Il y a deux mois, une vidéo insoutenable montrant le viol et l'humiliation d'une jeune fille algérienne a fait le tour des réseaux sociaux. Elle montre un homme en train de déshabiller sa victime tout en lui proférant des insultes sous l'objectif d'un smartphone d'une autre femme se présentant comme l'amie du violeur. La victime tentait de prendre la fuite, mais en vain. Quelques heures après la mise en ligne de la vidéo, la gendarmerie a pu identifier la victime. A Batna, deux jeunes filles ont volé et vendu les bijoux de leur maman afin de «payer» leur harceleur qui les menaçait de publier des photos compromettantes d'elles sur les réseaux sociaux. «Les menaces, les insultes et les intimidations sont devenues mon quotidien. Chaque message était plus violent que le précédent. J'avais peur qu'un jour mon harceleur mette ses menaces à exécution. Il rêvait de me violer». Nesrine*, 25 ans, raconte son calvaire qui a duré plus d'un mois. «J'ai alors décidé de porter plainte au commissariat. C'était mon seul recours. Il m'épiait ! Il fallait que je connaisse son identité.» Suite à son dépôt de plainte, les investigations ont commencé. Pour l'instant, l'enquête est toujours en cours. «En ce moment, ils recueillent toutes les preuves nécessaires pour inculper mon harceleur. Ils doivent constituer un dossier avec toutes preuves matérielles, tout comme ils le feraient pour un quelconque crime survenu dans la rue.» On est là devant des cas de cybercriminalité. Malheureusement, ces histoires ne sont pas des cas isolés. Difficile de démêler le vrai du faux lorsqu'on apprend aussi qu'une jeune fille se serait suicidée à cause d'une vidéo d'elle publiée sur les réseau sociaux. Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui sont aujourd'hui victimes de la cybercriminalité. Chantage, harcèlement, spam, usurpation d'identité, piratage de comptes, vol de photos… tout y passe. L'espace virtuel est devenu un fief pour la criminalité. D'ailleurs, selon un bilan rendu public par la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), plus de 1000 affaires liées à la cybercriminalité ont été enregistrées en Algérie en 2016. Criminels «La lutte contre la cybercriminalité est une guerre quotidienne. La nouveauté est qu'elle ne se déroule pas dans l'espace réel mais dans le virtuel. Sa complexité ? Plus le réseau se développe, plus il faut plus de la ressource et de la technicité pour le dompter, ce qui est logiquement plus difficile car cela devient plus difficile d'interpeller les personnes», confie Karim Khelouiati, spécialiste en cybercriminalité. Consciente des nouveaux défis et afin de faire face à ce genre de criminalité, la DGSN a mis en place une stratégie globale pour faire face aux dépassements liés à la cybercriminalité. Cette stratégie est divisée en deux axes : la prévention et la lutte. «L'espace virtuel offre énormément d'avantages qui sont malheureusement exploités à des fins criminelles par des personnes malintentionnées. La cybercriminalité est donc un défi mondial. Le monde entier est concerné par ce phénomène», confie un responsable de la DGSN. Concernant le volet technique de sa stratégie, la DGSN a misé sur le développement des compétences humaines en enrichissant ses équipes techniques de professionnels ayant les capacités requises pour traquer les criminels dans l'espace virtuel. Interpol Et afin d'être toujours performante, la DGSN a intensifié les formations de ses éléments. Et enfin, elle a réorganisé ses services et doté les 48 wilayas d'équipes chargées de la lutte contre la cybercriminalité. Ces brigades sont chargées d'enquêter et de recevoir les plaintes. A cet effet, un responsable de la DGSN confie : «Nous avons signé des accords avec certains pays, surtout en matière de formation. Nous avons également des accords et des méthodologies de travail avec Interpol». Mais, concrètement, que doit faire une victime de cybercriminels ? «Le signalement est la première étape», assure le responsable. Selon lui, il ne faut pas avoir peur de signaler tout abus et cela doit se faire des les premières heures afin que les preuves «matérielles» ne se perdent pas. Autrement dit, déposer plainte dès que l'on considère que l'on est victime d'un abus, comme par exemple de photos balancées sur le Net, suspicion de piratage… Là encore, il y a de nombreuses possibilités. C'est-à-dire que si quelqu'un détecte une quelconque menace mais qui n'est pas directement visé, il peut le signaler de façon anonyme via nos différents réseaux sociaux de la DGSN (Facebook, twitter, mail). Par contre, quand il s'agit de la victime, il serait préférable qu'elle se dirige directement vers le poste de police. «Sa plainte sera alors directement prise en charge et nos investigations commencent. On fait une enquête technique dans le total respect de la procédure. C'est-à-dire que l'enquêteur doit informer le parquet, et c'est le procureur général qui donne son aval avant le début de chaque enquête», explique le spécialiste. Preuves Ce dernier insiste néanmoins sur un détail : «Si parfois les enquêtes prennent plus de temps que d'autres, c'est parce qu'elles sont menées dans le respect total de la vie privée des individus. C'est-à-dire que nous n'avons pas accès à tout ce qui a une relation avec sa vie privée. On inculpe les criminels grâce à des preuves techniques qu'on recueille et non pas en épiant leur intimité». Autre souci : la non-coopération des responsables des réseaux sociaux. A cet effet, Karim Khelouiati affirme : «Les détenteurs des réseaux sociaux ne sont pas du tout coopératifs. Par exemple, si vous représentez une entité gouvernementale et que vous envoyez un courrier à la direction technique de Facebook pour qu'elle nous renseigne au moins sur l'adresse IP afin de pouvoir localiser le criminel, elle ne vous répond même pas par souci de protéger la vie privée de chacun. C'est pour cela que certaines sociétés privées en Europe se font le relais entre les gouvernements et Facebook. Ils demandent des informations, mais il est rare que la direction de Facebook réponde. Par exemple, sur 10 000 requêtes, il n'y aura que 6 réponses positives !» Sensibilisation Finalement et afin de stopper l'hémorragie, la DGSN a lancé de nombreuses campagnes qui visent «à ancrer une prise de conscience collective, responsabiliser les utilisateurs d'internet, quels que soient leur âge, poste ou situation sociale, et promouvoir une utilisation sûre, responsable et positive de la technologie numérique parmi les enfants et les jeunes», soutient le commissaire Kamel Ouali, chargé de communication de la DGSN. «Ces actions ont été menées partout sur le territoire national afin de prévenir contre les dangers du monde virtuel. Ces compagnes ont été menées dans les écoles, les universités, via des spots publicitaires, les dépliants», poursuit-il. D'ailleurs, dans les dépliants en question distribués un peu partout, des conseils pratiques sont délivrés afin de mieux se protéger contre les dangers d'internet. «On leur conseille par exemple de ne jamais divulguer leurs informations personnelles, ou encore à activer la webcam avec des inconnus. Ne pas ouvrir des mails suspects qui peuvent contenir des virus et ne jamais partager leurs photos en mode public», conseille le commissaire. Ce dernier affirme néanmoins que ces campagnes vont se poursuivre encore durant l'année 2017. «Nous avons tracé une stratégie qui va être menée tout au long de l'année afin de minimiser ces dépassements», conclut-il.