L'exposition se concentre sur Biskra à la période coloniale et, précisément, dans le dernier quart du XIXe siècle et le premier tiers du XXe siècle. A cette époque, le jardin Landon, les grands hôtels et le casino font de la ville une destination touristique très prisée. La preuve en est l'inflation de cartes postales qu'on trouvait partout. Aujourd'hui, elles constituent un matériau de choix pour le commissaire de l'exposition, le professeur d'histoire de l'art australien Roger Benjamin. Elles lui permettent d'illustrer le plan du Biskra colonial qu'il a reconstitué et qui occupe la place centrale de l'exposition. La ville et sa région font aussi partie des destinations obligées des peintres orientalistes de cette période. A une époque où la photographie n'avait pas encore conquis ses lettres de noblesse, cet orientalisme lié au voyage revêt un caractère quasiment documentaire et simultanément pittoresque. Ce sont essentiellement des scènes d'intérieur (l'Habitation saharienne de Guillaumet, 1857, l'Ecole coranique de Girardet, 1881), des scènes de rue (Le Caravansérail à Biskra de Maurice Denis, 1921), ou encore des paysages sous forme de vastes panoramas (comme Exode, col de Sfa de Oskar Kokoschka, 1928). Tous ces tableaux témoignent de la sensibilité des peintres européens aux lieux qu'ils découvrent. Aujourd'hui encore, les tableaux peuvent donner le sentiment d'un temps retrouvé : c'était cela l'Algérie. Selon le scrupule du peintre et son effort de recherche, ils peuvent intriguer (c'est le cas de l'œuvre précitée de Guillaumet) ou se perdre dans une imagerie déjà connue. L'exposition n'échappe pas aux clichés : les portraits des Ouled Naïl –peintures et photographies –, qui constituent un leitmotiv de cet orientalisme, sont disséminés un peu partout dans le parcours. Autre cliché, la représentation de types algériens et, sur ce registre, les portraits inexpressifs de Marie Caire-Tonoir témoignent de ce goût pour l'exotisme qui est allé de pair avec la colonisation. On retrouve les deux registres du documentaire et du pittoresque chez les photographes de l'Algérie : Emile Frechon, Alexandre Leroux, Felix-Jacques Moulin et les Frères Neurdein. L'exposition développe le rôle qu'a eu pour l'iconographie exotique un colon, Auguste Maure Paul Evenpoël, un cas isolé qui, avec son appareil Kodak, a saisi des moments de la vie à Biskra. Dans cet ensemble convenu, se détachent quelques œuvres, dont le petit chef-d'œuvre d'Henri Matisse, «Rue à Biskra» (1906), qui mêle le thème de la lumière décomposée en couleurs vives et le thème décoratif. Les courbes des palmiers ou l'architecture, suggérés en quelques traits, mériteraient une place centrale : c'est le seul tableau qu'il ait peint sur place durant ce qu'il appelait «son voyage d'étude» en Algérie et par lequel il éprouve la lumière. Quelles interprétations de Biskra apparaissent à travers cette exposition qui offre deux pauses dans des kiosques de style néo-oriental ? Le premier abrite des projections de séquences de films anciens (des frères Lumière jusqu'au cinéma hollywoodien). Le second diffuse des extraits musicaux (diwan, gnawa, musique chaouie) dont certains sont des enregistrements effectués par le grand musicien hongrois, Béla Bartók, et remontant aux années vingt. Ce qui nous est donné à voir, ce sont les interprétations de Biskra par tout un petit monde de l'art essentiellement européen : de la vision exotique au questionnement engendré par le lieu. Seuls trois artistes biskris sont représentés dans ce kaléidoscope. Biskra, ce sera pour Henri Matisse la question de la lumière et pour Béla Bartók, de nouvelles sonorités. Biskra ne se laisse pas approprier facilement. D'ailleurs, Matisse l'a fort bien exprimé dans une lettre de juin 1906 citée dans le catalogue de l'exposition de Matisse (Rome, 1995) : «L'oasis de Biskra est très belle, mais on a bien conscience qu'il faudrait passer plusieurs années dans ce pays pour en tirer quelque chose de neuf et qu'on ne peut prendre sa palette et son système et l'appliquer (…)». Du point de vue historique, l'exposition laisse de côté ce qu'était Biskra pour les Biskris. Seule une photographie des frères Neurdein témoigne du village nègre, une autre de la visite d'un gourbi. Outre le fait que les artistes ont souvent dénoncé l'aspect «Monte-Carlo du désert» de la ville saharienne, l'exposition aurait pu porter la critique du regard exotique, fût-il artistique. En cela, elle nous laisse sur notre faim. Biskra abritait-elle d'autres formes d'art ? Qu'en est-il aujourd'hui ? C'est aussi cette histoire biskrie que l'on aurait aimé voir et apprendre à connaître. L'exposition a, cependant, le mérite de rappeler que cette cité n'est pas anodine et qu'elle renferme une richesse patrimoniale qui mérite l'intérêt des spécialistes et du grand public. Ainsi, il est réconfortant d'apprendre qu'à Biskra même, de bonnes volontés œuvrent dans ce sens. Depuis peu de temps, la ville a vu naître l'association Mosaïques, présidée par Mohamed Slimani, qui s'est fixé plusieurs objectifs en matière de préservation des bâtisses à valeur historique et architecturale, comme dans le vieux Biskra, datant de l'époque ottomane, ou le noyau de la ville coloniale. Cet effort de promotion porte également sur les Jardins urbains historiques et s'étend même aux sites naturels de toute la wilaya. L'association veut également faire œuvre de mémoire au profit des générations futures en récupérant les bâtisses qui servaient de centres de torture et d'internement durant la colonisation et les transformer en lieux-témoins ou musées. Il s'agit également de développer un programme muséal global : réhabilitation du musée d'El Kantara, création d'un musée à Sidi Okba et création d'un autre à Biskra pour regrouper des collections d'art et d'artisanat. Mosaïques entend aussi apporter son soutien à la réhabilitation de l'artisanat local (tapis, céramique, vannerie, poterie, broderie…) et à la valorisation du patrimoine immatériel, notamment musical (diwan, gnawa, chakwa ou cornemuse, gasba ou flûte traditionnelle). Elle espère aussi à faire classer au patrimoine mondial le long poème Hizia, de Benguittoun, sublime histoire d'amour. La conscience patrimoniale de l'association s'étend enfin au patrimoine botanique. En collaboration avec les différents centres de recherche et l'université de Biskra, elle veut constituer une banque de données génétiques des espèces végétales (fruits et bien entendu la datte, légumes, plantes aromatiques, médicinales, fleurs,…) de la région menacées de disparition à cause des OGM. Si le rayonnement de Biskra à Paris et dans le monde peut espérer se poursuivre dans le temps, ce sera d'abord à partir de l'effort de ses citoyens et du soutien des autorités locales en faveur des richesses patrimoniales.