Après avoir marqué les esprits et jeté l'émoi en tentant, mercredi dernier, une marche sur la Présidence qui a vite été réprimée par les brigades antiémeute, l'Intersyndicale de la santé publique a rempilé, hier, en organisant un rassemblement devant le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière. Forts des retombées favorables suscitées par leurs différentes actions ainsi que du « capital sympathie » acquis auprès de l'opinion publique, ils étaient près d'un millier à avoir fait le déplacement des différentes régions du centre afin de démontrer, si besoin est, leur large mobilisation et l'étendue de leur détermination à faire aboutir leurs revendications. Le sit-in, annoncé depuis une semaine par le biais de la presse, n'a d'ailleurs pas ameuté que les grévistes. Un dispositif sécuritaire plus qu'impressionnant était en place avant même que les adhérents des deux syndicats ne se réunissent. Une dizaine de fourgons de police étaient garés dans les artères qui mènent à la placette, en contrebas, sous le monument de Ryadh El Feth, d'autres de part et d'autre de l'entrée de l'institution. Des brigades antiémeute étaient même déjà en tenue – casques, boucliers et matraques – postés çà et là, prêtes à empêcher les manifestants à rééditer leur « exploit » de la semaine dernière. D'ailleurs, plusieurs médecins ont été empêchés par des policiers d'accéder au lieu de ralliement. Dans le jardin qui fait face au portail du ministère, les médecins grévistes commencent à affluer par petites grappes, vers 11h. D'autres blouses blanches, des psychologues, étaient déjà sur place. Le Syndicat national des psychologues (SNP), observe lui aussi des rassemblements hebdomadaires devant le siège du ministère, afin de revendiquer une révision des salaires et des indemnités. D'ailleurs, ce matin-ci, ils étaient censés avoir rendez-vous avec le secrétaire général du ministère. En l'absence du premier responsable du secteur, Saïd Barkat, et de son secrétaire général (appelé à prendre part à un séminaire au CHU de Beni Messous), la rencontre a été reportée et devait se tenir plus tard dans la journée. « à vous Sonatrach, à nous la matraque » Au fur et à mesure, les groupes formés par les praticiens et les spécialistes, tous en blouse blanche, commencent à se faire plus nombreux, plus dense. Des membres de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH), des députés, ainsi que des membres du Snapap sont présents pour apporter leur solidarité aux médecins, de plus en plus nombreux, à un point tel que le jardin ne peut plus tous les contenir ; ils débordent, de ce fait, dans la rue qui sépare ce dernier du ministère. « Vous voyez, nous occupons la voie publique malgré l'état d'urgence », s'amuse le docteur Yousfi, président du Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique (SNPSSP). Une altercation s'ensuit d'ailleurs entre lui et le responsable des forces de l'ordre. De retour, il raconte : « Je lui ai bien fait comprendre que nous étions là dans l'optique d'un rassemblement pacifique et non d'une marche. » Il est vrai que les esprits, et de ce fait l'ambiance, sont beaucoup plus calmes et décontractés que mercredi dernier. Banderoles et pancartes à la main, les contestataires hurlent des slogans qui épinglent le silence de M. Barkat : « Rouh t'rouh ya Barkat, âyina menek, barakat ! » (va-t'en Barkat, nous sommes fatigués de toi, c'en est trop !) ainsi que la répression qu'ils ont eu à essuyer : « A vous Sonatrach, à nous la matraque », ou encore le mépris et les priorités paradoxales du gouvernement : « Les footballeurs accueillis en gladiateurs, les médecins traités en malfaiteurs ». Dans la foule, ça chante, ça crie, ça hue, ça siffle et ça tape des mains à tout rompre. Les psychologues, déconfits par l'annulation de leur rencontre, prêtent main-forte à leurs confrères de contestation et donnent eux aussi de la voix en reprenant à leur compte les slogans scandés. Portes du ministère fermées…au propre comme au figuré Galvanisés, les manifestants avancent et improvisent une marche de quelques pas. Une haie serrée de CRS leur fait face et les bloque dans leur élan. Par mesure de précaution, le portail du ministère est fermé, bouclé par une brigade de casques bleus faisant barrage. Ce qui indigne les syndicalistes. « Les portes du ministère sont fermées, au propre comme au figuré. Et un jour de réception, s'il vous plaît ! », ironise le docteur Lyes Merabet. Le docteur Yousfi, pour sa part, s'étonne de la centaine de policiers ameutés sur les lieux. « Le coût du dispositif de sécurité déployé aujourd'hui dépasse largement l'enveloppe financière à dégager afin de régler les problèmes des praticiens ! », s'exclame-t-il. Problèmes qui ne sont toujours pas pris en considération par les autorités, « aucun geste positif n'ayant été effectué par la tutelle ou autres », d'affirmer celui-ci. « Car les propos négatifs pleuvent et le Premier ministre se permet même d'insulter des médecins respectables et d'insulter surtout l'intelligence des Algériens », déplorent les grévistes. « Il parle comme si le pays était en cessation de paiement, comme si l'on ne dépensait pas des millions pour des broutilles, comme si des milliards n'étaient pas détournés vers des comptes en banque secrets », accusent-ils. Afin de répondre aux insinuations pernicieuses de ceux qui prétendent qu'ils sont manipulés ou politisés, le prochain sit-in aura lieu mercredi prochain, devant le Palais du gouvernement. Et advienne que pourra…