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La loi implacable de l'austérité et du laxisme
Publié dans El Watan le 29 - 08 - 2016

Les hôteliers de Béjaïa perdent du chiffre en cet été exceptionnel 2016. Le mois d'août, qui d'habitude signe l'arrivée de la haute saison, ne rappelle pas les masses d'estivants coutumiers des séjours bougiotes. A Tichy, Mecque du tourisme de masse s'il en est, on ne se bouscule pas aux portes des hôtels. Sur les trottoirs et les plages, si. 5 millions de baigneurs au compteur de la Protection civile.
La situation inquiète les professionnels, au moment où les coins de la ville servent de lits à la belle étoile à des cohortes de jeunes estivants aventuriers qui serrent les rangs, mais qui se serrent surtout la ceinture. Tournée dans certains hôtels de la coquette station balnéaire qui perd des couleurs, effacées par l'austérité et une non-politique touristique qui nous rappelle le triste sort d'un tourisme qui tâtonne.
«C'est la cata !» L'homme qui parle ainsi c'est le patron de l'hôtel Raya, Touati Lyazid, un jeune à l'accent d'émigré qui a vécu en France. En cette première décade d'août, son hôtel, qui devrait faire le plein en cette période, est à peine à 50% de ses capacités d'accueil. Le chiffre ne peut qu'inquiéter. En avril dernier, Raya a fait mieux avec 60% de taux d'occupation. Il tourne actuellement, comme la majorité des hôtels de la région, avec une clientèle constituée de nouveaux mariés, d'Algérois, de Constantinois, Sétifiens,…
L'hôtel est très loin de l'ambiance fébrile de novembre dernier lorsqu'il fallait se frayer un chemin parmi la grosse foule des invités du Festival international du théâtre. «On doit se poser la question : pourquoi ça ne marche pas ?» s'interroge le jeune patron. «Ici il n'y a aucune règle, chacun fait ce qu'il veut. Pendant deux mois tout est permis. Tout le monde squatte et les baraques poussent comme des champignons», répond-il.
Le constat de Touati Lyazid est facilement vérifiable dans l'espace grouillant de Tichy qui devient, le temps de l'été, un défouloir sans règles : dortoir à ciel ouvert, plages salies, squattage à grande échelle des plages, prix exorbitants de tous les produits à large ou à faible consommation… Un été sans Etat, y compris dans le reste des plages de la wilaya. La principale rue de la ville de Tichy est toujours encombrée, malgré l'annonce d'un dispositif policier qui en a réduit l'intensité des bouchons. Les riverains vous le diront, «la fluidité n'a duré que les premiers jours». Ce bref bol d'air ne vient que les conforter dans leur conviction que quand les autorités veulent, elles peuvent.
«Un ministre nous disait…»
Ouvert en été 2015, l'hôtel Raya a poussé sur 1000 m2, avec 47 chambres dont 9 suites, un grand restaurant pour 200 couverts, une piscine couverte,… Un gros investissement en somme en huit ans de chantier qu'il faut rentabiliser. «Je peux remplir l'hôtel, mais avec qui ?» nous dit Touati Lyazid, soucieux du standing de l'hôtel, mais qui n'empêche pas de prôner la flexibilité. «Parfois, nous tolérons que quatre personnes occupent une chambre double.
Nous faisons du social. Tous les efforts qu'on fait et on n'est pas aidés», se désole-t-il. «Nous avons basé notre politique sur la qualité, mais personne ne nous accompagne», renchérit le directeur de l'hôtel, Saghi Aïssa. On en veut aux pouvoirs publics et pour cause. A sa naissance, Raya était tout prêt pour se fondre dans une industrie hôtelière rêvée. Grande désillusion. «Lorsque je suis venu investir ici, tout le monde m'a pris pour un fou», nous dit-il.
Des ministres et des ambassadeurs y ont mis les pieds. «Un ministre nous disait que l'Etat est là pour aider les gens qui investissent. Aujourd'hui, nous sommes seuls», déplore le jeune patron dépité par des discours creux. Une illustration de la politique touristique «absurde» de l'Etat algérien ? La voici : pour entrer à l'hôtel Raya, il faut passer par… la cafète. A ce jour, l'hôtel ne dispose pas d'un accès digne de son statut pour la simple raison que devant ce qui est censé être sa façade, sur un terrain de la commune… campent des baraques de commerces qui sont là depuis de longues années.
Elles lui collent aux murs. Dans une de ses visites en tant que ministre du Tourisme, Amar Ghoul instruisait le maire de la ville de libérer cet l'espace. «La mairie ne prend aucune décision et nous avons introduit deux demandes d'audience auprès du wali, sans suite. J'ai même proposé d'aménager la placette à mes frais», affirme Touati Lyazid, rencontré dans son bureau. «Pourquoi on ne contrôle pas tout le monde comme on le fait avec nous ?» s'interroge-t-il.
