Elle représente un revenu que la société doit assurer à une frange vulnérable de sa composante (les personnes âgées) afin de lui assurer un certain niveau de vie et lui éviter de sombrer dans la pauvreté, comme l'auraient fait des enfants de bonne famille envers leurs parents. Sous prétexte de combler le déficit de la Caisse nationale de retraite (CNR), vous vous apprêtez à voter une loi contreproductive qui, sans résoudre le problème du déficit, va pénaliser la partie la plus vulnérable des travailleurs âgés et les nouvelles générations qui arrivent sur le marché de l'emploi, qui font déjà face à un chômage insupportable et que cette loi va aggraver. Vous avez au moins neuf raisons pour ne pas voter ce projet de loi injuste pour les travailleurs, injustifié pour l'équilibre et la pérennité du système de retraite et contreproductif pour le chômage et la politique sociale de l'Etat. 1- Une réforme injuste La décision de supprimer la retraite avant 60 ans va pénaliser, avant tout, ceux qui ont commencé à travailler très tôt. Un travailleur ayant entamé sa carrière professionnelle à l'âge de 16 ans sera obligé de travailler durant une période de 44 ans avant de pouvoir partir en retraite. Et comme il a commencé à travailler tôt, cela veut dire qu'il n'a pas eu la chance de poursuivre ses études et sa carrière sera une somme d'emplois d'exécution dans la plupart des cas. Or, les études internationales montrent que l'ésperance de vie à la naissance des ouvriers est inférieure, en moyenne, de 7 ans à celle des cadres supérieurs. Au final, cet ouvrier va cotiser en moyenne 10 années de plus qu'un cadre supérieur pour toucher une pension de retraite durant une période inférieure, en moyenne, de 7 ans à celle de ce dernier. Comment expliquer alors la suppression de la retraite sans condition d'âge après 32 ans d'activité pour cet ouvrier au moment où ce cadre supérieur continuera à bénéficier d'une retraite sans condition d'âge, de surcroît équivalente à un salaire à vie après seulement 20 ans d'activité ? On sera ainsi devant un cas flagrant de discrimination sociale qui porte atteinte au principe d'égalité consacré par la Constitution. Il n'est pas vrai d'affirmer qu'il n'y a qu'en Algérie où les travailleurs peuvent partir en retraite à partir de l'âge de 50 ans. En Turquie, la retraite peut être demandée à partir de 55 ans pour les hommes et 50 ans pour les femmes pour les assurés ayant cotisé durant 15 années. Idem au Brésil, après 35 ans de cotisation (30 ans pour les femmes). En Indonésie, l'âge normal de la retraite est de 55 ans après 15 ans de cotisation. Au Congo, l'âge légal de départ à la retraite est de 57 ans pour les travailleurs d'exécution, etc. Par ailleurs, la suppression pure et simple de la retraite proportionnelle constituera une autre discrimination à l'encontre des actifs âgés faisant face à un problème de santé ou à un risque de chômage et qui seront sans revenu jusqu'à l'âge de 60 ans parce qu'ils n'auront pas cumulé une carrière complète. 2- Une réforme injustifiée L'exposé du motif du projet de loi sur la retraite entretient la confusion entre la retraite anticipée instituée en 1994 en accompagnement du Programme d'ajustement structurel (PAS, 1994-1998) et les retraites sans condition d'âge et proportionnelle instituées souverainement, dans le cadre de la politique de l'emploi, en juillet 1997. Autrement dit, à un moment ou le PAS était déjà dépassé. Par ailleurs, c'est le travailleur qui a financé ces retraites puisque sa cotisation affectée à la retraite a doublé pour être portée de 3,5% au début des années 1990 à 7,5% en 2015. Le droit à la retraite après 32 années de cotisation devient ainsi une créance détenue sur le système de retraite et l'Etat ne peut les supprimer. L'exposé de motifs insiste sur l'évolution de l'espérance de vie qui a atteint 77 ans, mais ne précise pas qu'en 2015, l'espérance de vie d'un Français est de 85 ans. Il ne précise pas que le pourcentage des personnes âgées de 60 ans et plus en Algérie est de 8,7% contre 25% dans les pays de l'OCDE, soit trois fois moins. Il est intéressant