Buvez, éliminez. C'est en gros ce qui se passe sur les marchés de la boisson, eaux minérales, sodas et boissons gazeuses, jus et eaux fruitées ou boissons alcoolisées. Les marques étrangères n'arrivent pas à gagner les faveurs des Algériens, qui tiennent à leur patrimoine liquide. Le 5 février, Danone, leader mondial sur le marché des eaux minérales, jetait l'éponge, faisant face à des surliquidités de stocks. Sa filiale algérienne Hayat, eau de source naturelle Tessala rachetée à l'entreprise locale Algad en 2006, s'est avérée non rentable malgré des investissements de plusieurs millions d'euros. Si ses produits laitiers ont réussi à s'imposer sur le marché, pour Danone, présent dans 130 pays, l'eau de source Hayat n'a pu pénétrer le marché algérien alors que le géant de l'agroalimentaire avait réussi à s'imposer dans des pays réputés difficiles. Pour le suisse Nestlé Waters, deuxième leader mondial et concurrent direct du français Danone, la situation n'est guère meilleure. Installé en Algérie en 2005, Nestlé s'était d'abord associé aux frères Zahaf, propriétaires de Sidi El Kebir, pour finir par lancer en solo, dès l'année 2007, son eau Pure Vie en investissant 15 millions d'euros pour sa nouvelle usine et des équipements de forage installés sur la source Taberkachent, au pied du mont Chréa. Sur un marché très concurrentiel où une quarantaine de marques algériennes sont présentes, les deux géants peinent à trouver leurs marques. Pourquoi ? « Je n'y connais pas grand-chose en eaux minérales, avoue un grand consommateur d'eau en bouteille, mais il me semble que l'eau des montagnes algériennes est moins trafiquée que celle fabriquée par les multinationales. » Pourtant, l'explosion des ventes des eaux minérales et de source est relativement récente. « Les Algériens abandonnent peu à peu l'eau du robinet par peur des maladies », explique un expert, avançant le chiffre de près d'un milliard de litres d'eau en bouteille consommées chaque année en Algérie, générant un chiffre d'affaires de 20 milliards de dinars. Et dans ce secteur, les Algériens tiennent bon face aux multinationales avec leur numéro un, Ifri, premier opérateur privé à se lancer dans l'eau minérale en 1996, recueillant l'eau du Djurdjura. Il est suivi de Guedila (eau des Aurès), Texenna (maquis jijeliens), Youkous, Misserghine, Saïda ou El Goléa. Même Cevital, flairant la bonne affaire dans la formule de base H2O, a lancé Lalla Khedidja et aurait déjà pris 5% de parts de marché. De l'eau ? Oui, mais issue des montagnes de la Révolution. L'eau. et après ? Si l'eau c'est bon, c'est simple, il n'y a pas que l'eau. Près de 2000 entreprises activant dans le secteur général des boissons, tous types confondus, emploient près de 20 000 personnes et génèrent 40 milliards de dinars de chiffre d'affaires. Dans cette filière florissante du liquide à boire, il y a l'autre bataille à consonance patriotique des sodas et boissons gazeuses : 45% du marché des boissons, tous types confondus, avec 800 millions de litres consommés par an. Cette guerre permanente entre les géants Coca-Cola et Pepsi d'un côté et l'algérien Hamoud Boualem de l'autre, est probablement la plus rude. Si les premiers engagent des millions de dollars pour la promotion, la publicité et le sponsoring, Hamoud Boualem joue sur la tradition ; il est présent en Algérie depuis 1878. Résultats pour 2009 : les trois entreprises se talonnent encore avec près de 20% chacune du marché, et Coca-Cola leader de peu avec les 25% qu'il revendique. Une concurrence jugée déloyale par Toufik Hasni, patriote liquide et président du conseil d'administration de Hamoud Boualem (voir El Watan Week-end du 1er mai 2009), qui affirme que « les producteurs algériens paient plus de taxes que les entreprises étrangères parce qu'ils achètent leurs produits sur place », expliquant que « les entreprises étrangères importent tous leurs produits de l'étranger, la seule valeur ajoutée, c'est l'eau algérienne ». On revient donc à l'eau, également constituant du marché des jus et eaux fruitées, sauf que les 200 millions de litres ingurgités annuellement par les Algériens sont dans l'immense majorité produits par des entreprises algériennes qui couvrent 99% des besoins. Pas de concurrent étranger, les quelques jus d'importation ne connaissant pas un grand succès. Les leaders de ce sous-secteur de la boisson, Rouiba, VitaJus ou encore Jutop et Hamoud Boualem sont, pour l'instant, à l'abri de l'invasion étrangère, sauf que le prix du sucre ayant augmenté de 60% en 2009, la hausse se répercutera sur les boissons fruitées. Conséquence : les produits importés pourront rivaliser avec les algériens en jouant sur la qualité. Pour l'Association des producteurs algériens de boissons qui regroupe 35 entreprises du secteur, le problème pourrait venir des pays arabes après l'intégration de l'Algérie à la Grande zone arabe de libre-échange (GZALE) en janvier dernier. Avec les avantages douaniers et fiscaux pour les pays de la zone, la boisson algérienne pourrait en pâtir. Boire égyptien ? Ce serait un scandale au pays de Hamoud ! Tout ça donne soif Malgré les 1200 bars fermés ces dernières années sur le territoire national, la consommation d'alcool se porte plutôt bien avec une croissance estimée à 10% par an. La bière, dont le marché national est estimé à 120 millions de litres par an, est le secteur où le patriotisme prend un coup, le groupe Castel détenant près de 50% du marché. Il y avait bien Tango, première brasserie privée algérienne qui produisait près d'un million de bouteilles par jour, mais elle est passée sous pavillon hollandais depuis que Heineken a racheté la brasserie détenue par Djillali Mehri pour 135 millions d'euros. « Un acte antinational », selon un buveur invétéré qui en appelle à l'intervention de l'armée et des moudjahidine. Même si Tango, qui brasse aussi la Stella Artois et la Becks, ne détient que 20% du marché, l'Algérie était bien représentée. Heureusement, de nouveaux Algériens ont fait leur apparition sur le terrain du décollage artificiel, à l'image de la timide entrée sur le marché de Algad Tessala El Merdja et, surtout, de la dynamique brasserie Star d'El Kseur, dernière arrivée sur le marché et dont les mauvaises langues disent que c'est le seul acquis de la plateforme du même nom. Pourtant, avec ses marques comme Koelberg et Albrau, bières pas chères et à base d'eau de source, la petite entreprise gagne des points. Mais c'est surtout le vin qui rehausse le patriotisme algérien. Après des années de jachère, les vignobles ont recommencé à pousser et, actuellement, 500 000 hectolitres de vins algériens sont produits chaque année, ce qui place l'Algérie au 19e rang mondial, premier pays musulman en tête de liste. Le reste ? Quelques vins d'importation, français mais aussi chiliens ou australiens, trop chers mais qui garnissent les bonnes tables et les restaurants. Boire algérien ? Oui, le buveur algérien est maintenant scanné et tout porte à croire qu'il aime son pays, par la bouche. Son estomac ? En moyenne nationale, l'Algérien consomme annuellement 50 litres de boissons, tous types confondus, dont 22 litres de sodas et boissons gazeuses, jus et boissons fruitées, 22 litres d'eau minérale et de source, 5 litres de bière et vin. Un estomac bien patriotique, constitué à 75% de produits algériens.