiques, surtout aux abords de la mer Caspienne. Là-bas, j'y ai senti l'hospitalité, le partage des gens, signe que l'Islam y a de profondes empreintes. La culture et la musique ont une place importante dans la vie des Azeris qui restent cependant marqués par le conflit qui les oppose à leurs voisins arméniens à propos du Karabakh. J'ai été marqué par tout ce que j'ai vu et partagé avec les Azeris, mais je suis optimiste. Un jour, je pourrai visiter l'autre côté du Karabakh avec mes amis azeris et arméniens. Dès que j'ai le temps, je file à Bakou, la capitale où l'odeur du pétrole est permanente, pour me promener sur la piétonnière qui porte le nom de Tergova ou visiter la Tour de la demoiselle (Gès galcide), une très belle histoire d'amour de cette jeune fille qu'on voulait marier de force. Le football dans l'ex-urss est en transition vers un foot plus professionnel comme dans l'Europe centrale. Le mode de vie des joueurs a changé, c'est l'intrusion en force de l'argent, mais le spectre du communisme plane au quotidien. Les vieux réflexes sont toujours là. La sélection azerie a été entraînée par Carlos Alberto, ancien capitaine de l'équipe du Brésil qui a remporté la coupe du Monde en 1970. Aujourd'hui, l'équipe nationale compte dans ses rangs quatre Brésiliens et un Argentin et est drivée par Berti Vogts, l'ancien arrière droit de la Manshaft. Vous voyez bien que la mondialisation a touché tous les secteurs, même le football n'y échappe pas. Je n'omettrai pas de signaler aux Koubéens qu'une belle région en Azerbeïdjan porte le nom de Kuba avec la même prononciation. » En 2005, Adel retourne au Congo où son ancien club Motema le sollicite de nouveau. Malgré la guerre civile « C'était la guerre civile. Le pays était déchiré. J'étais le premier entraîneur à y retourner. C'était un risque, mais j'ai fini par accepter l'invitation qui m'a été faite par Joseph Kabila, le président de la République, qui a bien admis que le football, véritable religion en Afrique et passionnément aimé au Congo, pouvait rapprocher davantage les gens minés par les divisions ethniques. Avec Motema, on a remporté le championnat, la Super coupe et atteint les quarts de finale de la coupe d'Afrique contre Sfax. L'équipe phare que j'entraînais renfermait presque les deux tiers de l'effectif de la sélection nationale. L'anecdote : on devait jouer un match capital contre Vita Club, l'équipe rivale. Avant la rencontre, mon meilleur joueur qui avait fait un tour chez le féticheur a déclaré forfait au prétexte qu'il arriverait un malheur à sa famille s'il jouait. Nos adversaires l'avaient fait passer par leur féticheur qui lui a refilé un grigri. Je l'ai appelé et lui ai fait savoir que moi-même, j'excellais dans cette spécialité en jetant aussi des sorts. Je lui ai dit on n'a pas perdu pendant 30 matches. Ce n'est pas aujourd'hui qu'on perdra. Je l'ai invité à enlever sa chaussure droite. J'ai fait semblant de mettre une herbe en lui signifiant qu'il allait marquer deux buts. C'est ce qu'il fit en scorant à deux reprises. A chaque fois, il venait m'embrasser sur le banc, pleurant de joie. Je lui glissais à l'oreille : ‘‘Ne dis à personne que je suis féticheur, garde-le pour toi''. Il avait cru à ce rituel improvisé. C'était purement psychologique. » Entraîneur du Burundi En 2007, il est fait appel à Adel pour entraîner la sélection nationale du Burundi. « C'est différent d'un club, c'est autrement plus ardu et plus difficile. La chance de ce pays est que le président de la République son Excellence Pierre Nkurunzira a été un grand footballeur et voulait dynamiser cette discipline après que le pays ait traversé dix ans de guerre