Les lampions se sont éteints sur une Coupe d'Afrique parsemée d'enseignements, de déceptions, de scandales et d'amertume. C'est l'image d'un continent africain confit et défait dans un sous-développement éthique et moral qui nous a été renvoyée. Sur le plan de l'éthique footballistique, il n'est pas nécessaire de rappeler l'arbitrage scandaleux du match Algérie-Egypte, il ne faut pas oublier le non-match entre l'Angola et l'Algérie. Nous avons, il y a quelques années, subi et dénoncé avec véhémence l'entente illicite entre l'Autriche et l'Allemagne en Coupe du monde 1982, nous avons donc fait autant pour obtenir un passage peu glorieux en quarts de finale africaine. Pour notre équipe nationale et sur le plan purement sportif, les évaluations sont mitigées : on peut voir que la bouteille est à moitié vide ou à moitié pleine, on peut dire que nous n'avons pas été qualifiés en Coupe du monde depuis vingt ans et qu'il y a moins de deux ans, nous n'avions pas d'équipe nationale pour nous faire plaisir, on peut aussi se poser la question légitime : pourquoi sommes-nous exclus des enceintes internationales depuis des lustres ? On peut dire, avec un petit jeu de mots, que nous avons perdu un match mais gagné une équipe. On peut répondre aussi à cela qu'on ne peut gagner en perdant et qu'une équipe qui perd est une équipe un peu perdue. Ce débat serait sans doute mieux mené par des spécialistes du football, mais une logique élémentaire me permet de m'interroger : comment peut-on espérer de bons résultats en Coupe du monde avec de piètres performances en Coupe d'Afrique ? Le poids du hasard dans le foot n'en fait pas un jeu de hasard. On ne peut pas perdre devant des équipes continentales et gagner face à des mondialistes. Curieux état d'esprit de partir à la CAN pour ne pas perdre et d'aller au Mondial pour gagner. Limiter les ambitions continentales à une demi-finale et les étendre à d'autres avancées au Mondial… Viser bas dans les petites compétitions et aspirer à beaucoup plus haut dans les grandes. Mais de qui se moque-t-on ? Cette logique ne tient pas la route pour le néophyte que je suis. Il est mauvais de nourrir et de spéculer sur les illusions d'un peuple avide d'allégresse. L'équipe nationale n'a finalement à son actif dans ce tournoi que la victoire ivoirienne. Il est vrai que face à l'Egypte, nous n'avons pas été vaincus, mais nous n'avons pas gagné non plus et il n'est vraiment pas évident que notre équipe aurait gagné avec un arbitrage loyal. D'autres problèmes d'une autre nature se posent. Sur le plan de la technique footballistique : peut-on constituer une équipe cohérente avec des joueurs aussi disparates ? Je ne saurais répondre à cette question, que je n'ai pas pu m'empêcher de poser. Sur un plan politique, peut-on parler d'une équipe véritablement « nationale » avec, substantiellement, des ressources venues d'ailleurs ? La réponse me semble évidente et il est curieux que cette question lancinante n'ait pas été posée. Il est quand même curieux que la constitution d'un onze national par des joueurs qui n'ont avec le pays que des liens de sol et/ou du sang n'ait embarrassé personne. Un collectif pareillement formé ne représente aucunement les performances nationales, mais des compétences étrangères. Il est tout de même surprenant de constater que le problème n'a même pas été évoqué ou discuté et que la problématique n'a pas suscité débat. On a complètement abandonné ce dilemme ou ce qui est considéré comme tel. Les ressources pétrolières et financières engrangées après les années de vaches maigres poussent à dépenser sans compter pour racheter la paix sociale et politique. L'obligation de chercher des coopérants du football pour défendre les couleurs du pays ne gêne-t-elle pas la dignité et la fierté nationales ? Naguère, sur ce point, le débat était houleux et le principe de la préférence locale était clairement affiché. A niveau égal, la priorité revenait sans ambages aux joueurs du cru – le terme est même oublié et la problématique ne fait plus recette. Nous ajoutons, même à un niveau moindre, que le cru doit être prioritaire : l'espoir du cru doit devancer même la certitude du coopérant. Le cru est un investissement, le coopérant est une dépense. Le cru est une valeur ajoutée pour le sport national, le coopérant enrichit son club étranger par les performances acquises dans les compétitions mondiales. Je dis tout cela avec un profond respect pour les joueurs algériens évoluant dans des clubs étrangers que j'appelle sans aucune arrière-pensée « coopérants » et dans mon esprit cette formule a sa noblesse. Les joueurs qui évoluent ici ont droit à une chance et doivent être préférés aux expatriés. Nous affirmons notre certitude et allons plus loin. Notre opinion est tranchée, nous préférons le joueur du cru à celui d'ailleurs parce que le premier est représentatif du football national. On semble oublier aussi que c'est grâce à une récente réforme qui a autorisé les joueurs naturalisés à évoluer dans leurs pays d'origine que les joueurs qui nous représentent peuvent défendre nos couleurs. Pour dire qu'au-delà de la représentation des écoles de football étrangères, les joueurs qui nous représentent ont une autre nationalité et cette appartenance a une charge affective. Le deuxième embarras dans tout cela est une interrogation politico-économique : a-t-on estimé le coût des deux qualifications africaine et mondiale, pour le Trésor public ? A-t-on calculé le prix de revient de ces moments de joie et de réveil « nationaliste et patriotique » ? Comment calculer le prix de revient de cette équipe nationale qui, en définitive, n'est même pas montée sur le podium africain ? Il faut commencer, pour cela, par calculer toutes les primes qu'on a données toutes ces années, toutes les redevances en devises lourdes versées aux clubs européens en contrepartie du détachement de leurs joueurs et dont le montant est un secret d'Etat, les voyages subventionnés ou sponsorisés au Soudan (48 avions et le reste)… Il ne faut pas oublier les salaires mirobolants pris par les entraîneurs étrangers sans contrepartie de résultat. Plusieurs questions se posent : combien cette équipe nationale et ses performances ont-elles coûté au Trésor public ? Quelle est la part des sponsors et celle de subventions budgétaires ? D'où vient cet argent et où va-t-il ? Comment a-t-on dépensé et selon quelles règles ? Qui a décidé de l'opportunité des dépenses ? Ces dépenses sont-elles décidées et enregistrées selon les règles de la comptabilité publique ? Un responsable du football peut-il se lever un matin et offrir des primes astronomiques qui frisent l'indécence sans consulter personne ? Quel est l'apport politique et économique d'un match de football, d'une participation en Coupe d'Afrique et d'une finale en Coupe du monde ? Toutes ces questions, éludées par l'euphorie de pseudo-victoires et par l'illusion de futures prouesses, doivent être posées et sérieusement, sans chauvinisme désuet ni nationalisme désabusé ou démagogie de mauvais aloi. Le sport doit aussi être managé selon des règles de bonne gouvernance. Une question que je me pose : pourquoi toutes ces questions ne sont-elles pas posées ?