de savoir qu'en 1982, la proportion des Français âgés de plus de 60 ans était de 17% en France, soit deux fois celui de l'Algérie de 2015 et pourtant cette année-là (1982) le gouvernement français avait décidé non pas d'augmenter l'âge de la retraite, mais de la diminuer de 65 à 60 ans. Ceci dans le cadre de la politique de l'emploi justement. En 2015, le nombre total de bénéficiaires de pensions, y compris les pensions de réversion (2 700 000) en Algérie représentait 6,7% de la population totale contre 23,5% en France et 20% en moyenne dans les pays européens. En 2015, le total des pensions en Algérie représentait 4,15% du PIB contre 14% en France et 16% en Italie. Comme on le voit, il n'y a aucune comparaison à faire entre le profil démographique de l'Algérie et celui des pays de l'OCDE. L'Algérie, avec un taux de fécondité qui repart à la hausse (3,1 en 2015 contre moins de 2 pour les pays de l'OCDE), devra, à l'horizon 2020-2025, faire face surtout aux besoins des nouvelles générations en matière de santé, d'éducation, de formation, d'emploi et de logement. Aujourd'hui, il ne s'agit pas de faire travailler plus longtemps les Algériens, mais de les faire travailler tous. 3- Les causes du déséquilibre ne sont pas celles annoncées Les responsables du ministère du Travail et des caisses attribuent les récents déficits de la CNR à l'évolution du nombre des nouveaux retraités, particulièrement dans le cadre de l'ordonnance 97-13. Cette thèse n'est étayée par aucun bilan ou analyse financière de la caisse. Un véritable embargo est organisé en matière d'informations du système, en violation de la législation en vigueur. Or, ces informations, si elles étaient rendues publiques, mettraient en évidence les principales causes du déficit qui ne sont pas du tout liées à l'évolution du nombre des nouveaux pensionnés. Les dépenses de pension ne connaissent pas une croissance exponentielle, bien au contraire. En 2014 (avec 639 milliards de dinars) elles ont augmenté de 26% par rapport à 2013 (507 milliards de dinars) soit une incidence financière de 132 milliards. Entre 2014 et 2015 (724 milliards), le taux d'augmentation a été divisé par deux (13%), soit une incidence financière de 85 milliards de dinars et entre 2015 et 2016 (754 milliards de dinars) l'augmentation n'a été que de 4% correspondant à une incidence financière de 29,8 milliards. Cette évolution contredit la thèse qui impute les déficits de 2014 à 2016 à l'évolution croissante du nombre de nouveaux retraités. Cette conclusion est corroborée par l'évolution du nombre des nouveaux pensionnés. En 2016, ces nouvelles pensions s'élèvent à 114 000 (3,9% du total des pensions) contre 102 000 en 2014 (4% du total) et 117 000 en 2013 (4,7% du total). Une évolution de 4% du nombre des pensionnés de droit direct ne peut expliquer une augmentation de 26% des dépenses de retraite ni un déficit de 27% après un exercice équilibré. A plus forte raison, ce déséquilibre ne peut en aucun cas être attribué aux retraites sans condition d'âge et proportionnelle dont l'incidence annuelle, aussi bien sur le plan financier que sur le nombre total des pensionnés, ne dépasse pas 2%. 4- La suppression de la retraite avant l'âge légal ne rétablira pas l'équilibre La suppression de la retraite avant 60 ans ne rétablira en aucun cas l'équilibre financier de la CNR parce qu'elle ne cible pas les causes réelles du déséquilibre. Le déficit prévisionnel de la CNR pour 2016 est de 217 milliards de dinars. Hors nouvelles pensions de retraites sans condition d'âge et proportionnelle, ce déficit sera ramené à 200 milliards de dinars. Ces 200 milliards ne sont pas imputables aux pensions des nouveaux retraités dans le cadre de l'ordonnance 97-13. Alors, pourquoi l'abroger et pénaliser les travailleurs sans raison ? 5- Les vraies causes du déséquilibre qui ne sont pas abordées lors des débats Les vraies raisons des récents déficits ne sont pas abordées dans le débat national. Pourtant, ils figurent noir sur blanc dans les documents officiels (bilan 2014 et budget 2016) de la CNR, qui refuse de les rendre publiques.
