Elle présentait son film au titre inspiré par un texte d'Eveline Safir-Lavalette, Tes cheveux démêlés cachent une guerre de sept ans, film à mi-chemin entre documentaire et témoignage intimiste, construit autour de trois figures trop mal connues de l'engagement politique et du militantisme actif durant la guerre d'indépendance : Zoulikha Bekkadour, Alice Cherki et Eveline Safir-Lavalette. Trois trajectoires de vie distinctes, trois personnalités de référence, trois destins singuliers, tous trois attachants et forçant l'admiration. Cependant, la réalisatrice a voulu que la personne d'Eveline Safir-Lavalette soit centrale dans ce film sensible et pudique. Le visage d'Eveline est là, troublant de proximité, presque vivant aux yeux de ceux qui l'ont connue et la retrouvent, visage buriné, grave jusqu'à l'austérité, traversé pourtant de rares sourires qui en paraissent d'autant plus lumineux, d'une fraîcheur étonnamment juvénile quand elle relate des anecdotes où, comme il arrive souvent, le comique affleure sur fond de tragédie. Et quand Eveline s'exprime, la parole est sobre, âpre, pour dire tout ensemble l'attachement à sa seule patrie, l'Algérie d'hier et d'aujourd'hui, donc l'évidence de son engagement, de ses choix, les étapes de son parcours, les formes de sa participation à la lutte, l'arrestation, la prison, l'internement abusif en hôpital psychiatrique. Si elle accepte de parler, enfin, de sacrifier au désormais fameux «devoir de mémoire» afin que – à côté de son livre Juste Algérienne – subsiste une trace orale de ce cheminement atypique, elle le fait sans complaisance, loin de toute posture. C'est à peine si la voix se brise et si les mots s'égarent et se perdent un peu pour passer très vite sur l'évocation, les yeux clos, des sévices subis tant ils sont indicibles et parce que, surtout, les forces de vie l'animent, en profondeur. C'est comme si elle se pliait à un exercice imposé qu'elle pratique avec droiture, sincérité, dans le dépouillement et la concision de la parole, avec une intransigeance parfois un peu butée, mais assumée, puisqu'il n'y a en elle, aujourd'hui pas plus qu'hier, aucune place pour la remise en question, encore moins les regrets. Longtemps ce visage et cette voix nous accompagneront pour raviver notre mémoire et nous rappeler, à notre tour, au devoir de fidélité. Saadia Aït-Youcef
*La projection du documentaire a eu lieu mercredi 17 mai 2017. L'extrait évoqué provient du texte «Cessez-le-feu» paru dans «Juste Algérienne. Comme une tissure», Barzakh, Alger, 2013.