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Lubna Ahmad Al-Hussein. Journaliste soudanaise, auteur de 40 coups de fouet pour un pantalon : « Le monde entier doit savoir ce qui se passe au Soudan »
Lubna Ahmad Al-Hussein aurait dû recevoir 40 coups de fouet. La faute de cette journaliste soudanaise ? Avoir osé porter un pantalon dans un restaurant de Khartoum. Finalement, la jeune femme, qui vit désormais en exil entre Le Caire et Paris, ne sera pas châtiée. Elle témoigne dans un livre poignant*. Interview d'une battante qui poursuit son combat pour l'émancipation féminine au Soudan, un pays où 43 000 femmes ont été arrêtées l'an dernier pour « tenue indécente ». De notre correspondant de Genève. Quelles sont les réactions après la publication de votre livre ? Pour le moment, le livre, qui revient sur mon aventure malheureuse et honteuse, reçoit un écho très favorable. Mon histoire, dans laquelle je dénonce l'article 152 du code pénal de 1991 sur la moralité publique au Soudan et qui punit de 40 coups de fouet, d'amende et de prison une femme qui porte un pantalon, est disponible en français. Des éditions en arabe et en anglais vont bientôt sortir. Je redoute les attaques du régime soudanais. Pourquoi ? Parce que je dénonce l'archaïsme qui gangrène depuis quelques années déjà la société soudanaise. Ou comment l'Islam et les traditions sont instrumentalisés. Mon livre raconte mon histoire mais aussi celle de milliers de femmes fouettées sur ordre des tribunaux. Cette police des mœurs qui nous condamne à cause de nos vêtements. Elle nous rend coupables d'un crime pour avoir porté un pantalon. Les femmes flagellées sont montrées du doigt. Elles portent désormais la honte. Je veux me battre contre ce régime soudanais qui veut nous imposer sa vision des lois islamiques, de la charia. Des pratiques récentes... Après l'avènement du régime Omar Al-Bachir, en 1989, mon pays a connu une grande régression portée par les islamistes. Aujourd'hui, la faillite du régime se résume à faire la chasse aux femmes qui portent des pantalons sous prétexte de veiller à l'application des consignes du Coran. Quel est cet Islam qui s'occupe de la garde-robe des femmes ? Pire : aujourd'hui les jeunes filles au Soudan sont arrêtées et conduites à l'hôpital pour subir des examens de virginité. C'est au nom de toutes ces femmes que vous vous révoltez ? Je continue mon combat pour dénoncer les dérives du régime de Khartoum. Il faut que le monde entier sache ce qui se passe dans ce pays. L'article 152 s'applique aux femmes uniquement. C'est un article discriminatoire qui préconise une violence morale et psychologique contre des femmes. Et dire que la femme soudanaise a le droit de vote, de se présenter aux élections, de travailler dans l'administration, de conduire une voiture... C'est pour ça que je ne comprends pas pourquoi aujourd'hui des tribunaux populaires se montrent si rétrogrades envers les femmes. Ils les punissent parce qu'elles rigolent trop fort en public ou que leur voile ne couvre pas toute la tête. Ces lois, inspirées de la charia, sont étrangères à la tradition soudanaise. Elles sont mêmes discriminatoires. Comment s'est passée votre arrestation du 13 juillet 2009 ? J'étais dans un restaurant huppé de Khartoum. Il y avait plus de 400 personnes. C'était un vendredi. Soudain, un groupe de policiers a déboulé dans la salle. Ils ont commencé à chercher les femmes qui portaient des pantalons. Ils m'ont arrêtée avec une quinzaine d'autres. Ils nous ont embarquées au poste de police. Ils nous ont imposé de défiler comme si nous étions sur un podium de mode. Les policiers nous disaient de faire quelques pas pour juger notre tenue. Puis, ils ont libéré quelques filles et en ont arrêté d'autres, dont certaines ont été fouettées ce jour-là. Et vous ? J'ai eu droit à un procès. J'étais accusée de porter des habits qui provoquent et créent la gêne. J'ai violé la moralité publique. Et je ne suis pas un cas unique. Des centaines de milliers de femmes soudanaises sont régulièrement arrêtées pour des motifs vestimentaires. En 2009, la police en a arrêté 43 000 rien qu'à Khartoum parce que leurs vêtements n'étaient pas conformes aux valeurs de l'Islam. Pourquoi ne pas avoir profité de l'immunité onusienne pour éviter un procès ? Ce procès, je le voulais. Pour moi, c'était une occasion en or de dénoncer la justice expéditive des tribunaux populaires grâce à la médiatisation. Les médias internationaux ont expliqué qu'au Soudan, une femme qui porte un pantalon peut recevoir 40 coups de fouet alors qu'un homme qui viole un enfant risque un mois de prison seulement. Une Soudanaise âgée de 16 