1- La principale raison se trouve dans la fixation des différents taux de revalorisation (12% en 2014 et 50% en cinq ans, en sus de la revalorisation exceptionnelle de 2011) accordée indistinctement à tous les retraités, même ceux qui perçoivent 15 fois le SNMG. 2- La circulaire n°236 du 27 juillet 2013 émanant du Premier ministre et relative à la mise en œuvre des dispositions liées au départ à la retraite. 3- Le décret exécutif n°12-340 du 11 septembre 2012 modifiant et complétant le décret exécutif n°11-354 du 5 octobre 2011 fixant des conditions et modalités d'octroi des pensions de retraite proportionnelle exceptionnelle aux agents de la Garde communale. Durant la période d'anticipation, ces pensions sont des dépenses de type de solidarité nationale et auraient dues, de ce fait, être imputées à l'Etat qui n'a pris en charge que le rachat des cotisations. 6- L'absence de clarification de la relation entre la sécurité sociale et l'état accentue le déficit En l'absence de cette clarification, certaines dépenses sont mises indûment à la charge du système de Sécurité sociale, à l'exemple de : Les dépenses de retraite au profit des enfants de chahid durant la période d'anticipation. Les dépenses indues de la CNAC au profit de la politique de l'emploi (210 milliards de dinars en 16 ans, dont 40 milliards de dinars en 2016). Il faut rappeler que la CNAC est financée exclusivement par l'argent des travailleurs. Le versement annuel par la CNAS d'un «forfait hôpitaux» comme contribution au fonctionnement des établissements de santé, alors que l'Algérie a adopté un système de santé financé par la fiscalité à laquelle les travailleurs contribuent déjà à travers l'IRG. De plus, aucun suivi ne permet de s'assurer que ce «forfait hôpitaux» correspond réellement à des prestations en contrepartie. En 2016, ce forfait s'élève à 65 milliards de dinars. 7- Il e xiste un gisement de recettes inexploité Le déséquilibre s'explique aussi par l'inadéquation entre les recettes potentielles et celles réelles. La masse salariale nationale en 2015 avoisine les 4 670 milliards de dinars. Les recettes potentielles des caisses de Sécurité sociale, calculées sur la base du taux de cotisation réglementaire, sont de l'ordre de 1650 milliards de dinars, alors que les recettes réelles (selon les chiffres de la CNAS) se sont élevées à 950 milliards de dinars. Ces chiffres nous donnent un ordre de grandeur sur l'ampleur de l'évasion sociale qui atteint, après pondération, au bas mot 400 milliards de dinars pour une seule année. Selon les chiffres de l'ONS, entre 50 et 75% des travailleurs du secteur privé formel ne sont pas déclarés à la Sécurité sociale. Des ressources additionnelles sont possibles en augmentant le taux de cotisation sociale, en modulant le taux affecté à la branche AT/MP selon les risques générés par chaque activité, en taxant les activités polluantes et en mettant à contribution les assurances économiques pour le financement de la prise en charge par la CNAS des victimes corporelles des accidents (frais médicaux, remboursement des médicaments, pensions d'invalidité, etc.).
8- Des créances importantes non recouvrées Au 31 décembre 2015, les créances détenues par les caisses de Sécurité sociale sur les entreprises et l'Etat s'élèvent à 251 milliards de dinars. 9- Rationnaliser les frais de gestion des caisses L'équilibre du système peut être consolidé par une rationalisation des frais de gestion. En 2015, ces frais se sont élevés à au moins 110 milliards de dinars, dont 90 milliards pour la CNAS et 15 milliards pour la CNR. Selon les normes mondiales des ratios de gestion, même en tenant compte de la différence de productivité, ces dépenses peuvent être réduites au moins d'un tiers de leurs valeurs actuelles. Dans ce cadre, une dissolution de la CNAC avec transfert à la CNAS de la gestion de la branche assurance-chômage et la fusion de la CNAS avec la CNR auront comme résultat, outre la réduction des frais de gestion de réactiver le principe de compensation automatique interbranches par l'adaptation de la part des recettes affectées à un risque en fonction du poids de ce risque. Dans tous les cas de figure, il faut non seulement équilibrer la composante du conseil d'administration entre actifs et retraités (protéger les caisses de toute logique corporatiste ou lobby), mais aussi l'ouvrir à la participation des syndicats autonomes pour une meilleure transparence et un renforcement du dialogue social. Enfin, il serait souhaitable de créer un observatoire de la retraite avec la participation des partenaires et des experts pour participer au pilotage stratégique de la politique en matière de retraite.
Par Bouderba Noureddine Ancien dirigeant syndical, spécialiste des questions sociales