La polémique autour des circonstances de la mort du journaliste Mohamed Tamalt, à l'hôpital Lamine Debaghine de Bab El Oued, après un coma de plusieurs semaines en raison des complications engendrées par sa grève de la faim, détourne l'attention de l'opinion publique de ce qui est important et gravissime, à savoir la détention de grands malades. S'il y a une enquête à faire, c'est surtout sur les conditions de son arrestation, de son placement sous mandat de dépôt, de sa condamnation à une peine de prison ferme et sur son maintien en prison malgré la dégradation de son état de santé dès les premiers jours de son incarcération. Mohamed Tamalt était diabétique et la grève de la faim qu'il avait entamée pour contester sa condamnation n'était pas sans risque. Les magistrats devaient savoir qu'une telle situation pouvait facilement provoquer de lourdes complications, voire la mort. Pourquoi n'ont-ils pas utilisé les peines alternatives à la détention prévues par la loi ? C'est une question fondamentale parce qu'elle remet sur le tapis la problématique de la détention, mais aussi de l'humanisation du système judiciaire. En fait, nombreux sont les détenus malades à avoir la mort comme une épée de Damoclès sur la tête. Certains l'ont payé de leur vie, à l'image de Omar Dechmi, patron de la défunte CA Bank, poursuivi pour dilapidation de deniers et mort en pleine audience, alors que le juge l'interrogeait, après une détention qui aura duré des années. D'autres se sont retrouvés avec des complications gravissimes provoquées par leur détention. C'est le cas du général à la retraite Hocine Benhadid, qui a quitté la prison avec une aggravation de son état de santé ayant nécessité une lourde intervention chirurgicale. Benhadid a pu bénéficier d'une liberté provisoire après une longue campagne médiatique de ses avocats, mais cela n'a pas été le cas pour le général Hassen, ex-patron du Service de lutte antiterroriste du défunt DRS (Département du renseignement et de sécurité), dont le dossier et contrairement aux usages est pendant à la Cour suprême depuis près d'un an. Condamné en septembre 2015 par le tribunal militaire d'Oran à une peine maximale de 5 ans, sa détention à la prison militaire de Blida a aggravé son état de santé. Il est devenu non seulement hypertendu, mais aussi insulinodépendant, sa vie ne tient qu'à la panoplie de médicaments qu'il ingurgite. Ces cas ne sont pas isolés. L'administration pénitentiaire se trouve souvent face au dilemme de la prise en charge médicale qu'elle est obligée de trouver auprès des infrastructures publiques, dans bien des cas saturées ou incapables de prendre en charge certaines maladies. Pourtant, des alternatives à la détention existent bel et bien dans la loi. Et la liberté conditionnelle en est une. De tout temps, avocats et militants des droits de l'homme ont plaidé pour que la prison ne soit pas la règle mais l'exception. Dans les conclusions de la commission de réforme de la justice, dans les années 2000, de nombreuses recommandations insistaient sur le volet de l'humanisation judiciaire à travers la refonte de système de détention et la dépénalisation de certains délits, notamment de presse et de gestion, pour éviter justement à l'administration pénitentiaire de gérer des situations tragiques et éviter ainsi de susciter le doute sur le traitement des détenus, comme c'est le cas, aujourd'hui, avec l'affaire du journaliste Mohamed Tamalt. Ce qui démontre, d'après Me Khaled Bourayou, à quel point le système judiciaire est en retard : «Notre système judiciaire est inhumain. Il privilégie la sanction au détriment de la santé. On persiste à maintenir en détention des malades. Le général Hocine Benhadid est sorti de prison avec une maladie assez grave et une atteinte de la colonne vertébrale qui a nécessité une lourde intervention chirurgicale. Pourquoi persiste-t-on à maintenir en prison des détenus malades ? Nous avons eu des décès malheureux, comme cela a été le cas, en 2007, du colonel Naceri, qui était atteint d'un cancer. Son avocat n'avait cessé de réclamer sa mise en liberté pour qu'il puisse mourir chez lui, auprès de sa femme et de ses enfants, mais ce dernier vœu lui a été refusé. L'ancien cadre de la Badr a également trouvé la mort en prison, alors qu'il était malade. Le général Hassen est hypertendu, cardiaque et maintenant insulinodépendant, et malgré cela on lui a refusé la liberté.» L'avocat revient sur le cas du général Benhadid et s'offusque du fait qu'à ce jour il soit encore sous contrôle judiciaire, sans procès, et qu'on lui interdise de partir à l'étranger pour se faire soigner. «La réforme du Président a proposé des alternatives, mais elles sont toutes mises de côté. A mon avis, il faut tirer la sonnette d'alarme. Le cas de Mohamed Tamalt est révélateur. Comment peut-on passer d'une infraction à un délit privatif de liberté ? Il y a urgence à humaniser la justice. La responsabilité incombe à l'Union des barreaux qui doit lancer le débat et faire en sorte que les mesures alternatives à la prison soient mises en œuvre. Nous avons tendance à oublier que les détenus sont avant tout des personnes qui ont droit à la dignité.»