Quinze ans que l'auteur du Fleuve détourné nous a quittés. L'occasion de revenir sur son parcours et de découvrir une autre facette, celle de l'homme derrière l'auteur. « A la mémoire de mon ami, l'écrivain Tahar Djaout, assassiné par un marchand de bonbons sur l'ordre d'un ancien tôlier. » C'est par ces mots que Rachid Mimouni rendait hommage à son ami Tahar Djaout assassiné par des terroristes en 1993, dans son dernier ouvrage portant, ironie du sort, un titre prédestiné, La Malédiction. Deux ans plus tard, le 12 février 1995, il meurt à son tour, emporté non pas par les balles, mais par la maladie. Même s'il reste relativement peu connu parmi les auteurs de la nouvelle génération, ce natif de Boudouaou a donné ses lettres de noblesse à la littérature algérienne des dernières années, arrivant même à faire connaître ses œuvres au-delà de nos frontières. Né dans une famille paysanne pauvre, il put néanmoins poursuivre ses études. « J'ai eu la chance que mon père tienne à m'envoyer à l'école, à l'école française, je tiens à le préciser, ce qui n'était pas évident à l'époque. Les enfants d'Algériens n'allaient pas à l'école… Et il tenait à ce que je reste à l'école, à ce que je puisse poursuivre mon cursus normal », confiait-il dans Les Cahiers d'Orient, il y a quelques années. Diplômé en sciences commerciales, il s'oriente tout d'abord vers l'enseignement, profession qu'il exerce à l'Ecole supérieure de commerce d'Alger, avant de laisser sa passion pour les mots prendre le dessus. Le printemps n'en sera que plus beau qui, fut son premier roman, paraît en 1978. Il y traite de la guerre d'Indépendance et donne le ton de ce que sera l'écriture de Mimouni. Grave, traitant d'une Algérie en perte de repères. Sujet que l'on retrouvera à nouveau quatre ans plus tard dans le roman qui le consacre, Le Fleuve détourné, où il traite de l'amnésie collective post-indépendance et montre du doigt les nombreuses dérives de la société. Suivent coup sur coup, Une Peine à vivre et Tombeza, deux œuvres assez ressemblantes, traitant toutes deux de la mort et des dérives du système militaire socialiste qui règnent en ce temps-là. Le système n'apprécie évidemment pas ses accusations et n'arrête donc pas de le harceler. « Avant 1988, j'étais régulièrement convoqué par la police, ce n'est jamais très amusant, ces histoires-là. Chaque fois que je faisais une conférence, le lendemain j'étais convoqué, raconte-il. A la fin, au lieu de répondre à leurs questions, je leur donnais le texte de la conférence. » Mais deux événements allaient bouleverser la donne. Le 5 octobre 1988, puis l'arrivée des islamistes qui met fin à la parenthèse de liberté dans laquelle s'étaient retrouvés écrivains et journalistes. Aussitôt, l'écriture de Mimouni s'en ressent et s'oriente davantage vers le combat contre l'intégrisme. Bien qu'il soit perpétuellement menacé au même titre que les autres intellectuels, il décide d'assumer ses idées et de continuer dans cette voie. Pour preuve, la parution en 1992 de De la barbarie en général et de l'intégrisme en particulier. Œuvre pour laquelle il remporte le prix Albert Camus. Un an plus tard, la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader et les menaces se font de plus en plus oppressantes, mais Mimouni jure de ne pas quitter le pays, jusqu'au jour où tout changea : « J'étais, depuis longtemps, menacé par les intégristes. Ce n'était pas nouveau. J'ai pris position, j'ai mes idées, je les défends et j'étais prêt à en assumer les conséquences. Mais j'avoue que je n'aurais jamais cru qu'ils s'en prendraient à ma famille. J'ai une fille de 13 ans. Le jour où ils l'ont directement menacée de mort... cela m'est devenu insupportable », avoue-t-il juste après son départ pour le Maroc, choix qu'il expliqua par le fait que même dans l'exil, il ne voulait pas être loin de chez lui. Quinze ans après sa mort, aucun hommage ne lui sera rendu par les autorités, puisqu'il reste cet éternel étranger en son pays. Contrairement à d'autres auteurs, Rachid Mimouni n'est pas étudié dans les manuels scolaires, perpétuant ainsi l'amnésie collective. Seule sa ville natale portera toujours au plus haut son enfant prodigue, cet enfant qui, devenu homme, s'est battu pour ses idéaux et son peuple. A travers ses mots. Pour qu'un jour le printemps soit plus beau.