La solution pour toute cette anarchie ? Une bonne volonté pour faire le ménage et faire aimer mieux la destination Tichy. Les hôteliers, à l'instar du jeune Touati, demandent «des règles, rien d'autre». Tichy peut faire mieux sans se départir de sa vocation d'une ville symbole de tourisme de masse. Mais le dépit de ce jeune hôtelier dicte cet appel de détresse qui veut qu'«il faut se réveiller». La déception est à grande échelle parmi une jeune génération d'hôteliers qui tente d'apporter sa touche.
De Sherbrooke à Tichy
«Donnez-moi cette côte de Tichy à Montréal et j'en ferai un paradis…», nous dit Samir Aroudj, un autre jeune à l'accent émigré, qui gère avec son père l'hôtel Syphax. Un autre hôtel qui ne fait pas le plein en cette «haute saison». Il est à quelque 70% de taux d'occupation alors qu'en pareil mois il frôle les 100%.
Son patron, Aroudj Khoudir, le père, croit en la sous-valorisation de la destination Algérie qui «malgré tous les problèmes, demeure attractive et compétitive». «Même avec 30% d'activité il y a rentabilité parce que les charges ne sont pas excessives comme ailleurs», soutient-il. L'ailleurs, c'est à l'exemple du Canada qu'il connaît bien. «A Sherbrooke, même avec 60% d'activité ce n'est pas rentable», illustre-t-il en connaissance de cause, pour avoir détenu une petite part dans le capital d'un hôtel à Montréal avec «huit ans sans un seul dollar de bénéfice, avec pourtant un taux de fréquentation appréciable, été comme hiver».
Aroudj Khoudir pointe du doigt une urbanisation inadéquate pour une station balnéaire comme Tichy. «Tout le monde se rue vers le centre urbain. Aujourd'hui, le touriste a peur», répond-il. L'insécurité est l'ennemi juré du tourisme. Le mal est fait et la ville qui étouffe ne le sait que trop bien. Un vice-P/Apc de la région l'a vérifié lorsque, tombé en panne, il a été entouré d'une poignée de jeunes venus à la rescousse. Une fois les jeunes partis, l'élu s'est rendu compte que 4000 DA avaient disparu de sa poche. Le problème est celui de toute une politique qui n'est pas là pour valoriser une destination qui regorge d'atouts.
Aroudj Khoudir a été à Cuba ; le pays des favelas est une destination prisée, chère et loin. Et dire que là-bas «ils ne vendent que du soleil», constate cet ancien hôtelier. Ce qui marche ailleurs ne marche pas chez nous. «Ailleurs, on circule avec des cartes de crédit. Chez eux, c'est facile, il suffit d'un clic pour réserver. Toutes les lignes aériennes ne sont pas aussi chères que les nôtres», énumère notre interlocuteur qui a encore en souvenir que dans un restaurant à Manhattan, on lui a servi un plat… d'oignon.
«Donnez de l'oignon aux nôtres et voyez leur réaction», écrit-il dans une lettre ouverte publiée dans El Watan et destinée à «nos médias et à nos agences de tourisme qui ne savent plus vendre la destination Algérie même aux Algériens». La crise trouve l'hôtel Syphax avec un personnel de 80 employés et dans un nouvel habit : complètement rénové et étendu avec la mise en exploitation d'une extension de 63 nouvelles chambres. Malgré les efforts, Aroudj Samir reconnaît qu'«on n'est pas encore aux standards internationaux». Les mentalités, les instituts, les politiques et les bons comportements ne suivent pas.
«Normal !»
Au Club Alloui, la baisse est aussi «exceptionnelle». Karim Alloui, l'un des deux frères gérants du Club, nous le confirme : «Le mois d'août est censé être le pic avec 95%, nous en sommes à 72%.» En temps «normal», l'hôtel affiche complet à la mi-journée. Il est de coutume d'orienter les clients à chercher une improbable chambre dans d'autres hôtels de la ville.
Jeudi 11 août, quelques familles prennent plaisir autour de la piscine du Club. Chaque hôtel réussit à maintenir une clientèle fidélisée, en majorité des nationaux du centre du pays. Certains reviennent parfois, mais pour un séjour écourté. La conséquence de ce recul, Karim Alloui ne la voit pas que dans la cherté de la vie puisque «les prix augmentent partout». Il cite le phénomène de location d'appartements chez les particuliers et la crise économique qu'il considère avoir amené «les gens à dépenser moins pour les vacances». «C'est normal !» dit-il.
