Alors que les effets des départs massifs dans le cadre de la réforme de la retraite n'ont pas encore été mesurés, la nouvelle décision prise par le gouvernement à la fin de l'année mettra sans doute sous pression le marché de l'emploi. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a adressé le 21 décembre dernier une note aux secrétaires généraux de ministères, walis, Inspection générale de la Fonction publique et Direction générale du budget pour leur signifier le gel de tout recrutement dans la Fonction publique à partir du 31 décembre. Une exception concerne cependant «les postes budgétaires disponibles» qui ne seront pourvus qu'après accord du Premier ministre et «l'organisation des concours et examens nécessaires». La ministre de la Poste et des Technologies de l'Information et de la Communication, Iman Houda Faraoun, a déjà nuancé la note de Sellal en évoquant la possibilité de recrutement dans son secteur. Elle a déclaré jeudi dernier devant les députés que «le départ en retraite d'un nombre important de fonctionnaires ces deux dernières années (2015-2016), ouvrira la voie au recrutement en 2017». Au-delà de son impact, la décision de Sellal se justifie pour le gouvernamnt d'un point de vue financier. La masse salariale de la fonction publique pèse lourd dans le budget de l'Etat, surtout depuis les augmentations opérées en 2012. Dans sa quête d'économie de dépenses, le gouvernement ne peut sûrement pas supporter la charge de nouveaux salaires. La masse salariale représentait en 2014 plus d'un quart du budget de l'Etat et plus de 40% de ses dépenses de fonctionnement. En 2015 déjà, le ministre du Travail avait annoncé la couleur en affirmant que «les départs en retraite dans certains postes administratifs classiques ne seront plus remplacés dans le cadre de la relève, notamment dans le poste d'agent d'administration». Sur 2,5 millions de fonctionnaires, 1 million était considéré de trop. File d'attente La réforme de la retraite, qui met fin aux départs sans conditions d'âge, avait déjà été assimilée par certains syndicalistes à une compression qui ne dit pas son nom. Le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, Mohamed El Ghazi, a déclaré récemment que 180 000 dépôts de dossiers pour le départ à la retraite ont été déposés à la Caisse nationale de retraite (CNR) en 2016, précisant que nombreux sont ceux qui y ont renoncé après l'amendement in extremis de la loi le jour de son adoption par l'assemblée nationale. La nouvelle décision de Abdelmalek Sellal, dont on ne sait pas si elle est conjoncturelle, liée à la crise ou si elle sera levée, vient compliquer une situation déjà critique dans la mesure où on risque de voir des demandes d'emploi s'empiler et des files d'attente s'allonger pour les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Pas moins de 150 000 nouveaux diplômés de l'enseignement supérieur arrivent chaque année sur le marché du travail, sans compter les diplômés de la formation professionnelle. Or, c'est d'ores et déjà dans cette catégorie qu'on trouve les taux de chômage les plus élevés. Selon l'ONS, le taux de chômage chez les diplômés (universités+formation professionnelle) est systématiquement supérieur au taux global (13,2% et 12,1% respectivement en 2016 pour un taux de chômage de 9,9%). «Le gouvernement obéit aux recommandations du FMI et de la Banque Mondiale pour diminuer au maximum le nombre de fonctionnaires à contrat indéterminé (CDI) et les remplacer par des contrats déterminés (CDD)», explique Bachir Hakem, syndicaliste. Le FMI, dans son rapport sur les consultations de 2016 avec l'Algérie, observait que les dépenses en traitements et salaires avaient presque doublé depuis 2006 (en pourcentage du PIB) et recommandait, en vue d'un rééquilibrage budgétaire, une réduction progressive de la masse salariale à moyen terme pour revenir aux niveaux qui prévalaient avant 2011. Réduire la taille de la Fonction publique en identifiant les postes non essentiels et subordonner la croissance des salaires à l'amélioration de la productivité avait notamment été suggérés. Alternative Devant l'ampleur de la crise, le gouvernement a vite fait son choix. Mais s'il appartient à l'économie d'offrir l'alternative, la situation actuelle de crise n'offre pas les meilleures conditions de croissance suffisante pour générer des emplois. «S'il n'y a pas de recrutement en raison de l'austérité, la situation va s'aggraver car il faut se demander qui va remplacer les fonctionnaires partis en retraite au 31 décembre. Où vont aller les nouveaux diplômés ? Ce sont des mesures draconiennes», estime Nabil Ferguenis, porte-parole du Syndicat national du personnel de l'administration publique (Snapap). Pour le secteur de l'éducation «qui a besoin de stabilité, un tel gel ne serait que désastreux, surtout avec le grand nombre de départs à la retraite», soutient Bachir Hakem. La ministre de l'Education nationale Nouria Benghabrit, a parlé de quelque 40 000 dossiers de départ en retraite enregistrés depuis l'annonce de la réforme. Pour Bachir Hakem, il est insensé d'arrêter «le recrutement alors qu'un grand nombre d'enseignants sur la liste d'attente ont refusé de rejoindre leur poste et que d'autres ont démissionné». Selon lui, sur les 98 000 postes de la liste d'attente, plus de 40 000 postes ont été utilisés, dont plus de la moitié aurait démissionné «à cause de la pénibilité du métier». Si en plus «on va recruter avec des CDD, on aura une instabilité générale», dit-il. Quid du nouveau code du travail ? Une situation délicate que le gouvernement devra gérer tout en parvenant à faire passer le nouveau code du travail, même si Mohamed El Ghazi a indiqué en octobre qu'il n'était pas à l'ordre du jour. Quand ce sera la cas, il sera présenté aux partenaires sociaux, à la tripartite avant de le présenter au Conseil du gouvernement, avait-il assuré. La tripartite devant se tenir en mars prochain, l'occasion sera peut-être donnée au gouvernement de le faire. Mais la pilule risque d'être difficile à avaler par les syndicalistes. Bachir Hakem estime déjà que la réforme du code du travail va inscrire «l'esclavagisme dans la politique sociale du gouvernement». Le Snapap projette quant à lui «d'user de tous ses droits pour aller jusqu'au bout dans le rejet de ce projet dangereux». Le syndicat reproche notamment au projet de loi la baisse des libertés individuelles et collectives des travailleurs, la restriction de l'activité syndicale et de la tâche de l'inspection du travail et la primauté à l'employeur au détriment du travailleur.