Le directeur de Liberté a appelé à la création de la fondation Tahar-Djaout et à l'instauration du Prix du journalisme portant le même nom. Si pour certains, évoquer la mémoire du grand homme, talentueux écrivain et journaliste, que fut Tahar Djaout nécessite impérieusement de se préparer, d'affûter son verbe et encore d'user d'une grande littérature, ce domaine de prédilection du fils d'Oulkhou, pour ceux qui ont eu à le côtoyer, pour ses amis, bien sûr les vrais, bien que sans revendiquer sa grande amitié, de simples mots mais aussi sincères et percutants, touchant jusqu'aux tréfonds des âmes, semblent suffire pour battre le rappel des émotions et parfois des larmes. C'est ce qu'ont prouvé, sur un fond de grande spontanéité, Abrous Outoudert et Omar Belhouchet, respectivement directeurs de Liberté et d'El Watan, tout au long de leurs témoignages apportés à l'occasion du colloque organisé par l'association Tusna à la maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou. Bégaiement d'abord, petits mots ensuite, puis larmes et émotion. “Quand on parle d'un ami, on ne se prépare pas, on parle avec le cœur”, dira Abrous Outoudert, rappelant avoir connu Tahar depuis l'âge de 20 ans pour ne se séparer que lorsque la bête immonde viendra l'arracher à sa femme, ses filles Nabeha, Nadia et Kenza qui n'avait alors que 3 ans. De l'humanisme de Djaout à ses positions politiques assumées alors que l'Algérie vivait un remue-ménage qui l'a placée dans une situation exceptionnelle vers la fin des années 1980 et début des années 1990, passant par ses œuvres son intellectualisme et son inoubliable aventure dans la presse après quoi il a laissé sa vie, les témoignages, bien que parfois agrémentés de quelques anecdotes, n'ont pu laisser de place à l'indifférence dans cette salle où l'on cachait les visages pour verser quelques larmes à la mémoire de celui qu'“on ne peut jamais récupérer” comme disait, la gorge nouée, Abrous Outoudert, mais dont la mémoire doit être perpétuée, toujours de son point de vue, tant en Algérie “on a tendance à effacer la mémoire de ceux qui sont morts pour la République”. C'est justement à l'effet de perpétuer la mémoire de Djaout, “cette valeur sûre, cette icône de la littérature et du journalisme, ce repère qui permet d'espérer dans un pays où il n'y a pourtant plus beaucoup de motifs pour croire en la politique et les combats”, comme aimait le qualifier Belhouchet qu'Abrous Outoudert qui ne voulait pas se contenter de l'hommage déjà rendu à Djaout en faisant inaugurer le nouveau siège de Liberté par Kenza, la fille de son défunt ami, a relancé l'idée de la création de la fondation Tahar-Djaout, et ce, tout en invitant Nadia, la fille de l'illustre écrivain, qui était présente aux côtés des conférenciers, à prendre à bras-le-corps ce projet, et aussi d'instaurer le Prix du journalisme qui portera également son nom dans l'objectif d'encourager la jeune génération de journalistes à emprunter la voie, à poursuivre le combat et à faire vivre les valeurs démocratiques pour lesquelles Tahar a été lâchement assassiné le 26 mai 1993 par “la famille qui recule” comme lui-même le décrivait dans son dernier éditorial dans Rupture, cet hebdomadaire qu'il avait fondé, rappellera Omar Belhouchet, avec beaucoup d'abnégation et de sacrifices pour contribuer avec la “famille qui avance” de sauvegarder la République. “Djaout a fait ses débuts dans la poésie puis est devenu écrivain spécialisé beaucoup plus dans la culture et la littérature avant de mettre son manteau de militant et journaliste usant de sa force du verbe et de ses talents incontestables lorsqu'il fallait prendre position pour défendre la République”, dira Belhouchet qui pour décrire l'homme au quotidien que fut Tahar, qu'il dit avoir connu depuis 1995, dans le cadre beaucoup plus professionnel qu'amical, puisque, a-t-il souligné, “je n'étais pas dans le cercle très proche de Djaout bien qu'on fût dans les mêmes tranchées”, rappellera la gentillesse exceptionnelle, le sourire légendaire de cet homme chez qui l'on ne peut jamais déceler une colère qui n'a pas de place. Evoquant toujours le combat de Djaout, le directeur de Liberté, Outoudert Abrous, mettra l'accent surtout sur le manuscrit récupéré auprès de la famille du défunt et qui était intitulé F. V. (les Frères vigilants) qui a fini par être publié sous le titre le Dernier été de la raison et qu'il qualifie de “véritable pamphlet”. Aujourd'hui encore, les deux conférenciers, chacun à sa manière, disent les valeurs de Tahar Djaout qui se sont toujours inscrites contre l'autoritarisme et l'islamisme fondamental, doivent être plus que jamais défendues si l'on veut que la République de la famille qui avance reste debout. En ce qui les concerne, les deux directeurs de journaux frappés du sceau de l'opposition disent être justement restés fidèles aux engagements et valeurs de Djaout qui consistent à narrer les lourdes réalités, à dire les vérités et à rester critiques quel que soit le prix à payer. Interrogé sur la dernière contribution de Yasmina Khadra au sujet de Tahar Djaout, une contribution critiquée le lendemain par Abdelkrim Djaâd, Abrous Outoudert dira que “ce sont les repères de Djaout qui se trouvent réconfortés et c'est une contribution qui réconforte”. La conférence s'est achevée avec une remise de bouquets de fleurs à Abrous Outoudert et Omar Belhouchet, et les applaudissements de la salle qui s'est levée comme un seul homme à la mémoire de l'auteur de l'Exproprié et en guise de reconnaissance à ces deux hommes qui, par la force de leurs témoignages, ont révélé des facettes encore inconnues de l'œuvre et de l'homme que fut Djaout.