L'avocate Nicole Dreyfus était, de mon point de vue, tout indiquée pour un avis sur la décision de députés algériens de poursuivre les auteurs de crimes coloniaux commis en Algérie. C'est pourquoi j'ai tenté de la joindre, jeudi à midi. En vain. Je recommence vendredi après-midi. Au bout du fil, une voix me répond : « Qui cherche à la joindre ? Elle est décédée hier soir... » Nicole Dreyfus a fait partie du collectif d'avocats qui a défendu les membres du FLN arrêtés pendant la guerre de Libération nationale. Paris De notre correspondante Elle effectue son premier voyage en Algérie en 1956. Sa dernière visite à Alger remonte à fin octobre 1961. L'avocate a plaidé essentiellement à Alger, mais aussi à Oran, à Annaba, à Constantine et à Ouargla. Lorsque l'OAS se déchaîne, elle se souvient avoir dit à un militant politique : « Ce n'est plus la peine d'envoyer des avocats en Algérie parce qu'on est dans une phase telle que les condamnations à mort ne sont plus exécutées, il n'y a pas de menace immédiate. En revanche, l'OAS peut envahir les prisons, elle l'a fait dans certains cas, et là, nous ne pouvons rien. » Peu de temps après, maître Garrigues, avocat à Alger, était assassiné par l'OAS. Des militants du FLN qu'elle a défendus, maître Nicole Dreyfus a surtout revu, depuis, des femmes. L'avocate était souvent constituée par des femmes. « J'ai revu Malika Korriche, Safia Baaziz, qui était ma collaboratrice, elle est avocate à Paris, Anne-Marie Francès, qui est morte il y a deux ans et que j'ai hébergée chez moi pendant plusieurs mois à sa sortie de prison, Mériem Belmihoub-Zerdani, Djouher Akrour ; j'ai revu à mon dernier séjour Guerroudj et sa femme ainsi que Zohra Drif… » L'avocate raconte : « On plaidait les affaires qui venaient, avec souvent, à la clé, des condamnations à mort. Il fallait étudier le dossier en quelques heures, et le lendemain plaider à fond. Je considère que c'était un combat juste, je suis contente de l'avoir mené. » (El Watan, édition du 8 mai 2005). Après l'indépendance de l'Algérie, elle a poursuivi son engagement pour la vérité et la justice. « La manifestation du 17 octobre 1961 et sa répression abominable est une affaire qui m'a particulièrement tenu à cœur, parce que je l'ai suivie devant les juridictions françaises et même devant la Cour européenne des droits de l'homme (El Watan du 8 mai 2005, ndlr). » Sur initiative de la fondation du 8 Mai 1945, des rescapés et des ayants droit de victimes de la sanglante répression de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris ont déposé une plainte contre X devant la justice française pour crime contre l'humanité en février 1998. Saisie par les plaignants le 15 mars 1999, la chambre d'accusation a rendu son arrêt le 3 mai, dans lequel elle confirme que les faits incriminés sont amnistiés parce qu'ils entrent dans le cadre de la loi d'amnistie couvrant les infractions en relation directe ou indirecte avec la guerre d'Algérie. Les avocats de la partie civile ont saisi la cour de cassation. La plainte des familles avait été rédigée, signée et déposée par maîtres Bentoumi, Nicole Dreyfus et Marcel Manville. Ce dernier, ami de Frantz Fanon, est décédé le 2 décembre 1998 en plein tribunal, alors qu'il s'apprêtait à plaider devant la chambre d'accusation. Les plaignants sont allés jusque devant la Cour européenne des droits de l'homme.Présente à une rencontre témoignage de Louisette Ighil Ahriz organisée par l'Humanité en septembre 2000, l'avocate confirme que des récits tels que celui de Louisette Ighil Ahriz : « Nous en avons entendu des centaines, chacun des prisonniers de Barberousse, d'Oran, de Constantine… nous faisait le même récit, décrivait les mêmes tortures. » « Le devoir de mémoire est un devoir essentiel. La torture pratiquée en Algérie n'intéresse pas que l'Algérie. C'est un problème universel contre lequel nous devons nous élever et lutter. » Nicole Dreyfus ajoute que la France a attendu 1996 pour reconnaître la Shoah ; « sur la guerre d'Algérie, personne n'a rien dit, non pas parce que pendant la guerre personne ne se soit dressé en France ou en Algérie contre la torture ». « La loi d'amnistie a couvert ces exactions. Est-ce pour autant que ces faits doivent être couverts par la loi de l'oubli ? » « Il y a une responsabilité de l'Etat français qui doit reconnaître que ce qui s'est passé il y a 40 ans, la torture, est inadmissible. » Et « actuellement, les choses sont mûres pour que, de part et d'autre de la Méditerranée, on parle de réconciliation, laquelle comporte une condition : la condamnation des tortionnaires par l'Etat qui les a engagés. Ce n'est pas l'oubli qui efface les crimes. C'est la reconnaissance de ses torts. (El Watan du 19 septembre 2000) ». « Quelles que soient les vicissitudes de la colonisation, et Dieu sait ce qu'elles ont été nombreuses et cruelles, il y a quand même entre ces deux pays une histoire commune, une culture commune et des valeurs communes qui sont des valeurs de la démocratie et de la tolérance. C'est le point le plus important et pour lequel nous attachons le plus de prix et de satisfaction (El Watan du 8 mai 2005). »