D epuis le 4 février et jusqu'à avant-hier, près de 155 000 militants se sont prononcés sur le site internet sur l'orientation politique, l'organisation du parti, l'éthique et l'égalité, ainsi que sur les postes de «conseil citoyen», «secrétariat général» et «commission de garanties démocratiques» : 7 votes au total ont rythmé le congrès. De la guerre des tranchées à l'enracinement dans le paysage politique Comme les différents intervenants ont aimé à le rappeler, la jeune formation reste issue de la politisation d'une partie du mouvement des Indignés, ou 15-M, qui avait réuni des centaines de milliers de personnes à la Puerta del Sol, à Madrid en 2011. Podemos est avant tout né d'une construction médiatique autour de la politisation d'un espace politique : celui de l'Indignation face à la crise, porté par des universitaires adeptes de la pensée hégémonique radicale d'Ernesto Laclau et Chantal Mouffe comme de la stratégie politique de Machiavel. Par une véritable guerre éclair en seulement 3 ans d'existence, la jeune formation politique est devenue un acteur majeur et décisif de la politique de l'Espagne et fait rêver toute la gauche radicale européenne. Le coup d'échecs réussi a été de provoquer de nouvelles élections générales au Congrès, en juin dernier, et de mettre fin à 30 ans de bipartisme historique depuis la transition démocratique espagnole. Conséquence de son institutionnalisation et organisation partisane, Podemos s'est trouvé exposé à des guerres stratégiques de positionnement entre ses deux leaders charismatiques : Pablo Iglesias, secrétaire général, défenseur de l'idéologie radicale, et Iñigo Errejón, secrétaire politique de la formation, plus enclin au consensus. Depuis quelques mois, les affrontements entre les deux têtes d'affiche ont d'ailleurs alimenté la presse et les réseaux sociaux allant jusqu'aux excuses publiques aux militants. Le nouveau parti rattrapé par la «vieille politique» : quel parti pour demain ? Près de 8000 personnes étaient présentes lors de ce deuxième congrès appelant à l'unité et au rassemblement. Deux listes, deux orientations idéologiques divergentes et deux stratégies étaient soumises au vote, jusqu'à samedi soir, à travers un exercice démocratique allant jusqu'à la mise en scène et la théâtralisation qui, au final, pouvaient modifier le parti et les futurs accords politiques et auraient pu mettre à mal la formation. Les cadres et membres fondateurs avaient d'ailleurs choisi leur camp à travers le système des listes et certains avaient même refusé de se prononcer en parlant de guerre ouverte. Dès son entrée dans l'arène de l'ancienne place des taureaux de Vistalegre, Pablo Iglesias rappelle que «la division et l'enfermement servent l'ennemi» et que l'Assemblée se doit d'être «un exemple d'unité, de fraternité et d'intelligence» face à la triple alliance des adversaires que représentent le Ciudadanos, le PSOE et le PP. Ce dernier avait d'abord posé un ultimatum façon «tout ou rien, avec ou sans moi», et déclaré qu'il abandonnerait la charge de secrétaire général du parti s'il n'était pas élu au Conseil citoyen face à Iñigo Errejón. Loin des discours politiques auxquels l'auditoire est habitué, il monte simplement sur scène pour énumérer les membres de sa liste et lancer un dernier appel : il saura travailler avec Iñigo Errejón et Miguél Urbán (des anticapitalistes). Dans la salle, les militants s'offusquent : «Et les autres membres de la liste alors ? Va-t-il y avoir une purge ?» En réponse, le n°2 préfère militer «pour la bataille des idées avec d'autres nuances» pour «donner une leçon de démocratie à l'adversaire», et travailler à la fortification d'un parti-mouvement face à la fragmentation des élites pour «récupérer l'illusion». Afin de calmer les tensions et pour trouver un accord, même si Iñigo Errejón n'était plus candidat au poste de secrétaire général du parti, mais à celui du Conseil citoyen pour lequel Pablo Iglesias était aussi tête de liste, ce dernier envisageait ouvertement, dans la presse, l'investiture d'Iñigo Errejón comme «un candidat idéal» à la mairie de Madrid en 2019, car Manuela Carmena, l'actuelle maire, ne se représentera pas. Hier, Pablo Iglesias s'est imposé face Iñigo Errejón. Il emporte la direction du parti avec plus 60% des voix et impose également son orientation dans les documents politiques soumis au vote de l'Assemblée. Lors de l'annonce