ans a ainsi reçu 50 coups de fouet parce qu'un juge a estimé la longueur de sa jupe, au niveau du genou, « indécente ». Elle était chrétienne. Je défie quiconque de me prouver que ce genre de traitement de la femme est écrit dans le Coran. On se demande qui pourra arrêter ces muftis et imams qui ont noirci la lecture de l'islam. Ces gens nous ont plongés dans le Moyen- Âge. Des pratiques qui ne concernent pas que l'habillement, peut-on lire dans votre livre… Les veuves après le décès de leur mari sont par exemple isolées. Elles ne peuvent pas quitter leur lit pendant une certaine période. Des pratiques qu'aucun autre pays musulman n'applique. C'est une tradition soudanaise que de punir la veuve. Moi aussi, j'ai dû subir ce genre de brimades après la mort de mon mari. Mais je ne pense pas que c'est ça, l'Islam. Revenons à l'affaire du pantalon, vous avez refusé de payer une caution également... Evidemment. Je risquais un mois de prison. Et j'ai été furieuse quand j'ai appris que le Syndicat des journalistes soudanais avait payé ma caution. Tout comme j'ai regretté que la justice n'aille pas jusqu'au bout. Je voulais être fouettée et aller en prison. On vous a refusé la prison pour vous empêcher de témoigner sur une autre réalité... En fait, ils m'ont sortie de prison après une nuit. J'ai même donné des interviews à des médias et des radios de l'intérieur de la prison grâce à des complices. Et je voulais connaître la réalité des prisonnières. ... et la dénoncer, vous qui êtes journaliste ? Bien sûr. Reste que dans mon métier aussi, c'est terrible. La censure est telle qu'aujourd'hui, on ne peut rien écrire de critique sur le régime. Alors pour provoquer les comités de censure, j'ai commencé à publier dans mes chroniques des recettes de cuisine. Et devinez ! Elles étaient aussi censurées. Les autorités voyaient le danger même dans les légumes que j'utilisais pour mes recettes ! Comment avez-vous réussi à quitter votre pays ? J'étais sous résidence surveillée et on m'a interdit de sortir du pays. J'ai néanmoins réussi à quitter le Soudan en portant un niqab. Et dire que je ne supporte pas le voile intégral. Vous avez quitté le Soudan pour Le Caire. Pourquoi ? Le Caire est proche du Soudan, qui reste mon pays. Parce que je veux retourner à Khartoum pour continuer mon combat. En ce moment, je suis de passage en Egypte pour recevoir un prix décerné par une association féministe arabe. La première récompense, je l'ai reçue du Yémen. Ce n'est pas uniquement une question de pantalon. La condition de la femme est en danger. Et je rêve que le Soudan change et se révolte contre ces sinistres tribunaux. Vous suivez également le débat sur l'Islam en Europe et notamment l'interdiction des minarets votée par les Suisses... Je regrette le vote suisse. Je dénonce les amalgames. Ce débat, en Europe, stigmatise l'Islam. Il ne nous aide pas dans notre combat contre les fondamentalistes qui cherchent la confrontation avec l'Occident. C'est dommage de laisser les intégristes occuper la place, eux qui cherchent la confrontation et la guerre sainte. Et que pensez-vous du débat sur le niqab en France ? Il faut bannir le niqab. Je suis pour son interdiction. D'ailleurs, qui vous dit que celle qui porte un niqab est une femme ? Je suis sortie de l'aéroport de Khartoum habillée en niqab. Personne n'a rien vu. Au Soudan, des hommes portent un voile intégral pour s'introduire dans les cités universitaires des filles. Le niqab est un danger, une menace pour la sécurité des pays. Je suis contre ce vêtement qui n'a rien à voir avec l'Islam. Il est d'ailleurs interdit à La Mecque. Dans quel monde on vit ! En Europe on se demande s'il faut autoriser le niqab qui représente un danger pour la cohésion sociale et au Soudan la police de l'ordre fait la chasse au pantalon. (*) 40 coups de fouet pour un pantalon (chez Plon). Exergue : Je suis sortie de l'aéroport de Khartoum habillée en niqab. Personne n'a rien vu. Au Soudan, des hommes portent un voile intégral pour s'introduire dans les cités universitaires des filles. Le niqab est un danger, une menace pour la sécurité des pays. Je suis contre ce vêtement qui n'a rien à voir avec l'islam. Bio express : Cette ancienne journaliste vedette de 36 ans est née à Omdurman, ville voisine de Khartoum. En 2003, elle épouse Mokhtar Abd El-Rahman, un célèbre journaliste soudanais de quarante ans son aîné, « par choix », précise la jeune femme aujourd'hui veuve. Employée d'une mission locale de l'Organisation des Nations unies, elle réussit à mobiliser toute la communauté internationale après son arrestation en juillet 2009 et devient une icône de la cause féminine.