«S'il y a innovation, celle-ci dépend fortement du milieu dans lequel la firme évolue», la déclaration de l'économiste français philippe Aydalot, pionnier de l'économie territoriale et fondateur du Gremi (Groupe de recherche européen sur les milieux innovateurs), témoigne de l'importance du lien entre la notion de «milieu innovateur», intégrant la dimension géographique comme critère déterminant dans la nouvelle économie, et l'approche entrepreneuriale qui repose avant tout sur l'initiative individuelle. Mais qu'en est-il du cas algérien ? Existe-t-il des milieux innovateurs ? Abderrahim Kheldoun, de la faculté des sciences de la Terre, de la géographie et de l'aménagement du territoire de l'université d'Oran, a réalisé un travail de recherche portant sur le «Milieu innovateur et développement durable : réflexions méthodologiques sur les outils de développement économique et déclinaisons territoriales : Aire métropolitaine oranaise». L'étudiant s'est intéressé à la nouvelle géographie économique, plus précisément à une thématique nouvelle liée aux concepts de territoire et milieu innovateur. «Il s'agit en fait d'essayer de comprendre à partir du cas d'un territoire, en l'occurrence l'aire métropolitaine oranaise, et partant, d'une situation historique, économique et sociale donnée, comment les acteurs (entreprises, collectivités locales, et recherche) font face à l'enjeu de la compétitivité et l'attractivité territoriale dans un contexte de plus en plus ouvert et concurrentiel», souligne Abderahim dans son étude. Cette dernière révèle que la dimension «territoire» et les modes d'organisation mis en place par les acteurs sont déterminants dans l'émergence de territoires innovants. «L'environnement actuel des territoires en Algérie est en pleine mutation, qu'il s'agisse du positionnement ou de la croissance des facteurs de production et des acteurs économiques. La conquête ou la reconquête de leur attractivité oblige les territoires à se repositionner. La capacité à faire venir et/ou à retenir hommes et entreprises apparaît désormais comme un enjeu primordial dans les stratégies de développement local », explique l'auteur de l'étude. Crise des modèles centralisateurs Révélant la dichotomie entre les stratégies nationales, qu'il qualifie de «globale et incantatoire», d'un côté, et les expériences de développement des agents au niveau local, de l'autre, Abderrahim Khaldoun juge que «les priorités nationales et sectorielles ne reflètent pas forcément les attentes des populations au niveau local… Ceci nous amène aussi, à nous interroger, dans un premier temps sur le processus de développement, en soulignant que le terme ‘‘développement'' peut désigner un état de développement des infrastructures permettant à long terme à ces populations d'améliorer leur niveau de vie». Mettant à nu un processus qui «affecte notre pays depuis une trentaine d'années», il indique que «l'émergence du local comme réalité est étroitement lié à la crise des modèles centralisateurs, et aux modernisations engagées dans les années 60 dans beaucoup de pays en développement, dont l'Algérie. Pourtant, si on y regarde de près, ces politiques de modernisation par le haut ont induit des effets pervers dans le sens où, tout en déniant fortement l'existence du local, elles ont contribué à sa requalification». S'intéressant dans son étude à la dynamique de la métropole d'Oran sous l'angle de la nouvelle géographie économique, en prenant en considération les mécanismes de la production et de la reproduction de cet espace métropolitain, l'étudiant met en exergue deux étapes d'évolution historique. Jusqu'au années 1960, «l'espace d'Oran est une microrégion originale, possédant une économie agricole et commerciale, une industrie embryonnaire…. Ses relations avec sa périphérie, matérialisée par l'axe Aïn Témouchent-Mostaganem, sont celles d'une partie à un tout, à ce titre, l'espace d'Oran se distinguait aisément des régions Centre et Est, il possède non seulement son mode de vie, sa particularité linguistique et matrimoniale, mais aussi son aire économique articulée sur le port», schématise-t-il. La seconde ère comptant les quarante dernières années serait caractérisée d'après l'auteur par la dilution de l'espace Oran aux autres régions urbaines au niveau national. «Tout va dans ce sens : la création des zones industrielles, dont la plus marquante est celle d'Arzew à partir de 1974, l'essaimage industriel sur des terres à fortes potentialités agricoles, les zones industrielles de Mohammadia, Sig, Mostaganem, Aïn Témouchent…et accessoirement Hammam Bouhdjar concentrait plus de 90% des 80 000 emplois créés dans les différents branches industrielles au début des années 1980», argue-t-il. Enumérant les nombreuses réalisations en termes d'infrastructures portuaires et aéroportuaires, d'équipements industriels et de tissu de PME/PMI, Abderrahim déplore l'absence d'une vision dynamique de développement. De ce fait, il s'interroge sur le rôle de cet espace qui « ne répond pas encore aux marqueurs et standards du milieu innovateur tel que définis par Maillat en 1994 qui met en exergue l'existence d'un savoir faire, une culture technique, une dynamique interne qui prend son assise sur le rôle du contexte territorial et la capacité de celui-ci à valoriser la proximité de ses acteurs». Manque de conscience Abderrahim Khaldoun, qui reconnaît l'importance de la connotation géographique ou territoriale dans le processus innovateur des PME, regrette le manque de conscience des acteurs (publics-privés) de la métropole oranaise sur «l'importance du milieu géographique, comme un système capable de fournir à l'entreprise innovatrice les intrants qui lui sont indispensables pour son développement, réduit considérablement la capacité des entreprises innovantes existantes à forte valeur ajoutée faiblement arrimées aux centres de recherche scientifique de tendre vers l'émergence d'un territoire innovant». Dans ce contexte, l'auteur de l'étude envisage pour l'évolution dans l'avenir proche de cet espace métropolitain, en l'occurrence Oran, trois niveaux d'actions : une référence immédiate à l'espace sous toutes ses formes : pour les acteurs locaux, ce sera celui des intérêts immédiats, sans aucune complémentarité spatiale ou fonctionnelle, une référence à l'espace national et international : par le biais des financements de l'Etat, des investissements collectifs et partenariats dont dépendent de plus en plus Oran sur les plans économique, administratif, politique et culturel, ainsi qu'une référence à l'espace régional Ouest, dont l'affirmation est aujourd'hui assez faible pour relativiser et dynamiser les spécificités et complémentarités régionales. En guise de conclusion, l'auteur soutient que «l'analyse des travaux de chercheurs sur les milieux innovateurs montre bien que l'existence des éléments d'un milieu donné ne garantit pas l'efficacité de son fonctionnement… Les dirigeants d'entreprises ont développé l'habitude de transiger avec des intermédiaires à l'extérieur de leur environnement immédiat, c'est alors ce milieu étendu ou déconnecté du territoire, auquel appartient l'entreprise, qui dorénavant lui fournit l'information à sa bonne marche». De ce fait, une majorité des représentants d'entreprises étudiées affirment avoir développé l'habitude de se passer des services du milieu, ce qui, selon Abderrahim, s'avèrent nettement suffisantes pour assurer le bon fonctionnement de réseaux d'échanges. Par ailleurs, l'étudiant révèle que les acteurs de l'espace métropolitain ont développé quelques actions innovantes pour impulser une réelle dynamique dans le cadre de l'entreprenariat dont les dispositifs d'appui à la création de la PME.