Le journaliste freelance Mohamed Tamalt est mort hier matin à l'hôpital. Pour des sources médicales, ce décès «est le résultat des complications liées à la grève de la faim chez un malade souffrant de diabète». Mais les avocats et la famille font porter «l'entière responsabilité» de ce décès aux autorités judiciaires. Le journaliste freelance Mohamed Tamalt a rendu l'âme, hier matin, à l'hôpital Lamine Debaghine de Bab El Oued (Alger), après plus de deux mois de coma profond. Si ses avocats Bachir Mechri et Amine Sidhoum qualifient ce décès de «grave incident, d'un précédent gravissime dans les annales de la justice et d'un crime commis par l'autorité judiciaire», l'administration pénitentiaire, quant à elle, estime que le journaliste est mort «à la suite des complications liées à la grève de la faim». Déjà sa famille, à travers le frère du journaliste, qui a dû galérer toute la matinée d'hier pour obtenir l'information sur l'état de santé de son frère, crie sa «colère», et réclame «la vérité» sur les circonstances de cette mort, qui aurait pu être évitée si Mohamed Tamalt n'avait pas été placé en détention. Tamalt s'en est allé vers un monde meilleur, mais la justice algérienne apparaît, elle, sous une piètre image. Elle aura du mal à défendre l'indéfendable. Le principe de l'exception en matière de détention ne fait, malheureusement, pas partie des pratiques des juges algériens. Poursuivi et condamné par le tribunal de Sidi M'hamed à une peine de 2 ans de prison ferme, confirmée (deux mois après) par la cour d'Alger, pour «avoir offensé la personne du Président et des ministres» à travers ses publications sur son blog, le journaliste avait été arrêté, le 27 juin dernier à son retour de l'étranger, par des agents des Services de renseignement militaires et a été dirigé tout droit vers leur caserne à Hydra. Durant les 24 heures de garde à vue, il a subi de longs interrogatoires sur ses écrits puis a été déféré, tard dans la soirée, devant le tribunal de Sidi M'hamed, qui l'a placé en détention provisoire. Après un premier renvoi, en raison du retrait de ses avocats de l'audience en signe de protestation contre la mise sous mandat de dépôt (du journaliste), son procès a eu lieu le 11 juillet, pour se terminer avec une condamnation à 2 ans de prison ferme. Tamalt entame alors une grève de la faim pour protester contre sa détention qui, d'après ses avocats, n'était pas justifiée, étant donné que les articles 144 bis et 146 du code pénal, sur la base desquels il a été poursuivi, ne prévoient pas de prison. Jour après jour, son état de santé se détériore et les appels de détresse aussi bien de ses avocats que de sa famille ne trouvent aucun écho auprès des autorités judiciaires. Son procès en appel à la cour d'Alger se termine avec la confirmation de la peine. Le verdict est tout de suite dénoncé par Human Rights Watch qui, dans un communiqué, exige des autorités «de revoir le jugement» du journaliste. Mais celui-ci sombre dans le coma et l'administration pénitentiaire le transfère à l'hôpital de Bab El Oued. Les cris de détresse de la famille Après sa première visite au service de réanimation, son frère alerte les médias et parle de «coups reçus à la tête». «Il avait des points de suture à la tête. Il ne pouvait pas tomber parce qu'il était sur une chaise roulante. Mon frère a été battu», ne cessait de répéter le frère de Tamalt. Des propos qui suscitent la réaction de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADDH). «Lors de son transfert à l'hôpital, Mohamed Tamalt était dans un état lamentable suite à une grève de la faim. Sa famille signale des points de suture au niveau de son crâne et son frère n'arrive toujours pas à lui rendre visite à l'hôpital de Bab El Oued comme d'ailleurs ses deux avocats dont les demandes de permis de communiquer auprès du parquet général d'Alger sont restées sans suite», déclare la LADDH dans un communiqué rendu public. Amnesty International lui emboîte le pas. Elle exige la libération du journaliste en qualifiant sa détention d'«arbitraire». Le frère de Tamalt poursuit son parcours du combattant pour arracher son droit de visite à l'hôpital. Il fait le tour des rédactions pour dénoncer le refus des autorités de lui accorder le permis de visite. Il a même saisi, en vain, le ministère de la Justice, le procureur général près la cour d'Alger et le président