Rendre hommage au père, à l'homme de lettres, au journaliste, à l'artiste qui toute sa vie, aussi courte soit-elle, a pensé «selon les mots et non selon les idées ». Témoigner de ce que fut cet homme «parmi les hommes, qui tenta, parmi ces hommes, d'être aussi homme qu'il le pouvait» (Séverine Gaspari). Offrir ce livre- souvenirs, ce livre-mémoire à la postérité, ces petits-enfants qui n'ont pas connu «cet homme attentif et chaleureux». Telles sont quelques-unes des motivations de C. Camus. Structuré en quatre parties thématiques et chronologiques, ce beau et émouvant livre biographique de 207 pages nous propose un voyage dans l'univers reconstitué de la trajectoire artistique et privée d'A. Camus par le truchement de photos en noir et blanc et en couleurs qui renvoient l'image d'un homme profondément attachant et sympathique. Un être humain extraordinairement ordinaire, dans tous ses états : joyeux, triste, souriant, soucieux, blessé, généreux, actif, engagé, investi. Un homme de son temps ayant vécu une vie courte et pourtant très dense et on ne peut plus tumultueuse. 1913-1936 : la génèse... «(…) Il lui avait fallu apprendre seul, grandir seul, (…), trouver seul sa morale et sa vérité, à naître enfin comme homme pour ensuite naître encore d'une naissance plus dure, celle qui consiste à naître aux autres.» («Le Premier homme») Au début, la ferme Saint-Paul en Mondovi (Algérie), le lieu de naissance. Puis, le temps de l'enfance et de l'adolescence marqué par l'absence du père. Dans la première partie de ce beau livre, l'auteure nous entraîne au cœur de la terre natale, ce monde d'amour, «de pauvreté et de lumière». Elle nous donne, ainsi, à voir des documents officiels représentant les origines, l'Espagne ; la mère, cette femme qui «demeurait ce qu'il aimait le plus au monde, même s'il l'aimait désespérément» ; la terre natale, «ce pays sans leçon -qui- ne promet ni ne fait entrevoir (…) ; Alger et «son port brûlant de soleil» ; l'école primaire, le lycèe Bugeaud, l'université d'Alger ; la maladie et son lot d'empêchements... Ce corpus iconographique agrémenté d'extraits d'écrits camusiens ayant une connotation biographique met en scène un homme à la sensibilité profonde qui fait ses premiers pas dans le monde de l'écriture et du militantisme. Ainsi, on découvre ses premiers écrits, ses activités sportives, théâtrales, militantes, politiques, en l'occurrence son adhésion au mouvement antifasciste Amsterdam-Pleyel, crée en 1933 par Henri Barbusse et au Parti communiste. Cette partie biographique met également en perspective les figures littéraires qui ont influencé la trajectoire d'A. Camus telles que Nietzsche, René Char, André Gide, Jean Grenier ... 1937-1945 : le temps de l'éveil et de l'action «Pour moi devant de monde je ne veux pas mentir ni qu'on me mente.» («Noces, le Vent à Djémila») Les photos exposées dans cette seconde partie du livre laissent transparaître l'image d'un Albert Camus militant, engagé menant une vie très active dans différents champs : journalisme, théâtre, écriture, en Algérie puis en métropole où il rejoint Pascal Pia qui l'embauchera au journal Paris-Soir. Ces années sont très prolifiques en matière de création littéraire. En 1937, il publie l'Envers et l'Endroit, et en 1939, Noces, un recueil de quatre poèmes en prose : Noces à Tipaza, le Vent à Djemila, l'Eté à Alger et le Désert aux éditions Charlot pour qui il dirige la collection «Poésie et théâtre». Des feuilles manuscrites, raturées, annotées, rédigées dans une écriture à peine lisible font partie des documents inédits publiés dans cette partie. En 1942, les éditions Gallimard publient l'Etranger, roman publié dans plusieurs langues. Les documents mettant en scène l'activité d' A. Camus dans le champ journalistique montre un homme engagé et extrêmement attaché à la notion de justice humaine. Et c'est pour mettre sa plume au service des pauvres, des miséreux, des silencieux, des méprisés qu'il s'engage dans le journalisme. Cette expérience dans divers journaux : Alger Républicain, Paris-Soir et Combat où il écrivait sous le pseudonyme de Mathe Albert pendant la période de l'occupation est fidèlement retracée à travers une série de photos et de coupures de journaux qui illustrent l'engagement d'A. Camus dans un journalisme solidaire et éthique, son combat contre la censure et pour la justice. Au fil des pages, les photos défilent et l'attention s'arrête sur une image montrant A. Camus accroupi, posant aux côtés d'un groupe d'intellectuels français (3), après la représentation de la pièce écrite par Pablo picasso, le Désir attrapé par la queue et mise en scène par A. Camus. Au sujet de sa vie dans la société intellectuelle parisienne, A. Camus écrit : «Je ne sais pas pourquoi, j'ai toujours l'impression d'avoir quelque chose à me faire pardonner. J'ai sans cesse la sensation d'avoir enfreint une des règles du clan. Je m'ennuie