Rome. Qui se souvient de cette vidéo où un journaliste interrogeant les députés de l'Assemblée populaire nationale algérienne sur le dernier livre qu'ils ont lu, et ceux-ci, embarrassés, répondaient en bafouillant des bribes de titres, ou, pour les plus francs d'entre eux, avouaient ne jamais lire ? Nombreux sont ceux qui étaient outrés par cette réalité, quoiqu'il suffisait de visionner ou d'assister à un débat parlementaire pour la deviner. Etant un pur produit de l'école publique algérienne et ayant connu le système universitaire français et italien, s'il m'est demandé de relever une similarité entre ces deux systèmes si différents, ça serait sans doute la constante incitation des étudiants, toutes filières confondues, à lire, avoir des opinions et les exprimer, les étayer et aussi les relativiser et les nuancer, toute en se défaisant de toute subjectivité. Cette incitation passe par le contenu des cours, mais également par la présence d'innombrables associations et clubs au sein des campus universitaires qui créent un espace propice au débat, où différentes tendances politiques, religieuses et culturelles se confrontent constamment. Une fois diplômés, l'université auraient accru l'employabilité des étudiants et formés des citoyens raisonnés et conscients du monde qui les entoure et des enjeux qui les concernent. Quant à l'université algérienne, à l'exception de quelques écoles souvent sélectives, sa mission se cantonne à conférer des compétences professionnelles aux étudiants. L'école nous apprend à bien entrer dans le moule sculpté par les conventions sociales et les tabous, les idées s'héritent de père en fils, je dis fils, car les filles nous les préférons bêtes et naïves, notre société a peur des femmes instruites. En ces temps troubles marqués par la montée des extrêmes, nous armer intellectuellement est devenu une obligation, déterrer et aviver l'héritage culturel oublié est une nécessité. Qu'avons nous gardé de l'émérite Emir Abdel Kader, du progressiste Tahar Hadad, du mystique Jalal Eddine Rumi, du poète Mikhaïl Naimy ? Où sont passées les œuvres des auteurs plus contemporains ? Wassila Tamzali, Mohamed Akroun, Assia Djebar et j'en passe. Nous avons délaissé l'enseignement de la philosophie, pourtant si nécessaire à la construction de l'individu, l'enseignement des langues et des cultures étrangères a cédé sous le poids de notre nationalisme primaire et le secteur de l'art est exsangue du fait du manque de financements et de soutiens. Par sa candeur, la jeunesse algérienne pourrait être aujourd'hui la proie de n'importe quelle idéologie nauséabonde qui viendrait combler ce vide de référents et de principes. Contrecarrons cela en lui donnant courage de détonner et la liberté de s'émanciper, en espérant que dans une dizaine d'années, les représentants du peuple à l'Assemblée nationale pourraient débiter une série de titres et d'auteurs quand un journaliste leur demandera «quel est le dernier livre que vous avez lu ?»