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Retour aux sources
Publié dans El Watan le 30 - 08 - 2016

Et à moindre frais, il suffit de se dégourdir les jambes et partir à la découverte des fontaines et autres points d'eau et sources naturelles du village de Thougenseft à 130 km de Tizi ouzou, un village niché au pied de Azrou n'terri. Le bus vous dépose à l'entrée du village et voilà que juste cinq minutes après, on vous invite à vous désaltérer avec de l'eau fraîche de Thougenseft, une fontaine bien aménagée qui, dans le passé, était protégée par un toit en tuile rouge avec quatre grandes sources.
Imzyaven, une autre grande fontaine en extra-muros représentant le repère par excellence du village, c'est le point de chute des gens de passage en quête d'hydratation. Thala intra-muros est un espace exclusivement féminin, le lieu ne désemplit pas et les filles se prêtent au jeu de selfies avec beaucoup de grâce, un des cérémonials des noces en Kabylie dictait à chaque nouvelle mariée de remplir sa cruche tôt le matin. Un geste qui est aussi un symbole d'abondance et de fécondité.
Richesses naturelles
Pas loin du site et à côté de l'assemblée du village, une autre thala située à l'intérieur d'une petite maisonnette appelée thala imzula ou la fontaine des ablutions fréquentée par les fidèles pratiquants. Les petits jardins et autres potagers ont été dans les années soixante-dix arrosés à partir des sources naturelles du village, une région aux richesse naturelles inestimables.
Da Belkacem, retraité de son état, qui est au fait de la diversité floristique de cette partie de la généreuse Djurdjura, nous laissa bouche bée devant son savoir botanique, il énuméra fièrement tous les types d'arbres et plantes dont on respire toutes les senteurs et les saveurs. L'oléastre, ou ahchad, frêne, ou thaslente, lavande ou mezzir, il oublia une autre espèce très convoitée par les abeilles, à savoir la bourrache traduite en chikh lvkoul. Une véritable encyclopédie verte !
Après avoir abordé le passage tucherka vers Azrou n terri, on s'est fait plaisir en cueillant tizoual, les fruits des bois… une aubaine de bons souvenirs où on brodait des colliers pour les remettre à nos chères mamans. Une escale verdoyante dans notre planning eco-touristique. Nous enchaînons après la pause tizoual, à escalader le grand rocher n'tiri, un site graniteux, une véritable curiosité géologique et un havre de paix pour les jeunes fuyant la foule et replongeant dans une ambiance où l'on peux déclamer les poèmes les plus hard de Si Mohand ou M'hand ainsi que le cru du répertoire romantique de Si Moh, Zeddek et l'éternel Matoub Lounès.
Ici les mandoles volent la vedette aux chardonnerets, mulets, serins et autres rossignols du coin. Les jeunes fuient l'amère réalité, celle du chômage et du manque flagrant de communication, l'ADSL n'a pas encore déterré ces câbles pour brancher les foyers, un jeune internaute sur un air plein d'humour nous rectifie : «Ce n'est pas la faute à l'ADSL, mais c'est plutôt le wifi qui est devenu le non fi.»
Un autre rebondit sur un ton rassurant : «Le raccordement à internet est prévu pour l'an 2020, et ce, dans le cadre du plan quinquennal 2020 et en attendant on se rabat sur la 3 G.» Il est 15h30 L'orchestre des cigales entame son «bœuf» et nous invite à admirer un des plus beaux panoramas de la localité. Une région qui a subi les affres de la colonisation, Thougenseft a été parmi les premiers villages évacués par l'administration coloniale en mai 1956 sous les ordres du tristement célèbre capitaine Jean Lhot, chef de la SAS des Ouacifs, un des auteurs de la sanglante répression qui a endeuillé des familles entières en les déplaçant à Agouni Fouro et à Aït toudert.
D'autres familles victimes civiles de la guerre coloniale ont trouvé refuge chez leurs cousins à Aïn Oussara, à Berine et à Sidi Aïssa. Après ce rappel historique, la discussion avec les jeunes est plus qu'intéressante. Par-ci, on nous tisse des anecdotes liées aux jeux d'enfants, aux matchs de football, à la chasse aux étourneaux, et par-là, on nous rappelle les sacrilèges liés à des oiseaux, comme l'hirondelle dont jamais personne n'a osé lui lancer des pierres.