des noms des deux leaders, «Unidad» et «Sí se puede» résonnaient dans l'hémicycle. Podemos, tensions d'une nouvelle Transition démocratique en devenir Si la sociologie des électeurs de la 3e force politique de l'Espagne reste majoritairement ancrée dans un public jeune, urbain et très informé, issu d'Izquierda Unida, du Parti communiste espagnol (PCE), des déçus du PSOE et de l'austéricide de 2010 à 2012, aujourd'hui plus que jamais la réflexion s'oriente vers la fidélisation des 5 millions de votants, surtout après la perte du million d'électeurs entre les deux dernières élections. L'orientation d'Iñigo Errejón se concentre sur le dépassement de la lutte par un discours toujours plus hégémonique afin d'envisager la construction d'une force plus grande et ouverte, capable de proposer des alliances moins radicales afin de conquérir un nouvel électorat. Entre divergences de projets et querelles de leadership, le nouveau parti, qui «ne veut pas ressembler aux vieux partis», serait rattrapé par le système de la «vieille politique». Les orientations et stratégies opposées en vue du contrôle de la formation politique se sont enracinées dans une guerre interne à travers deux visions qui devront, de fait, être «réconciliables», pour ne pas mettre à mal la formation politique, comme le travail institutionnel réalisé au Congrès, afin d'envisager sereinement les échéances électorales à venir. Durant ces deux jours, beaucoup de militants laissaient entendre que si Pablo démissionnait du poste de secrétaire général, toute l'aile gauche du parti partirait aussi, laissant planer la menace d'un Podemos moribond. Le risque que la jeune formation se retrouve orpheline de son leader si charismatique était grand. Le parti pouvait alors prendre une toute autre tournure et identité. Pablo Iglesias, vainqueur, remercie les militants présents et souligne qu'aucune formation politique ne peut se vanter d'avoir un taux de participation aussi élevé : «Aujourd'hui, les partis de la restauration reçoivent une leçon de démocratie et cette Assemblée nous donne deux ordres : unité et humilité jusqu'à la victoire. Nous allons être à la hauteur pour construire plus de justice sociale et, au-delà, construire la patrie. Soyons le bloc historique qui pousse le changement dont l'Espagne a besoin.» Du grain sable à la machine de guerre politique, le parti qui voulait «conquérir le ciel par l'assaut» a bien conscience que pour perdurer, il se doit aujourd'hui de s'enraciner dans la société civile. Le positionnement politique ainsi que l'idéologie développée par Podemos ont d'ailleurs évolué, passant du discours ultra-radical (traduit par l'alliance avec la coalition des forces de gauche d'Izquierda Unida) à celui de la «transversalité» largement développé dans les documents soumis au vote à l'Assemblée. Hier, le positionnement radical l'a pourtant remporté. Ce «peuple introuvable» Si l'objectif premier est de ramener l'unité interne au sein de la formation politique, les visions divergent lorsqu'il s'agit de «creuser les tranchées» dans les mouvements sociaux, d'évoquer la démocratisation du mouvement, son ancrage, sa pérennité et donc, à terme, sa survie. Le peuple est avant tout une communauté qui partage un horizon commun. Le projet politique qui découlera de ce congrès devra donc répondre aux enjeux qui attendent la formation pendant les trois prochaines années qui précèdent les élections futures. L'élaboration d'un «nouveau contrat social» capable d'intervenir dans les institutions à travers un mouvement social fort et organisé permettra de faire de Podemos un mouvement plus ouvert et transversal capable de réaliser des alliances pour gagner. Le défi majeur reste de conforter la construction d'un parti qui se veut le représentant, en mouvement, d'une nouvelle expression politique citoyenne post-moderne portée par l'ADN du 15–M et le mouvement des Indignés. Trente ans après la période historique de la transition démocratique espagnole, Podemos serait la traduction politique d'une «nouvelle transition historique», encore faut-il que le parti survive à sa propre institutionnalisation systémique. Dans l'histoire, la plus grande vertu politique n'a-t-elle pas toujours été de savoir optimiser le temps, transformer la krisis en kairos, de passer du moment critique au moment propice ? «Sí se puede, claro que Podemos» (Oui, vous pouvez, bien sûr, nous pouvons).