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«Les migrants subsahariens au Maghreb ont les mêmes revendications que ceux qui ont traversé la Méditerranée»
Publié dans El Watan le 30 - 03 - 2017

Les médias occidentaux parlent d'une «crise migratoire» en Europe, qu'en est-il réellement, selon vous ?
Les crises et les guerres en Afghanistan, au Pakistan, en Syrie, en Irak et en Libye ont engendré le départ de plusieurs millions de migrants ces dernières années. 2,7 millions d'entre eux se sont réfugiés en Turquie et 30 000 sont morts en traversant la Méditerranée depuis 2000. En 2016, plus de 600 000 migrants ont demandé l'asile en Europe, contre 100 000 ou 200 000 les années précédentes. Mais, sur 28 pays, seuls 7 accueillent régulièrement les migrants et appliquent une politique d'asile : l'Italie, la Grèce, l'Allemagne, la Suède, l'Espagne, le Portugal et la France, même si dernièrement elle n'a reçu que peu de migrants.
L'Allemagne a été le pays qui a organisé l'accueil d'un million de migrants, et parce que cet accueil a été organisé et les migrants répartis dans l'ensemble des communes du pays, leur accueil a engendré une augmentation du PIB du pays. La "crise migratoire" est vécue dans les pays qui ne mettent rien en œuvre pour en accueillir ne serait- ce que quelques milliers. Ceux qui accueillent dignement les migrants par dizaines de milliers bénéficient d'une population migrante qui constitue une richesse nouvelle pour le pays. Les migrants représentent une force de travail nouvelle et souvent qualifiée, donc utile à l'économie du pays d'accueil. Certains médias d' extrême droite, tels que Valeurs actuelles, parlent de crise migratoire pour réclamer la fermeture des frontières.
Comment se fait l'accueil des migrants arrivés clandestinement sur le sol européen ?
La qualité de leur accueil dépend du pays dans lequel ils rentrent. Avec les partenaires du collectif "United For equality", nous sommes allés en février 2017 en Hongrie pour rencontrer les ONG qui viennent en aide aux migrants que Victor Orban refuse d'accueillir. Dans un pays comme la Hongrie, ils sont actuellement privés de tous les droits reconnus aux demandeurs d'asile selon la Convention de Genève. Le pays dirigé par Victor Orban, qui ne compte que 1,5% d'étrangers, a décidé de fermer tous les centres d'accueil des demandeurs d'asile sauf trois. A la frontière entre la Hongrie et la Serbie, les migrants qui tentent de franchir un mur de barbelés sont frappés, torturés par les policiers hongrois avant d'être renvoyés en Serbie.
Avec l'équipe de la Maison des potes et le collectif européen United For Equality, nous nous sommes rendus au cœur du calvaire des migrants de Subotica, à la frontière serbo-hongroise. Nous avons constaté l'ampleur de la crise humanitaire de ces hommes, venus trouver refuge aux portes de l'Europe. L'un des migrants, un Syrien, nous a accordé un entretien dans lequel il décrit le traitement subi à la frontière hongroise : "La police hongroise nous a capturés et frappés, ils ont pris nos téléphones et notre argent."
Par contre, des migrants sont secourus par dizaines de milliers chaque année par les gardes- côtes italiens. Nous étions allés en septembre 2015 à la rencontre des ONG de Bari, au sud de l'Italie, qui apportent une aide humanitaire aux migrants et les aident à s'intégrer. En Italie (le pays a accueilli 123 482 demandeurs d'asile en 2016) et en Allemagne (le pays a accueilli 890 000 demandeurs d'asile en 2015 et 280 000 en 2016) les migrants sont massivement pris en charge par des centres d'accueil et secourus par des bénévoles des associations humanitaires.
En France, 85 000 migrants ont demandé l'asile en 2016, tandis que 19 834 se sont vu délivrer le statut de réfugié. Le gouvernement a financé la construction de centres d'accueil des migrants dans des dizaines de villes pour que 12 000 d'entre eux puissent être pris en charge. C'est bien, mais c'est très modeste, à côté de ce que l'Allemagne a été capable d'organiser. En France, depuis 1991, les demandeurs d'asile n'ont plus le droit de travailler. Mais comment voulez-vous vivre dignement si vous ne pouvez pas travailler et obtenir un salaire décent ?
En quoi consiste votre plate-forme de revendications ?