La baisse de l'activité ne semble pas beaucoup inquiéter les gérants du Club Alloui qui fait jouer, en basse saison, la carte de la balnéothérapie avec son centre de remise en forme. Son voisin, Les Hammadites, ne sent pas trop la crise. Hôtel étatique imposant avec ses 139 chambres et ses 261 lits, les Hammadites tourne à 80% grâce aux conventions qu'il s'est assurées comme une manne avec des entreprises nationales dont Sonatrach, Sonelgaz et leurs filiales (BASP, ENSP, Terkib…). Cela dure depuis 25 ans avec certaines de ces entreprises dont il reçoit les cadres en pension complète.
Les Hammadites, c'est aussi la destination non négociable de toutes les délégations ministérielles en visite dans la wilaya qui s'y restaurent en nombre. Cela dure, y compris depuis l'appel du Premier ministre aux Algériens de «se serrer la ceinture». Du pain béni en ces temps de disette. L'hôtel est «presque complet», nous dit son directeur, Hamache Mustapha. Les 10% qui manquent pour faire le plein habituel sont à chercher parmi les particuliers qui manquent au rendez-vous d'août. Cette défection n'inquiète en rien Les Hammadites qui maintient son projet de rénovation et d'extension.
Les conventions des uns, les couples des autres
Les conventions ne sont pas la planche de salut de tous les hôtels. Elles ne mettent pas à l'abri du manque à gagner qui n'épargne d'ailleurs aucun des hôtels urbains de la ville de Béjaïa qui tournent aussi avec cette formule. C'est le cas, entre autres, de l'hôtel Brahmi, un petit hôtel qui a poussé au cœur de la ville il y a cinq ans. Bien que 90% de ses activités proviennent des conventions, cet établissement de 36 chambres a travaillé à seulement 70% de ses capacités durant le premier semestre de cette année.
Il accuse un recul de 25% comparé à la même période de l'année passée. Brahmi Mourad, directeur commercial de l'hôtel, nous en explique les raisons : «Les importateurs qui réservaient pour deux ou trois jours ne viennent plus, ils délèguent tout aux transitaires.» «Les clients fidèles qui viennent chaque année en famille pour dix jours durant le mois d'août reviennent, mais pour cinq jours seulement. Les familles qui viennent manger chaque semaine dans notre restaurant ne le font maintenant que chaque mois», ajoute-t-il. Les coopérants intervenant sur certains chantiers de la wilaya manquent aussi à l'appel, comme ces Irlandais, Russes, Français, Tunisiens, chargés d'un chantier d'une station de la Sonelgaz à Amizour.
Le projet terminé, les coopérants partis, l'hôtel a perdu 15 clients permanents pendant deux ans, des clients que la politique d'austérité de l'Etat ne promet pas de rappeler de sitôt. L'austérité a dicté aux organismes et institutions étatiques d'opérer des coupes dans leurs budgets et d'opter pour un nouveau modèle de prise en charge des déplacements pour missions. «Il n'y a plus de prise en charge complète. Les directions régionales se limitent juste à donner des frais de mission», estime Brahmi Mourad qui ne croit pas que la baisse de l'activité est due à une quelconque concurrence qui a su mieux séduire.
En tout cas, certains des nouveaux couples ne lésinent pas sur les moyens pour une nuit de noces dans un hôtel. Selon notre interlocuteur, «il ne se passe pas un week-end sans compter 4 à 5 couples qui arrivent.»
Le cas vaut pour la majorité des hôtels. Mois des noces par excellence, août propose une clientèle conjoncturelle toute bénite pour les hôtels mais que la tendance au célibat de l'Algérien en âge de se marier maintient dans des proportions limitées.
Pour le directeur commercial de l'hôtel, il faut en tout cas devoir cibler sa clientèle. Celle de la gare routière de la ville de Béjaïa l'est pour l'hôtel Le Sarrasin à qui profite ce voisinage bienvenu. Ouvert en juin 2014, avec 80 chambres, Le Sarrasin travaille aussi avec la formule des conventions, mais qui sont mises en veille en été.
L'hôtel confirme la baisse exceptionnelle de cet été : il est actuellement à moitié vide. En attendant les invités du Salon de l'artisanat qu'il a accueillis en été 2015, les estivants ne se bousculent pas au portillon. Pourtant, en août 2015 il a affiché 95% d'occupation. Kertous Chabane, le jeune directeur de l'hôtel, trouve cette importante baisse «tout à fait normale», comme une conséquence logique d'une absence de vision touristique.
Comme le commun des Algériens, ce jeune hôtelier est convaincu qu'«il n'y a pas de politique touristique» digne d'un pays qui ne manque pourtant pas de potentialités. «On n'arrive même pas à gérer nos déchets ménagers, comment pourra-t-on gérer le secteur du tourisme ?» s'interroge, ironique, Kertous Chabane. «Un littoral de 1200 km, pas même une seule tamiseuse pour le sable des plages et on parle de tourisme !» s'exclame-t-il encore, certainement non moins désillusionné que le reste des gérants et patrons des 23 hôtels balnéaires et 25 urbains de la wilaya qui attendent des jours meilleurs.


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