Si la crise politique entre l'Algérie et la France est bien réelle et donne même l'impression de s'être installée dans la durée, il devient cependant de plus en plus difficile de cerner la position de l'Etat algérien sur la question tant les déclarations des responsables en charge de ce dossier – qualifié par tous les observateurs de sensible – ont tendance ces derniers jours à se contredire. Et le dernier cafouillage en date remonte à pas plus loin qu'hier. Dans une déclaration accordée au quotidien arabophone londonien Al Sharq Al Awsat, le conseiller aux droits de l'homme du président Bouteflika, Kamel Rezzag-Bara, est allé, pour ainsi dire, à contre-courant du point de vue défendu le week-end dernier à Paris par l'ambassadeur d'Algérie en France, Missoum Sbih. Alors que le diplomate s'est refusé à parler de crise entre l'Algérie et la France et s'est, par conséquent, employé tout au long de sa conférence de presse à minimiser la gravité des contentieux opposant les deux pays, Kamel Rezzag Bara a défendu un avis tout à fait différent et laissé notamment entendre que des problèmes de fond subsistent encore dans le dossier des relations algéro-françaises. Rezzag Bara justifie la crise Selon le proche conseiller du président de la République, l'obstacle majeur qui empêche un retour rapide à la normale des relations algéro-françaises a un lien étroit avec la question de la mémoire et le refus persistant de la France officielle de reconnaître les crimes commis en Algérie durant la colonisation par l'armée française. M. Rezzak-Bara évoque d'ailleurs le même argument pour expliquer le refus de Abdelaziz Bouteflika de se rendre en visite officielle en France. Il y a lieu de signaler au passage que c'est la première fois qu'un officiel algérien explique pourquoi le chef de l'Etat n'a pas donné suite à l'invitation que lui a adressée l'an dernier son homologue français. « L'annulation de la visite du chef de l'Etat algérien dans l'Hexagone est due au différend sur la colonisation (…) », a soutenu Kamel Rezzag-Bara, qui a appelé par la même occasion la communauté internationale à travailler pour dégager un « consensus mondial » sur la criminalisation de la colonisation par l'Organisation des Nations unies. Avant que ne soit avancée cette explication, de nombreux observateurs de la scène politique nationale ont avancé des arguments aussi contradictoires les uns que les autres pour expliquer les reports successifs de cette visite présidentielle. Si les uns n'ont pas hésité à remettre sur le tapis la question de la santé du chef de l'Etat, d'autres ont parlé en revanche d'agenda chargé. Confusion entretenue par Alger Quoi qu'il en soit, l'intrusion dans le débat du conseiller aux droits de l'homme du président Bouteflika, Kamel Rezzag-Bara, n'a fait qu'épaissir la confusion et le mystère entourant les relations algéro-françaises. Une confusion nourrie en partie, il faut le dire, par un manque de communication et parfois même par un certain mystère entretenu sciemment par la partie algérienne sur la question. Ainsi, par exemple, personne ne sait vraiment ce qui s'est dit lors de la rencontre qui a réuni Ahmed Ouyahia et le secrétaire général de l'Elysée, Paul Guéant, et le conseiller diplomate du président Sarkozy, Jean-David Levitte. Du moins, personne n'a entendu, à ce jour, la version algérienne des faits. En revanche, du côté français, de nombreuses sources officielles ont commenté la rencontre. Des responsables du Quai d'Orsay, qui recevaient le mois dernier un groupe de journalistes algériens, n'ont également pas hésité à dire tout ce qu'ils pensaient des relations algéro-françaises. A ce jour, les interventions des responsables français ne souffrent d'aucune contradiction. La cacophonie constatée en Algérie veut-elle dire que le traitement impulsé au dossier des relations algéro-françaises ne fait pas consensus ? A ce stade, il est sans doute difficile de répondre par l'affirmative ou la négative. Toutefois, la question demeurera pertinente tant que le discours officiel continuera à être parsemé de contradictions. Au-delà, tous les spécialistes des relations algéro-françaises s'entendent à dire que la crise entre les deux pays n'aurait pas atteint un aussi haut niveau d'intensité si les responsables des deux pays n'avaient pas instrumentalisé les différents contentieux apparus avec le temps entre Alger et Paris pour des objectifs de politique interne. Cela est valable autant pour la question de la mémoire que pour le fameux accord sur l'immigration conclu en 1968 par les deux pays et qui fait actuellement l'objet d'une renégociation des plus serrées.