«Je ne peux pas interdire à mes enfants de jouer avec des pétards alors que tous nos voisins font la fête dans le quartier depuis deux jours», avoue Mohamed aux urgentistes de l'hôpital de Douéra, à l'ouest d'Alger. Père de quatre enfants, Mohamed a dépensé plus de 12 000 DA pour l'achat de feux d'artifice, fusées et autres pièces pyrotechniques. Son fils Nabil, âgé d'une dizaine d'années, a fait explosé quelques pétards en début de soirée. Ayant presque épuisé son quota de jeux, Nabil s'est servi dans le sac de ses frères ainés, où il a pris un pétard serpentin. «Mon fils l'a allumé par le mauvais bout, ce qui a causé d'importantes éruptions sur sa main droite. L'engin s'est enroulé autour de son bras. Dans un mouvement de panique générale ses frères n'ont pas pu le secourir» explique Mohamed «L'un de ses frères s'est protégé le visage et lui a retiré cette abomination qui a coûté d'importantes blessures à mon jeune fils ainsi que son frère ainé» précise-t-il. Le médecin qui s'est occupé de Nabil et de son frère a été serein et rapide dans la prise en charge de ces jeunes patients «Nous sommes ici pour soigner tout le monde et non pour réprimander des parents inconscients des dangers qu'ils mettent entre les mains de leurs enfants. Ce type de ‘jeux' doit être surveillé constamment», affirme-t-il. Plusieurs cas de brûlures et blessures corporelles et aux yeux ont été enregistrés par les services des urgences médicales des hôpitaux de la capitale suite à l'utilisation de pétards et jeux pyrotechniques lors de la célébration de la fête du Mawlid Ennabaoui, dans la nuit de dimanche à lundi passés. Dangers Des dizaines d'enfants et adolescents ont été admis aux services des urgences des hôpitaux de Bab El Oued, Mustapha, Douéra, Beni Messous et à la clinique Pasteur pour brûlures et blessures de degrés différents. Les services de la Protection civile de la wilaya d'Alger ont enregistré, dans la nuit de dimanche à lundi, six incendies dans différentes communes d'Alger causés par les produits pyrotechniques utilisés à l'occasion du Mawlid Ennabaoui. Le bilan des unités de la Protection civile est de 2779 interventions à l'échelle nationale, sans blessures graves ni décès. Selon le chargé d'information auprès des services de la protection d'Alger, le lieutenant Khaled Benkhalfallah, «ces incendies causés par les produits pyrotechniques ont éclaté sur des balcons et dans des cours de maisons dans différentes communes de la capitale comme à Birtouta, à Belfort (El Harrach), à Bab El Oued et dans un hangar de fabrication de poteries aux Eucalyptus». Et d'ajouter que « ces feux n'ont fait aucune victime». Dans les couloirs des urgences de l'hôpital de Douéra, des bras ensanglantés, des pansements sur les yeux, des gémissements se font entendre ça et là. «Pas plus que les autres jours», soupire un infirmier «Chaque année c'est la même chose, avec mes confrères des autres hôpitaux nous déplorons ces situations», commente Riadh S., infirmier depuis 11 ans. «Ce n'est pas comme si c'était un accident de la route ou une maladie. Dans le cas de jeux pyrotechniques, les parents sont conscients des dangers. Plus l'enfant est jeune plus le danger est grand, car il n'y a aucune surveillance et assistance de la part des adultes. Je regrette que ces pétards ne soient pas retirés du marché, car les conséquences sont désastreuses. On n'en parle pas assez malgré les campagnes de sensibilisation», déplore-t-il. La plus grave blessure sera une amputation d'un doigt effectuée sur un enfant de sept ans de la commune d'El Hamiz. La majorité des blessés soignés sont âgés de trois à quinze ans. «Les dommages causés par les pétards peuvent ressembler à de véritables blessures de guerre. Les mutilations ainsi que les blessures thermiques et chimiques peuvent toucher plusieurs parties du corps, principalement la main, et les séquelles sont parfois définitives et irréversibles», affirme Khadidja Houda Khaoua, médecin généraliste. «Selon l'importance de l'explosion, les lésions peuvent varier de la simple brulure, en passant par le décollement des tissus, la destructions squelettique, ligamentaire, vasculaire et nerveuse avec un risque très important de gangrène, jusqu'à l'arrachement de la main» explique-t-elle. Acouphènes D'ailleurs, lors de la soirée de la Fête du Mawlid, pas moins de quatre interventions chirurgicales ont été effectuées sur des enfants aux services d'ophtalmologie, de pédiatrie et de chirurgie maxillo-faciale. Selon le docteur Khadidja Houda Khaoua, «l'opération de la main est souvent un traitement chirurgical complexe qui peut durer plusieurs mois. Les explosions de pétards sont aussi responsables de lésions auditives importantes. Selon les niveaux des décibels et la proximité des déflagrations, ces dernières sont responsables de l'apparition d'acouphènes, mais aussi de surdité partielle ou totale»,. A l'hôpital de Beni Messous, un enfant âgé de onze ans a été secouru et opéré dans la soirée de lundi, souffrant de graves lésions aux yeux. Son cas a sérieusement inquiété l'équipe médicale qui s'est occupée de lui. «Nous sommes désespérés de voir des cas similaires, tant de dégâts peuvent être évités si les responsables évaluaient les risques potentiels. Que ce soient les parents, l'Etat et les importateurs de ces jeux sans intérêt aucun pour les enfants. Un pétard, une bombe ou une fusée peut condamner une personne à vie», se plaint un chirurgien. Odeurs La grande inquiétude du docteur Khadidja Houda Khaoua est que «la projection dans l'œil peut causer d'énormes dégâts, tels que des plaies profondes de la cornée, une cataracte traumatique, un décollement de rétine allant jusqu'à la perte définitive de l'œil». «Les déflagrations peuvent aussi entrainer des poussées hypertensives ainsi que des problèmes cardiaques, en particulier chez les personnes âgées et les femmes enceintes. Des symptômes dépressifs pouvant s'accompagner d'anxiété et d'insomnie ont été constatés chez les personnes qui ont subi de graves séquelles physiques», conclut-elle. Les plaintes se multiplient, d'année en année, sur les fumées émises par certains pétards et fusées. «Ces jeux dégagent des odeurs suspectes, ça mériterait que l'on fasse des analyses de leurs composants. Ces objets qui sont potentiellement destructeurs», propose Djaafar Meslem, chirurgien. «J'ai toujours interdit à mes enfants de jouer avec ces pétards et autres feux d'artifice dont on ignore la provenance. Il y a deux ans, j'ai opéré à l'hôpital un enfant de cinq ans qui a perdu deux doigts à cause d'une fusée surchargée en produit. Il n'a jamais récupéré la mobilité de sa main. Depuis ce jour, il souffre de problèmes respiratoires aggravés par l'inhalation des fumées certainement toxiques.» Malgré ces graves incidents signalés, les autorités notent un recul du nombre des blessés par rapport à l'année dernière grâce, en partie, aux mesures prises par les services de sûreté qui ont saisi des quantités importantes de pétards et aux campagnes de sensibilisation, même sur les réseaux sociaux.