moi-même.» 1946-1951 : le temps de la révolte … «La révolte prouve par là qu'elle est le mouvement même de la vie et qu'on ne peut la nier sans renoncer à vivre.» (L'Homme révolté) Cette troisième partie ouvre sur les images d'A. Camus à New York, cette ville qui, «comme certaines femmes vous bousculent et vous écorchent l'âme», écrit l'auteur dans Pluies de New York. Puis, l'écrivain est surpris dans sa vie intime, en compagnie de Francine, son épouse et de ses deux enfants, Catherine et Jean et de ses amis. Ses goûts, ses préférences et connivences littéraires sont mis en lumière à travers des correspondances manuscrites qu'A. Camus a échangées avec plusieurs écrivains dont René Char qui dans une lettre, écrit : «Ah, cher Albert, cette lecture m'a rajeuni, refraîchi, raffermi...» En 1947, les éditions Gallimard publient la Peste, l'Etat de siège en 1948 et en 1950, les Justes et Actuelles, Chroniques I, 1944-1948, dédié à René Char dont la lettre de remerciements figure parmi les documents inédits publiés dans ce livre. «Solitaire et solidaire» – 1952-1960 : les huit dernières années de sa vie. «Ô mère, ô tendre, enfant chérie, plus grande que mon temps, plus grande que l'histoire» (Le Premier homme) Cette quatrième et dernière partie montre A. camus pris dans la tourmente des attaques et la joie des honneurs. Sur son visage, les marques d'une profonde douleur. A. Camus vient de faire l'objet d'une attaque de la part de l'équipe de la revue les temps Modernes dont Jean-Paul Sartre est directeur. Au cœur de la polémique, le roman l'Homme révolté publié aux éditions Gallimard en 1951. S'ensuit alors un échange de correspondances entre A. Camus et Jean-paul Sartre qui aboutira à une rupture des relations entre les deux hommes en 1952. Dans un entretien accordé à Pierre Bergé, A. Camus déclare : «J'ai voulu retracer une expérience qui est la mienne, dont je sais aussi qu'elle est celle de beaucoup d'autres. A certains égards, ce livre est une confidence, la seule sorte de confidence, du moins, dont je sois capable, et que j'ai mis quatre ans à formuler avec les scrupules et les nuances qui s'imposaient.» L'autre douleur ? L'Algérie, cette terre «qui n'est à personne (…) qui n'est ni à vendre ni à acheter (...)», écrit A. Camus dans le Premier homme. En 1956, son appel en faveur de la «trêve pour les civils» qui défend une position pour une algérie «vraiment libre et pacifique (…) riche et créatrice», essuie un échec cuisant qui incite A. Camus à s'enfermer dans le silence où, profondément bléssé, il renonce malgré lui à son vœu le plus cher : réunir «sous le soleil de -sa-naissance- la terre – qu'il a - tant aimée et ceux et celles – qu-il a – révérés». Et dans le tourbillon des déceptions et des échecs, le bonheur ose, enfin, se montrer dans ses plus beaux atours. Le 17 octobre 1957, le secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise, Anders Desterling déclare à la radio que le lauréat du prix Nobel de littérature est décerné A. Camus qui confie : «J'ai reçu cette nouvelle avec une sorte de panique.» La Chute, roman publié en 1957 a été décisif dans l'orientation de la décision du jury pour l'attribution du prix Nobel de littérature. Le 4 janvier 1960, la voiture de Michel Gallimard s'écrase contre un arbre à Villeblevin dans l'Yonne. Sur le siège avant, Albert Camus est tué sur le coup. La mort... La dissollution de la vie... la décomposition de l'énergie... La mort dans l'avant dernière photo du livre, elle a le visage du silence imposant dans un champ d'oliviers... L'Algérie... La terre natale... La douleur... Un vide incommensurable… Une solitude irrémédiable... Mais dans sa mort, A. Camus n'est pas seul. Michel Gallimard, son ami lui tient compagnie. Les voilà unis pour l'éternité (dernière photo du livre). A voir et à lire ce beau livre ! Car, il vous enchantera et vous enchaînera. Et lorsque vous le refermerez, l'image d'un Albert Camus, homme libre, profondément chaleureux et émouvant vous suivra et vous poursuivra. Cet homme qui parle à la sensibilité de chacun; cet homme révolté, entouré et pourtant profondément seul avait, certes, des limites notamment dans ses positions relatives au colonialisme français mais nul ne peut lui dénier son génie littéraire, sa lucidité, sa finesse d'analyse littéraire et psychologique, son sens profond de la justice, son respect de la personne humaine, l'amour incommensurable qu'il portait à sa terre natale ainsi que son attachement à une pensée libre : «J'en ai marre de vivre, d'agir, de sentir pour donner tort à celui-ci ou à celui-là. J'en ai assez de vivre selon l'image que d'autres me donnent de moi. Je décide l'autonomie, je réclame l'indépendance dans l'interdépendance», écrit A. Camus dans son livre posthume, le Premier homme. (P. 923) De Paris, Nadia Agsous Catherine Camus, Albert Camus, Solitaire et Solidaire, Editions Michel Lafon, Paris, 2009.