Nous redescendons à Azrou N'terri pour rejoindre Leteniyen, qui était dans le passé un grand marché hebdomadaire baptisé le Lundi, d'autres sources précisent que bien avant 1954 Letniyen était un souk des armuriers. Sur les traces des fontaines, on ne peut pas faire fi des traditions et ne pas glisser une pièce pour la baraka de djeddi Wadellah, un mausolée qui nous accueille à l'entrée du village, un autre saint-patron qui n'est pas si loin du mausolée de Sidi Oulhadj, dont l'un des disciples, Chikh Mohand Amokrane Nath Mehiddine, a été torturé et jeté dans une fosse commune.
Une région gorgée d'eau
Cheikh Mohand a été également un des valeureux moudjahidine, enrôlé de force par l'administration coloniale pour servir de chair à canon dans la guerre des Druses en Syrie en 1925. Sur le chemin vicinal, et dans le bas-côté, une autre fontaine familiale des Ath Slimane est ombragée par toute une ceinture de roseaux de lierre, de romarin et d'autres fougères, un véritable microclimat offrant brise et bien-être. Nous continuons notre pèlerinage en quête de sources de cette région gorgée d'eau et nous voilà devant Thala Oumezzir, une source abondante agrémentée de galets aux couleurs scintillantes et protégée par un imposant olivier.
Notre bon plan au sein de cette région de la Grande Kabylie est ponctué de sympathiques rencontres, une femme venant de Tizi Mellal nous saluait et encensait l'eau jaillissante de toute la bienveillance de la providence, des saints-patrons et autres gardiens des lieux. Cette eau qui ruisselle des monts de Lala Khedidja alimente également d'autres sources et autres point d'eau (amdhun) des plaines (azaghar), cette plaine qui s'étend jusqu'aux Ouadhias.
Après un bref moment de repos, on a arpenté un autre chemin qui monte, une belle ascension pour découvrir Thala Helli. Durant toute l'épreuve de la marche à pied, on a fait connaissance avec toute une galerie de personnages dignes du roman de l'auteur des Chemins qui montent, le regretté Mouloud Feraoun, du doyen du village, du berger, de l'étudiant de retour de son campus, en passant par les jeunes émigrés au bouhali, «derviche» de la localité .
«Fontaine, fontaine, je boirai encore et encore de ton eau» et notamment avec une température de plus 35 degrés, une eau que nous a servie une fillette drapée d'une belle robe kabyle sortie directement des ateliers de confections des Ouadias et coiffée d'un foulard mendil jaune, à la manière des femmes du village des Ath Vouchenacha.
Les jeunes émigrés de Maubeuge prennent du recul pour bien situer la source au bas d'un cadre boisé et verdoyant, Thalla Helli ou «hallantsid werrach», qui donnera en français une fontaine conquise par les jeunes. Les Maubeugeois s'adonnent au jeu des selfies en chantonnant la célèbre chanson du maître incontesté de la chanson kabyle, Slimane Azem Ayassas n thala, des voix pimentées avec un accent des chetih, Sliman Azem, un natif de Agouni Gueghrane, une région qui est à un vol d'oiseau de notre site.
Dernière station, la fontaine Taguemount sur les hauteurs de Tizi Mellal, une région qui a enfanté le poète Cheikh Lmessayeh, dont l'œuvre n'a pas encore révélé tous ses secrets. Les associations de la localité devraient relancer les poésieades de Cheikh Lemseyah honorant la mémoire de ce poète barde, ce troubadour qui a déclamé des vers à Agouni Fourou, à Aït Argane, à Aït Sidi Larbi et partout dans cette contrée de Kouriet. Ici, chaque plante, pierre, oiseau, cœur épris d'amour et toutes les cimes ont été réinventées dans les rimes de ce poète errant.
On est à plus de 1000 m d'altitude, nous prenons le bus pour rejoindre la station Letniyen, non loin du primaire Amar Ath Vuakkache, l'école de Thougenseft a été baptisée au nom du grand baroudeur de la Révolution algérienne Amar Akache dit commandant Moussa, un des premiers martyrs de la démocratie et contre l'autoritarisme, victime de la ruse du pouvoir en 1963. Sa tombe est érigée dans le cimetière familial à Thougenseft, à 35 km de Tizi Ouzou .


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