Il y a tout juste une année, le philosophe et révolutionnaire français Georges Labica passait l'arme à gauche. Un penseur qui était étroitement lié à l'Algérie : en 1956 en tant qu'appelé, puis à l'indépendance où il est resté jusqu'aux années 1970 en tant que professeur. Durant cette période, il a enseigné la philosophie à l'université d'Alger. Ceux qui étaient ses élèves à l'époque sont actuellement des chercheurs et des professeurs qui lui sont restés fidèles, voire même des disciples. Mais évoquer la mémoire et le parcours de ce penseur et homme engagé en faveur des luttes des peuples est une tâche aussi complexe qu'a été sa vie d'intellectuel. C'est à cet exercice auquel s'est adonné un panel de chercheurs et d'universitaires, à l'occasion d'un colloque international en hommage au penseur Georges Labica, organisé, hier et aujourd'hui à Alger à l'initiative du Centre national de la recherche préhistorique, anthropologique et historique (CNRPAH), et de l'université d'Alger en collaboration avec l'Aadress, sous le thème « Philosophie et politique, pensée et action ». L'éminent sociologue Ali El Kenz, ancien élève de Georges Labica, premier intervenant, a d'emblée planté le décor en rappelant les positions politiques du grand philosophe qui était Labica. En 1987, « à la veille de l'effondrement de l'URSS, les prémices de la révolte d'Octobre en Algérie, l'arrivée de Ben Ali au pouvoir en Tunisie et la guerre entre l'Iran et l'Irak. Un contexte international très lourd. Ensuite vint la rencontre de Beyrouth, en 1997, puis celle du Caire en l'an 2000 », se rappelle-t-il. A. El Kenz a évoqué ses rencontres pour dire que Georges Labica s'inscrivait foncièrement dans le monde arabe avec des prises de position qui tranchaient avec la résistance contre les attaques de l'impérialisme. Mais la rencontre la plus importante rappelée par le sociologue Ali El Kenz reste celle de Caracas, en 2008, où le philosophe a interpellé les élites de gauche sur « la nécessité d'arrêter de parler du système et de s'intéresser aux peuples et à leurs luttes. Pour pouvoir construire des alternatives, le philosophe doit revenir au réel. Un système perdure en raison de l'absence de résistance et aux penseurs d'imposer la liberté de penser », a fait remarquer Ali El Kenz en reprenant son maître penseur. Georges Labica a été, selon le sociologue, « un rebelle, un rude. Il n'a jamais été stalinien, mais un intellectuel qui est resté toute sa vie fidèle à une gauche radicale, contrairement à beaucoup de philosophes de gauche qui, eux, sont restés européanistes, voire même parisiens ». L'analyse s'est mêlée à l'évocation, lorsque l'écrivain portugais et ami de Georges Labica, Miguel Urbano Rodrigues, a pris la parole. Ce dernier s'est dit très frappé par « la culture intégrée » du penseur français, en faisant référence à son dernier ouvrage, Théorie de la violence. « Je n'ai jamais connu d'autre intellectuel dont la réflexion sur la violence dans l'histoire soit aussi profonde, lucide et créatrice », a dit M. Urbano Rodrigues. L'écrivain portugais a terminé son intervention en évoquant l'Algérie et Georges Labica : « L'Algérie a laissé des empreintes profondes dans la vie, la pensée et l'œuvre de Georges Labica. Depuis sa jeunesse, il abominait le colonialisme. » De son côté, le professeur de philosophie Gérard Bensussan, professeur de philosophie à l'université de Strasbourg, ami de Georges Labica avec qui il a rédigé le Dictionnaire critique du marxisme, a dressé un portrait du philosophe. Il a insisté dans son allocution sur deux aspects de la vie de son ami : sa passion pour la pensée et l'égalité. Georges Labica était passionné, mais aussi « farouchement engagé, très attaché à une pensée révolutionnaire transformatrice », a souligné l'économiste Rémy Herrera. Les débats se poursuivront aujourd'hui avec d'autres interventions qui porteront essentiellement sur la théorie de la violence.