Nous avons construit notre plate-forme de revendications "Unis pour l'égalité" avec les associations de lutte contre le racisme et de défense des migrants de 16 pays d'Europe. Dans toute l'Europe des millions de migrants sans papiers ou sans autorisation de travail exercent clandestinement pour survivre et faire vivre leur famille. Nous demandons dans toute l'Europe la régularisation de tous ces travailleurs sans papiers, comme le permettent les lois italienne, espagnole ou française. Le travail est synonyme d'enrichissement pour le pays d'accueil et d'intégration pour le migrant.
Cette régularisation des travailleurs sans papiers permettrait de lutter contre leur exploitation. Nous demandons dans toute l'Europe que les étrangers non européens soient reconnus à égalité avec les travailleurs européens. Ils travaillent actuellement comme vacataires à égalité de responsabilités avec leurs collègues européens dans l'éducation nationale, les hôpitaux publics, etc., nous demandons qu'ils puissent devenir des fonctionnaires. Nous demandons le droit de vote pour les élections locales pour les étrangers non communautaires, comme les étrangers membres de l'Union européenne.
Nous demandons dans tous les pays d'Europe une politique judiciaire offensive contre les discriminations, avec la reconnaissance du testing et des class-actions. Pour empêcher les discriminations à l'embauche, nous demandons à ce que les entreprises soient contraintes d'instaurer le CV anonyme.
Y a-t-il eu des actions contre les multinationales qui pratiquent la discrimination ?
Nous avons en France et en Belgique fait condamner la multinationale Adecco, qui sélectionnait des intérimaires BBB (Blanc Bleu Belge) et BBR (Bleu Blanc Rouge) pour satisfaire les demandes d'entreprises racistes, qui ne voulaient que des salariés d'origine européenne. La multinationale Loreal a aussi été condamnée parce qu'elle était une de ces entreprises clientes d'Adecco, qui ne voulait que des jeunes femmes BBR pour vendre ses produits coiffants. Nous avons aussi fait condamner IKEA, qui ne voulait pas de Noirs pour distribuer ses catalogues, ou encore la société SFR, qui ne voulait que des "Français de parents français nés en France" pour des postes habilités secret-défense.
Nous avons aussi fait condamner des organismes HLM, tels que Logirep, qui veulent limiter la "dose" des Noirs dans les immeubles et fichent ethniquement les locataires selon leurs origines. Nous avons aussi réussi à faire condamner le journal Minute et le magazine Valeurs actuelles pour ses Unes contre les Roms et contre les musulmans. Mais le combat est très difficile et très long pour la Maison des potes – Maison de l'égalité et nous ne gagnons pas à tous les coups. Nous avons récemment perdu un procès contre Eurodisney, qui ne voulait recruter que des Européens pour les parades de danseurs et jongleurs du parc d'attraction de Marne la Vallée. Bien sûr, nous avons fait appel.
Vous dites vouloir élargir le projet «United For Equality» à l'échelle africaine. Quelles sont les formes de racisme ou de discriminations qui y ont été relevées ?
L'idée d'ouvrir "United For equality" aux ONG des pays d'Afrique nous est venue lors du Forum social mondial de mai 2015 à Tunis. Nous y avons rencontré des dirigeants d'ONG de défense des droits de l'homme de nombreux pays d'Afrique et des militants d'associations d'étudiants étrangers qui étudient dans les grandes universités d'Afrique du Nord. Tous nous ont alertés concernant des paroles et des comportements racistes et xénophobes dont sont victimes des migrants et des étudiants étrangers. Des ONG du Maroc nous ont raconté comment un mouvement populaire antiraciste au Maroc avait eu pour slogan "Je ne suis pas Azzi" pour dénoncer les paroles racistes contre les Noirs.
Une ONG algérienne voulait attaquer le magazine Echorouk, qui avait fait une "Une" raciste contre les migrants subsahariens, accusés d'amener le sida et Ebola. Des associations d'étudiants étrangers en Tunisie ont dénoncé l'interdiction de travailler pour gagner sa vie quand on est un étudiant étranger. Une ONG algérienne nous a expliqué comment cette interdiction de travailler, qui concerne aussi les demandeurs d'asile ou les migrants sans titre de séjour engendre l'exploitation des travailleurs migrants en Algérie, qui sont payés moitié moins que les Algériens pour le même travail.
Nous avons réalisé que les migrants subsahariens qui s'installent ou séjournent dans les pays du Nord de l'Afrique ont les mêmes revendications que ceux qui ont traversé la Méditerranée. A travail égal salaire égal. Nous revendiquons l'égalité entre tous les travailleurs quelle que soit leur nationalité. Pour lutter contre l'exploitation des travailleurs sans papiers, ils doivent être régularisés et disposer d'un titre de séjour les autorisant à travailler et à défendre leurs droits.


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