C'est avec une immense tristesse que j'ai appris le décès de Maître Nicole Dreyfus, morte ce jeudi 11 février. Généreuse et sensible, elle a fait de son noble métier un moyen de lutte, de combat permanent contre le colonialisme, l'injustice et le racisme. L'Algérie vient de perdre une amie très chère et une alliée de toujours. Nicole Dreyfus, que j'ai connue par le biais de la Fondation du 8 Mai 1945, fait partie de ces Français et Françaises qui ont soutenu notre lutte de libération nationale et qui ont continué à militer pour que la France reconnaisse ses crimes coloniaux, parce que me disait-elle : «L'Etat français doit adopter la même démarche qu'à propos de Vichy». Signataire de «l'Appel des douze», le 31 octobre 2000 dans les colonnes de l'Humanité, elle rappelle à la France que la torture était une pratique institutionnalisée et employée systématiquement par une armée régulière et un Etat. Tout comme pour le 8 mai 1945, la femme de loi affirme que juridiquement parlant, il s'agit bien d'un génocide, d'une répression très violente qui a massacré une communauté ethnique de même religion, de mêmes traditions. Maître Nicole, comme nous l'appelions affectueusement, répondait «présent» à chaque colloque organisé par la Fondation du 8 Mai 1945 et par l'Université de Guelma, avec beaucoup d'humilité et d'émotion, elle nous racontait son riche parcours. Elle a été de tous les combats pour la libération des hommes et des peuples. Membre du Parti communiste, responsable du Mouvement de la paix, membre de l'Association Mémoire -Vérité-Justice (avocate pour la disparition de Maurice Audin), Secrétaire générale de l'Association française des juristes démocrates, Maître Nicole a défendu des militants de gauche en Grèce sous la dictature des Colonels et en Espagne sous Franco. En 1956, avocate au Barreau de Paris, elle fait partie du premier Collectif de défense des militants nationalistes algériens aux côtés d'Henri Douzon, Pierre Braun, Jacques Vergès……Ce Collectif d'avocats français assurait la défense en organisant un pont aérien. Maître Dreyfus, jeune avocate de 32 ans, commença une série «d'allers-retours» plusieurs fois par an entre Paris et Alger. L'objectif de ce pont aérien était d'éviter le «pire», c'est-à-dire la peine de mort aux accusés. C'était, disait Maître Dreyfus, une course contre la montre et contre la mort : dossiers travaillés en quelques heures avec peu d'informations, des menaces de mort etc. La tâche était loin d'être facile mais elle a toujours gardé en mémoire le courage de ces femmes et de ces hommes condamnés à la peine capitale qui continuaient à se comporter comme des combattants prêts à tout sacrifier pour une Algérie indépendante. L'affaire qui l'a le plus marquée et qu'elle a été amenée à plaider est «l'affaire du Stade» qui fut jugée par le tribunal militaire en 1957. Deux bombes avaient explosé simultanément, l'une au stade d'El Biar, l'autre au stade du Ruisseau faisant 17 morts et 45 blessés. Les accusés étaient Said Touati, Boualem Rahal, Mohand Bellamine et H'mida Hadi et deux jeunes mineures Baya Hocine et Djoher Akrour. Tous les six furent condamnés à mort par le tribunal. Les quatre hommes furent guillotinés. Les deux jeunes filles épargnées et condamnées à perpétuité. En conclusion à une journée d'études (décembre 2002) organisée par l'Association historique et culturelle du 11 Décembre 1960, Maître Nicole Dreyfus émue, larme à l'œil dira : «Nous avons rempli notre rôle du mieux que nous avons pu et certainement nous avons commis des erreurs mais quoiqu'il en soit, cette période de notre vie professionnelle a été, pour tous ceux qui ont participé à la défense, la plus exaltante et la plus enrichissante sur le plan intellectuel comme sur le plan du cœur». Je lui rends un hommage affectueux et je présente mes profondes et sincères condoléances à sa famille .