Certains portaient des casquettes militaires, la plupart des tenues civiles. Il s'agissait en fait d'invalides et de retraités de l'ANP venus des différentes wilayas du pays pour réclamer «une reconnaissance officielle de l'Etat et des indemnités à la hauteur des sacrifices qu'ils ont consentis durant la décennie noire au service de la patrie». «Il n'y a que certains parmi nous qui ont perçu un rappel, en plus d'une pension mensuelle de 14 000 DA, mais cette somme suffit à peine pour payer les factures d'eau et d'électricité», déplore un marcheur, natif de Lakhdaria, qui dit avoir reçu 3 balles dans la cuisse durant la période de terrorisme. «L'état nous a oubliés»
Les protestataires, dont la plupart ont la quarantaine, exigent aussi une prise en charge médicale pour les dommages moraux subis durant la période de leur incorporation dans les rangs de l'ANP, la priorité dans l'accès à l'emploi et au logement et la régularisation de leur situation vis-à-vis de la sécurité sociale. La majorité a répondu favorablement à l'appel de la patrie pour combattre les terroristes du GIA et du MIA au moment où ils étaient au summum de leur nuisance.
Certains s'en sont sortis avec des séquelles et d'autres souffrent de traumatisme à ce jour. «L'Etat nous a oubliés. Nous avions été convoqués en mars dernier par les secteurs militaires pour formuler des dossiers dans le but de nous octroyer nos droits, mais on n'a encore rien vu venir. Ce n'est qu'un leurre», s'indigne K. Ahmed (46 ans), un père de 4 enfants habitant à Chabet El Ameur, à l'est de Boumerdès. Encadrés par des officiers de police à bord de véhicules de patrouille, des agents d'intervention rapide ou encore des Toyota de la Gendarmerie nationale, les manifestants étaient en rangs organisés.
Des couloirs étaient même spontanément aménagés pour les passants matinaux qui étaient obligés de traverser la foule compacte composée de jeunes handicapés marchant à l'aide de prothèses et de moins jeunes avec leurs baluchons. L'un d'eux nous confia : «Est-ce normal d'être victime du terrorisme après l'avoir combattu ? De s'en sortir amoindri à vie et de percevoir 27 000 DA/mois ?» «Le pire, c'est d'être privé de moyens d'expression. Même des chaînes de télévision nous boudent. Pourtant, nous ne revendiquons que le droit à une vie digne», s'exclame un marcheur. Et à un autre d'enchaîner : «Ils disent (les décideurs, ndlr) qu'ils nous ont versé des indemnités. Qu'ils disent combien et que le peuple juge !»
«Rien ne nous arrêtera»
Les protestataires ont poursuivi leur chemin vers Alger en arpentant la piste bordant la RN12. «Rien ne nous arrêtera», fulmine l'un d'eux. Bien qu'elle soit bien encadrée, cette action jamais annoncée dans les médias a causé d'immenses bouchons sur ledit axe routier. Les manifestants ont été bloqués à Réghaia par les forces de l'ordre. Certains de leurs camarades, venus des wilayas de Blida et de l'ouest du pays, auraient été stoppés au Caroubier avant d'être renvoyés dans des bus de l'Etusa, tandis que d'autres ont été bloqués à Ouled Haddadj, à l'ouest de Boumerdès. Par endroits, des échauffourées ont éclaté lorsque les services de sécurité ont tenté d'empêcher l'avancée des marcheurs vers la capitale. Les estimations du nombre de manifestants varient selon les sources.
Des dizaines de milliers semblent s'être déversés sur la route, selon les images et les vidéos diffusées sur la Toile tout au long de la journée. D'importants renforts et des moyens de dissuasion ont été mobilisés par les forces de l'ordre pour empêcher les manifestants de rallier leur destination. Deux hélicoptères de la gendarmerie survolaient depuis le début de matinée le ciel de la région. Par ailleurs, la circulation automobile est restée pratiquement bloquée toute la journée dans la partie Est de la capitale, où des bouchons monstres se sont formés. Epuisés, des centaines de manifestants se sont regroupés, selon des témoins, au bord de l'autoroute à Haouch El Makhfi, où ils comptent passer la nuit pour reprendre la marche vers Alger aujourd'hui.