civile. Le football burundais renaît certes difficilement, mais sûrement de ses cendres. On poursuit notre travail dans la sérénité avec la conviction de toujours aller de l'avant. On a été demi-finaliste de la coupe d'Afrique de l'Est, avec la plus jeune équipe du continent. Nous avons 16 joueurs qui évoluent à l'étranger, dont un prodige de 15 ans, Ngama Emanuel, qui joue en Angleterre. Nous avons tenu en échec l'Egypte et perdu difficilement contre la Tunisie (1-2) en Coupe d'Afrique. Nous n'avons pas d'ambitions démesurées, mais nous attendons de mûrir pour faire parler de nous. Avec l'équipe du Burundi partagée entre Tutsis et Hutus, musulmans, chrétiens et animistes, il fallait user de ‘‘stratagèmes'' pour amener toute cette mosaïque à jouer sur le même tempo. Une semaine avant le match contre l'Egypte, tout le monde était sur les nerfs, tendu, complexé. Une bonne baignade sur le lac Tanganika où je les ai amenés avait décrispé l'atmosphère. » L'éloignement, le risque et l'aventure ne risquent-ils pas de le décourager ? Fataliste, il répond : « J'accepte mon destin même si le devoir m'appelle au bout du monde. J'ai un plan de carrière et j'essaie d'aller le plus loin possible pour montrer que le technicien algérien a des compétences et peut les prouver pour peu qu'on lui fasse confiance. J'ai croisé Saâdane au symposium du Caire où il y avait tous les sélectionneurs d'Afrique. J'étais tellement fier ce jour-là car il y avait deux Algériens comme head coach. Ça voulait dire pour moi que l'Algérie a des cadres bien représentatifs. » L'impression générale laissée par l'équipe d'Algérie en Angola : « Mon constat est plein de si. Pourquoi ? Si notre équipe avait pu s'acclimater dès les premiers matches. Si l'état du terrain était praticable, si on n'avait pas eu de blessés, si Lemouchia n'était pas parti, si on avait un arrière droit de métier pour équilibrer le jeu, lorsqu'on joue avec une défense à quatre ! Si Lacen était là. Si Koffi n'était pas l'arbitre contre l'Egypte. On a vu une équipe qui nous a fait rêver et qui a montré beaucoup de bonnes choses, un état d'esprit remarquable, une solidarité exemplaire, un coaching judicieux contre la Côte d'Ivoire. Tous ces éléments font que l'équipe a encore de beaux jours devant elle pour peu qu'elle continue sur sa lancée. Heureusement qu'il y a ces joueurs évoluant à l'étranger, sinon le foot national ne produirait rien. Je pense qu'il est temps de sortir du bricolage, du trabendisme et d'entrer de plain pied dans le professionnalisme. La Coupe du Monde ? « C'est une autre paire de manches. On joue contre de grandes nations et contre de grands coaches. Je pense qu'il faut rétablir l'équilibre au sein de l'effectif en renforçant les doublures au poste, avoir plusieurs scénarios, en plus du scouting de haute qualité comme a su si bien le faire Boualem Laroum à l'occasion de cette can 2010 ». [email protected] Parcours : Adel Amrouche est né le 7 mars 1968 à Kouba où il a fait ses classes dans le foot au sein des clubs locaux. Il fera plusieurs escales dans des équipes algériennes avant d'opter pour la deuxième division belge. Avant, il a pris le soin d'effectuer des études à l'Institut des sports pour devenir entraîneur. Il le sera successivement au Congo, en Ukraine, en Azerbaïdjan et au Burundi où il s'occupe de la sélection nationale. Consultant à Nessma TV, il a couvert pour cette chaîne tunisienne la CAN 2010. Il pense que l'EN a fait de son mieux en Angola et qu'elle devra se mobiliser davantage en prévision de la coupe du Monde qui est une autre paire de manches. Adel qui vit entre la Belgique et l'Algérie est marié et père de 3 enfants.