Les élections des régions autonomes et des municipalités qui ont eu lieu hier sont inédites dans l´histoire de la démocratie espagnole. Ce scrutin, dont les résultats étaient publiés en continu depuis le début de la soirée, pourrait déboucher sur la fin du bipartisme en Espagne où, depuis 1982, le Parti populaire (PP), actuellement au pouvoir, et le Parti socialiste (Psoe), principale force d´opposition, gouvernent à tour de rôle, un peu à l´américaine. L´émergence sur la scène politique de deux jeunes partis a de fortes chances, en effet, de briser le tête-à-tête entre le PP et le Psoe. Les partis émergents Podemos et Ciudadamos Podemos (Nous pouvons), force politique conduite par un jeune professeur de sciences politiques de l´Université publique de Madrid, Pablo Iglesias, qui se distingue par sa queue de cheval, est issu du mouvement de contestation populaire du 15 mai 2011, un courant apparu en pleine vague des «Printemps arabes». Mais ce qui devait être un ras-le-bol éphémère de jeunes diplômés chômeurs, plus de 40% de taux de chômage (27%), enregistré alors en Espagne, s´est vite transformé en parti politique que tous les sondages donnent, aujourd´hui, en troisième position, faisant du coude-à-coude avec le Psoe, juste derrière le PP. Podemos est un peu la version espagnole de Tsipras en Grèce. Il chasse son électorat au sein de la gauche, toutes sensibilités confondues. Si le Psoe conserve des réserves de militants suffisantes pour continuer à s´imposer comme un parti de premier plan, ce n´est pas le cas de la Izquierda-Unida (IU communiste) ou parti UPyD de Mme Rosa Diaz, une dissidente du Psoe. Ces formations politiques risquent tout simplement de disparaître de la configuration partisane, en n´obtenant pas de sièges ou très peu, dans les autonomies et les mairies. Ce ne sont pas seulement ces deux partis de dimension nationale qui risquent de payer cher les frais de cette refondation de la carte partisane. Les partis nationalistes, implantés exclusivement dans leurs régions, tels que le PNV (basque), le BNG (Galicie) ou CIU (catalan) ne sont pas à l´abri de la même menace. L´autre parti émergent est Ciudadanos (Citoyens), du centre droit. Son leader, Albert Rivera, un jeune avocat catalan, est un farouche adversaire de l´indépendantisme qui menace sa région. D´où son audience dans le reste du pays. De la même sensibilité politique que le PP, Ciudadanos rejette toute alliance avec le parti au pouvoir qui est «rongé par la corruption». Beaucoup de dirigeants du PP sont poursuivis par la justice pour avoir perçu des enveloppes, pour blanchiment d´argent ou pour fraude fiscale, comme l´«affaire Barcenas» du nom du trésorier de ce parti. Des alliances difficiles Ce sont donc ces deux partis émergents qui tiennent la clé de la «gouvernabilité» de beaucoup de régions et municipalités par le jeu des alliances qui devront se faire dans les prochains jours. Or, tant Podemos que Ciudadanos ne veulent faire bloc ni avec le PP, ni avec le Psoe. C´était du moins leur argument électoral. Tout au long de la campagne électorale qui a duré 15 jours, tous les coups bas étaient permis. Certes, le président Rajoy a évité de faire dans la polémique pour mettre en avant les réformes de son gouvernement qui ont permis au pays de renouer avec la croissance en moins de 3 ans. Le secrétaire général du Parti socialiste, Pedro Sanchez, s´est, de son côté, limité à avertir contre le «manque d´expérience» du pouvoir de Podemos qui ratisse large dans les fiefs socialistes. Les dérives de langage n´ont pas été rares, toutefois. C´est le cas de la candidate du PP à la mairie de Madrid, Mme Ezperanza Aguirre, qui a qualifié le parti de Pablo Iglesias de «danger pour la démocratie», en allusion à ses liens avec les gouvernements de gauche en Amérique latine, comme le Venezuela. Le lendemain, briffée par des «fuites» organisées depuis l´administration des impôts, la presse annonçait que le salaire annuel de Mme Aguirre avoisinait les 400 000 euros par an. Rien de surprenant, mais l´opinion est sous le choc par temps de crise économique. Grand paradoxe, ces révélations pour aussi choquantes qu´elles soient, n´empêcheront pas la candidate du PP d´être, ce matin, la nouvelle maire de Madrid, succédant à sa «sœur ennemie» du PP, Mme Ana Botella, épouse de José Maria Aznar. Enfin, ce scrutin régional et municipal a valeur de grand test pour les élections générales de décembre prochain qui désigneront le futur Parlement national, le Congrès des députés, et le président du gouvernement.