de la CNCPPDH, Me Farouk Ksentini. Il y a à peine quelques semaines, il avait repris confiance, lorsque le ministre de la Justice avait promis une enquête transparente. Il a même reçu, à la suite d'un article de presse, une convocation, remise par huissier de justice, du parquet de Koléa, pour aller déposer une plainte contre les gardiens de la prison pour mauvais traitement. Du côté du journaliste, l'état de santé semblait s'améliorer. Des sources médicales affirment que «son état s'est dégradé en raison de la grève de la faim. Il était diabétique, une telle grève pouvait être fatale pour lui. Il était intubé et répondait bien au traitement, jusqu'à il y a quelques jours. Il a eu une complication, une infection pulmonaire, liée au long coma. Il n'a pas pu résister. Il était trop faible…» «Nul n'est à l'abri de l'injustice de la justice politisée» La nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre. Pris de panique, le frère de Tamalt, a accouru dès le matin à l'hôpital. Muni de son permis de visite, obtenu la veille, il se dirige droit vers le service de réanimation. La présence de nombreux policiers suscite son inquiétude. Mais, il est interdit d'accès. On dément même la mort du journaliste et on l'oriente vers le parquet. Affolé, le frère de Tamalt s'agite. Les altercations verbales entre lui et les policiers se multiplient. A la direction de l'administration pénitentiaire, l'information n'est toujours pas annoncée. Il a fallu attendre le début de l'après-midi pour que le communiqué tombe. Il revient sur la grève de la faim du journaliste entamée le 28 juin «qui a eu pour conséquence une grave détérioration de sa santé». «Pour le pousser à cesser cette grève, le juge de l'application des peines ainsi que tous les médecins et les psychologues de l'administration pénitentiaire ont tenté de le convaincre du danger qui pesait sur sa santé, mais en vain. Le 1er août dernier, il a eu une grave baisse de sucre dans le sang. Il a été mis sous perfusion pour l'alimenter, et son état est resté stationnaire. Le 20 août, il a perdu connaissance et il a été admis à l'hôpital de Koléa, où toutes les explorations, y compris avec scanner, n'ont pas réussi à détecter les raisons du coma. De ce fait, il a été transféré au service de réanimation de l'hôpital Lamine Debaghine où l'IRM a montré un AVC. Ce qui a nécessité une intervention rapide en neurochirurgie. Après cette opération, il a été mis sous respiration artificielle. Depuis, son état de santé s'est amélioré, puisqu'il a repris l'alimentation de manière régulière. Cependant, il y a une dizaine de jours, les médecins ont détecté une inflammation pulmonaire qui a nécessité un traitement particulier. Une ponction au niveau des poumons a été réalisée et le liquide retiré a été envoyé à l'Institut Pasteur pour analyse. Dimanche dernier, son état de santé n'a cessé de se détériorer, jusqu'à ce qu'il rende l'âme hier matin.» Le communiqué rappelle que durant cette hospitalisation, le journaliste «a eu six visites de son frère, deux autres des représentants de l'ambassade de Grande-Bretagne (Tamalt jouit de la nationalité britannique depuis 2007), une de sa mère et une autre de son avocat Bachir Mechri». Contactés, Mes Sidhoum et Mechri étaient encore sous le choc. «C'est un grave précédent. Cela fait des mois qu'on appelait à sa libération, mais les autorités judiciaires étaient sourdes. Sa mort restera sur leur conscience. Tous ceux qui sont responsables de près ou de loin doivent répondre de leurs actes…», déclare Me Sidhoum. Lui emboîtant le pas, Me Mechri lance : «Nous avons tout fait pour éviter une telle situation. Nous avons même intercédé auprès du journaliste pour qu'il arrête sa grève en contrepartie de sa mise en liberté, mais personne ne voulait nous suivre. Toutes nos alertes, nos mises en garde n'ont servi à rien. Personne ne peut dire aujourd'hui être à l'abri de l'injustice, d'une justice politisée.» En fin de journée, la famille de Tamalt a été orientée vers le parquet de Koléa pour les formalités du permis d'inhumer. Son frère ne semblait pas chaud pour une autopsie. Il craignait qu'elle soit réalisée par le médecin légiste de l'hôpital Lamine Débaghine. «Comment voulez-vous que celui qui a démenti le coup reçu par mon frère à la tête puisse dire la vérité sur sa mort. Je veux que mon frère soit enterré le plus tôt possible.»