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Cent chefs-d'œuvre de l'art moderne et contemporain arabe : La collection Barjeel
Publié dans El Watan le 01 - 04 - 2017

Peut-on parler d'art «arabe» ? Quand la fondation Barjeel se sert de la catégorie art «arabe» pour qualifier la présentation de sa collection à l'IMA, «Cent chefs-d'œuvre de l'art ‘‘arabe''», dans quel sens entend-elle art «arabe» dans le monde contemporain ? De quel point de vue le visiteur peut-il concevoir un art «arabe», d'après cette collection ?
Pas d'un point de vue géographique : il faudrait en effet entendre par là, non seulement les artistes qui créent dans ce qu'il est convenu d'appeler les pays arabes (il s'agit là d'une définition géopolitique actuelle étrangère au monde de l'art). Or, un bon nombre d'artistes présentés vivent, ou ont vécu en Europe, soit le temps de leur formation (au premier rang desquels le Marocain Cherkaoui, l'Algérien Khadda, ou encore le Libanais Chafik Abboud), soit plus durablement s'ils appartiennent aux diasporas (les Algériens Kader Attia ou Abdessemed), qu'ils aient une double résidence (Yto Barrada). Quelle que soit leur génération, ils ont une histoire artistique formée pour une bonne part en Europe.
Art «arabe» signifierait en l'occurrence art d'artistes ayant peu ou prou des attaches personnelles avec le Monde arabe incluant des pays qui ne s'en réclament pas de manière exclusive, mais qui auraient de ce fait une culture propre et -pour quelques-uns seulement- des artistes vivant dans le Monde arabe ? Car la collection présentée ici ne rend pas compte d'une enquête auprès des artistes vivant actuellement dans les pays «arabes». La catégorie art «arabe» peut-elle se justifier d'un point de vue temporel d'après la collection de la fondation Barjeel, telle qu'elle est présentée à l'IMA ? Le point de vue de «Cent chefs-d'œuvre» met l'accent sur des individualités et non sur des mouvements ou des collectifs qui pourraient servir de supports à une histoire de l'art toujours à écrire : aucun lien n'est établi entre Cherkaoui et Khadda, entre les artistes contemporains. Méconnaissant les collectifs d'artistes qui ont existé en Afrique du Nord ou en Egypte et ceux qui émergent, l'exposition donne à voir une succession d'œuvres qui ne sont pas toujours représentatives des meilleures productions des artistes. Ainsi, Femme à la robe rose, de Baya, ne compte pas parmi les œuvres les plus éblouissantes d'une artiste pourtant douée. La section Conservation, de l'exposition, brouille encore davantage la connaissance que l'on aurait pu acquérir.
Certes, le visiteur est accueilli avec une magnifique tapisserie Champ de pétrole, d'Etel Adnan, mais, ensuite, exception faite du fusain grand format Coup de tête, de Abdessemed, et des tirages non moins imposants, Telephone books d'Yto Barrada, c'est le pêle-mêle qui est privilégié. Les aquarelles discrètes d'un artiste historique, comme Benanteur, se trouvent reléguées au bas d'une cimaise, rendues quasi invisibles, une œuvre de Cherkaoui, Les miroirs rouges, à droite dans une place centrale, mais dans un voisinage qui lui enlève, non sa force comme œuvre, mais la possibilité d'être comprise dans son contexte par le visiteur. Deux peintres abstraits, qui auraient pu avoir droit à un meilleur traitement d'un point de vue historique.
Du point de vue des formes d'expression, rien ne distingue les artistes classés dans la catégorie art «arabe» des autres artistes, il conviendrait plutôt de parler d'«esprit du temps». L'abstraction est le mouvement qui domine dans les années 1960 (d'Islah à Khadda), l'interrogation politique dans le contexte actuel (de Nadia Ayari à Kader Attia ou Abdul Nasser Gharem). Des interrogations sur ces formes d'expression parcourent certaines carrières d'artistes, notamment celle du Syrien Kassab Bachi. Qu'est-ce qui est alors intéressant dans cette exposition ? Il s'agit d'abord de donner à voir des artistes historiques (Cherkaoui, Khadda, Benanteur, Baya, Kassab, Bachi) trop peu présentés dans les institutions culturelles parisiennes, ensuite d'inviter à réfléchir sur les intérêts marchands d'une catégorisation.
Les artistes maghrébins, et plus particulièrement algériens de la période contemporaine, très présents dans cette exposition, ont-ils besoin d'être enrôlés sous la bannière art «arabe» ? La catégorie art «arabe» n'est-elle pas une simple commodité ? Il est toutefois vrai que quelles que soient les critiques que l'on puisse lui faire, cette exposition a le mérite de rappeler qu'il est grand temps que des artistes historiques méconnus de part et d'autre de la Méditerranée (leur étude ne figure pas dans les programmes des écoles d'art du Maghreb) soient réévalués à la fois dans les programmes d'enseignement et dans des expositions thématiques. C'est à ce prix que le «visage du monde» (Surat al-ard) pour reprendre le titre de la magnifique et subtile œuvre du Marocain Achraf Touloub sera transfiguré.


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