De la clandestinité à la légalité. Les premiers mois du journal Combat (1941-1974) étaient revisités en juillet au Festival Off d'Avignon, au Théâtre des Barriques. ‘‘Combat (1944 – 1945), Albert Camus et la Pratique de l'Idéal'' est à la fois une première pièce sur l'histoire de ce grand quotidien français disparu en 1974 et la première fois où l'écrivain et journaliste Albert Camus est représenté sur une scène de théâtre, lui dont les pièces et les romans sont chaque année jouées à Avignon par les comédiens de toutes générations. Tout commence le 21 août 1944 à Paris. C'est l'insurrection populaire pour chasser l'occupant allemand et aider les forces militaires qui arrivent. Dans la rédaction du journal encore clandestin Combat se retrouvent Albert Camus et Pascal Pia avec les journalistes et les ouvriers du livre qui s'interrogent sur la parution enfin du journal au grand jour dans une capitale libérée. Camus et Pia se sont connus en 1938 à Alger à Alger Républicain. «C'était un projet fou. Sortir un journal libre à Alger ! Nous avons eu tous les pouvoirs contre nous : les notables, le gouverneur général. Avec la guerre, la censure s'y est mise. Nous avons fini avec un recto-verso», fait-on dire à Camus dans la pièce. C'est de nouveau un grand projet de créer un journal dans une France nouvelle qui veut construire une autre société. Les deux hommes se connaissent et s'apprécient, mais sur beaucoup de points, les divergences se feront vite jour, surtout au plan politique, d'autant que Camus a d'autres fers au feu, dont l'écriture de son roman La Peste, histoire qu'il a du mal à coucher sur papier. Le personnage d'Albert Camus, qui peut paraître grandiloquent, est déjà campé. C'est le Camus qui ne bougera pas d'un pouce dans les années qui viendront, et qui se taira lorsque ses idéaux ne passent pas. C'était déjà le cas dans la première épopée de Combat. Camus, chargé des éditos, passe parfois plusieurs jours sans venir à la rédaction apporter son billet. La France est engoncée entre les communistes, dont la puissance est réelle en ce temps d'après-guerre, les Gaullistes, qui jaugent leur influence et la droite qui veut faire fi des avancées sociales. CE QUI HANTERA ET RONGERA CAMUS JUSQU'A SA MORT Camus déjà se sent ailleurs. «La justice est à la fois une idée et… et une chaleur de l'âme. Sachons la prendre dans ce qu'elle a d'humain, sans la transformer en cette terrible passion abstraite qui a mutilé tant d'hommes», dit-il en un message inaudible. Il reste ancré sur ce qui le hante et le rongera jusqu'à sa mort : «idéal, révolte et défi.» La metteuse en scène, Clémence Arayol, souligne que «sur le personnage Camus de cette époque là dans l'aventure du journal Combat, nous avons rencontré la fille d'Albert Camus, Catherine, qui a donné l'autorisation de montrer pour la première fois Camus sur scène et dire son implication dans le journal de la résistance Combats». Pour elle, ce qu'on peut retenir, c'est «son idéalisme et l'actualité de son propos avec des morts qui résonnent beaucoup aujourd'hui encore. C'est une grande figure parce que ses propos gardent leur force. Ce qui est marquant c'est que les propos parlent à toutes les générations», conclut-elle. En contrepoint, on ressent aussi le malaise de Camus, qui a du mal à faire entendre sa parole faite d'humanisme et de fraternité. Ainsi en est-il au lendemain du 8-Mai 1945, tragique en Algérie ! Il voit que sa parole n'a pas d'effet, pas plus dix ans plus tard lors de son célèbre appel à la trêve civile en 1956 à Alger. Déjà dans l'aventure de Combat en 1944-1945, on entrevoit sa tentation continue de se murer dans le retrait et le silence, malgré la force de ses propos dans ses éditoriaux à la Une de Combat. Pour Clémence Carayol, « ce qui a été intéressant à noter c'est que c'était quelqu'un qui doutait et qui cherchait la vérité sans jamais prétendre l'obtenir. C'est un homme qui aspire à un certain idéal sans jamais l'affirmer comme une vérité ultime à imposer. Un homme actif, mais un peu en porte-à-faux par rapport au monde et une certaine vision qu'il a de l'humanité et de la justice. Sans asséner une vérité mais en proposant toujours avec une grande humilité, il est un personnage humble et engagé ». On peut retenir cette belle phrase de la pièce : «A gouverner sans idéal, ce sera la médiocrité qui l'emporterait». « Camus dégage une forme d'intégrité dans la quête de la liberté et de la vérité sans jamais prétendre avoir raison.»